À propos d’un de mes tableaux et de comment, à partir d’une suggestion de José Domingo Lavín et d’une lecture de Freud, j’ai peint un tableau de Moïse(118)
Étant donné que c’est la première fois que j’essaie d’« expliquer » un de mes tableaux à un groupe de plus de trois personnes, vous voudrez bien me pardonner si je m’emmêle un peu les pinceaux.
Il y a plus ou moins deux ans, José Domingo m’a dit qu’il aimerait que je lise le Moïse de Freud et que je peigne, comme bon me semblerait, mon interprétation du livre.
Ce tableau est le résultat de cette petite conversation entre Juan Domingo et moi.
J’ai lu le livre une seule fois et j’ai commencé à peindre avec la première impression qu’il m’a laissée. Hier, je l’ai relu et je dois vous avouer que je trouve le tableau très incomplet et assez différent de ce que devrait être l’interprétation de l’analyse si merveilleuse de Freud. Mais bon, plus moyen d’enlever ou d’ajouter quoi que ce soit, alors je vous dirai ce que j’ai peint tel quel, ce que vous pouvez voir sur le tableau.
Bien sûr, le sujet précis est Moïse ou la naissance du héros. Mais j’ai généralisé à ma façon (une façon plutôt confuse) les faits ou les images qui m’ont le plus impressionnée à la lecture du livre. Vous pourrez apprécier « ma contribution » et me dire si j’ai fait fausse route ou pas.
Ce que j’ai voulu exprimer le plus intensément, le plus clairement, c’est que la raison pour laquelle les gens ont besoin d’inventer ou d’imaginer des héros et des dieux est purement et simplement la peur. La peur de la vie et la peur de la mort. J’ai commencé par peindre Moïse enfant. (Moïse, en hébreu, signifie « sauvé des eaux », et en égyptien, mose veut dire « enfant ».) Je l’ai peint comme il est décrit dans maintes légendes, abandonné dans un couffin, en train de flotter sur les eaux d’un fleuve. D’un point de vue plastique, j’ai essayé de faire en sorte que le couffin, recouvert d’une peau de bête, rappelle le plus possible une matrice, car selon Freud le panier est la matrice exposée et l’eau représente la source maternelle donnant naissance à un enfant. Pour centraliser ce fait, j’ai peint le fœtus humain dans sa dernière étape, à l’intérieur du placenta. Les trompes, pareilles à des mains, sont tendues vers le monde.
De chaque côté de l’enfant déjà créé, j’ai placé les éléments de sa création, l’œuf fécondé et la division cellulaire.
Freud analyse très clairement, mais sous une forme trop compliquée pour mon caractère, ce fait de la plus haute importance : Moïse n’était pas juif mais égyptien. Pour ma part, dans ce tableau, je n’ai pas trouvé le moyen d’en faire un Juif ou un Égyptien, je l’ai juste peint comme un gamin apte à représenter aussi bien Moïse que tous ceux qui d’après la légende auraient connu les mêmes débuts pour ensuite devenir des personnages importants, des guides pour leur peuple, c’est-à-dire des héros. (Plus clairvoyants que d’autres, voilà pourquoi je lui ai mis un « troisième œil ».) C’est le cas de Sargon, de Cyrus, de Romulus, de Pâris, et cetera.
L’autre conclusion fort intéressante de Freud est que, n’étant pas juif, Moïse a donné au peuple choisi par lui pour être guidé et sauvé une religion, qui n’était pas non plus juive mais égyptienne : c’est Amenhotep IV, ou Akhenaton, qui renouvela le culte d’Aton, le culte du Soleil, qui trouve ses racines dans la très ancienne religion de On (Héliopolis).
J’ai donc peint le Soleil comme le centre de toutes les religions, comme premier dieu et comme créateur et reproducteur de la vie.
Comme Moïse, il y a eu et il y aura quantité de « grosses pointures » pour transformer les religions et les sociétés humaines. Disons qu’ils sont comme des messagers entre les gens qu’ils commandent et les « dieux » inventés par eux pour pouvoir les commander.
Ces « dieux », il y en a un « paquet », comme vous le savez. Naturellement, je n’ai pas pu tous les faire tenir et j’ai disposé, de part et d’autre du Soleil, ceux qui, bon gré mal gré, ont un lien direct avec le Soleil. À droite, ceux de l’Occident, et à gauche, ceux de l’Orient.
Le taureau ailé assyrien, Amon, Zeus, Osiris, Horus, Jéhovah, la Vierge Marie, la Divine Providence, la Sainte Trinité, Vénus et… le diable.
À gauche, l’Éclair, la Foudre et la trace de la Foudre, c’est-à-dire Huracán, Cuculcán et Gukumatz, Tlaloc, la magnifique Coatlicue, mère de tous les dieux, Quetzalcóatl, Tezcatlipoca, la Centéotl, le dieu chinois Dragon et l’hindou Brahmâ. Il manque un dieu africain, car je n’en ai trouvé nulle part, mais on peut lui faire une petite place.
Je ne peux pas vous dire grand-chose sur chacun d’entre eux car je croule sous l’ignorance de leurs origines, de leur importance, et cetera.
Après avoir peint dans leurs ciels respectifs les dieux que j’avais pu caser, j’ai voulu séparer le monde céleste de l’imagination et de la poésie du monde terrestre de la peur et de la mort, alors j’ai peint les squelettes, l’un humain et l’autre animal, que vous pouvez voir là. La terre leur offre le creux de ses mains pour les protéger. Il n’y a pas de division entre la mort et le groupe des « héros », car eux aussi meurent et la terre les accueille généreusement et sans distinction aucune.
Sur cette même terre, j’ai peint, avec des têtes plus grosses pour les distinguer de la « masse » les « héros » (ils sont peu mais bien choisis), ceux qui ont transformé, inventé ou créé les religions, les conquérants, les rebelles… bref, le « gratin ».
Sur la droite, on voit Amenhotep IV (un portrait auquel j’aurais dû accorder plus d’importance qu’à tout autre) qui plus tard se fit appeler Akhenaton, jeune pharaon de la XVIIIe dynastie égyptienne (1370-1350 avant J.-C.) et qui imposa à ses sujets une religion contraire à la tradition, rebelle au polythéisme, strictement monothéiste, ayant de lointains échos dans le culte de On (Héliopolis), la religion d’Atoll, c’est-à-dire du Soleil. Ils adoraient le Soleil non seulement comme entité matérielle mais aussi comme le créateur et conservateur de tous les êtres vivants, à l’intérieur et hors de l’Égypte, dont l’énergie se manifestait dans ses rayons, dévoilant ainsi leur avance sur les connaissances scientifiques les plus modernes concernant la puissance solaire.
Breasted appelle Amenhotep IV « le premier individu dans l’histoire humaine ».
Ensuite Moïse, qui selon l’analyse de Freud donna à son peuple adopté la même religion que celle d’Akhenaton, quelque peu adaptée aux intérêts et aux circonstances de son temps.
C’est à cette conclusion que parvient Freud, au terme d’une étude minutieuse qui lui permet de découvrir le lien étroit entre la religion d’Aton et la religion mosaïque, toutes deux monothéistes. (Je n’ai pas su comment transposer plastiquement cette partie très importante du livre.)
Puis viennent le Christ, Zoroastre, Alexandre le Grand, César, Mahomet, Tamerlan, Napoléon et l’enfant perdu »… Hitler. Sur la gauche, la merveilleuse Néfertiti, épouse d’Akhenaton ; j’imagine qu’en plus d’avoir été extraordinairement belle, elle a dû être comme un « trésor enfoui » et une très intelligente collaboratrice de son mari. Bouddha, Marx, Freud, Paracelse, Épicure, Gengis Khan, Gandhi, Lénine et Staline. (L’ordre ne vaut pas grand-chose, mais je les ai peints d’après mes connaissances historiques, qui ne valent guère plus.)
Entre ces derniers et le « commun des mortels », j’ai peint une mer de sang, expression de la guerre, inévitable et féconde.
Enfin, la puissante masse des hommes, jamais appréciée à sa juste valeur, composée de bestioles en tout genre : les guerriers, les pacifiques, les scientifiques et les ignorants, les bâtisseurs de monuments, les rebelles, les porte-drapeaux, les porte-médailles, les parleurs, les fous et les sages, les gais et les tristes, les bien portants et les malades, les poètes et les sots, et toute la foule de ceux que vous aurez envie de voir exister sur cette puissante boule.
Seuls ceux des tout premiers rangs peuvent être plus ou moins clairement distingués ; quant aux autres, « avec un tel vacarme… on n’a pas pu savoir ».
Côté gauche, au premier plan, il y a l’Homme, le bâtisseur, de quatre couleurs (les quatre races).
Côté droit, la Mère, la créatrice, avec son fils dans ses bras. Derrière eux, il y a le Singe.
Les deux arbres, qui forment une arche de Noé ou un Arc de triomphe, sont la vie nouvelle, qui toujours bourgeonne sur le tronc de la vieillesse. Au centre, en bas, le plus important pour Freud et pour bien d’autres… l’Amour, représenté par la conque et le coquillage, les deux sexes, pris dans des racines toujours nouvelles et vivaces.
Voilà ce que je peux vous dire de mon tableau. Mais j’accepte toutes sortes de questions et de commentaires. Je ne me mets pas en colère.
Merci beaucoup.