Lettre à Bertram D. Wolfe
Mexico, 24 mars 1936
Mon très cher copain, compagnon, camarade, général et ami Bertrancito,
Ta lettre est arrivée hier et, obéissant sur-le-champ à tes ordres, je te réponds aujourd’hui même pour que cette missive te parvienne au plus vite et que sans perdre un seul instant tu puisses régler tout ce qu’il y a à régler et venir nous rejoindre dans cette belle Ville des Palais ! Et fais-moi le plaisir d’amener Ella, sinon, toi tout seul, tu vas te perdre en chemin. Si tu ne l’amènes pas, je vais m’énerver très fort contre toi, et il pourrait bien pleuvoir des coups de trique à la gare si je ne vois pas débarquer cette jeune fille que toi et moi nous aimons tant et qui s’appelle Ella.
Diego et moi avons été soufflés par la nouvelle de la Guggenheim, car nous étions sûrs que tu obtiendrais la bourse, mais il n’y a décidément rien à attendre de ces enfoirés de capitalistes mielleux et fils de leur pu… ritaine de mère. Nous sommes néanmoins ravis de savoir que tu vas venir malgré eux et que tu vas écrire le livre et le leur balancer en travers de la figure.
Diego est d’accord avec tout ce que tu dis dans ta lettre. Dépêche-toi et viens le plus tôt possible, c’est notre plus cher désir ; tu seras reçu avec des mariachis, du pulque bien fermenté, du mole de dindon et un zapateado. Dis à Ella de ne pas aller m’inventer je ne sais quel prétexte pour se défiler à la dernière minute, ou sinon, sérieux, je me dispute avec elle.
Sache, mon pote, que chez moi c’est chez vous, les portes de ma maison vous sont grandes ouvertes, comme mon cœur ; vous verrez, après New York la belle, c’est une vraie cure de repos qui vous attend ; toi comme Ella, vous avez bien mérité de vous affaler sous le soleil ne serait-ce qu’une heure par jour, sans vous inquiéter ni travailler tout le temps comme des forcenés. Alors préparez vos affaires et ne vous défilez pas : venez tous les deux comme des enfants bien sages passer un moment loin des remous niouyorquais.
What do you say Kid ? Please don’t défile you et don’t fais faux bond, car je vous attends de pied ferme dans notre fourmillante et mésestimée Mexicalán de las tunas.
Je veux que cette lettre s’en aille à tire-d’aile, autrement dit en avion, pour qu’elle atterrisse au plus vite entre tes mains, je n’ai donc pas le temps de me répandre en ragots ni de raconter grand-chose, mais je t’ai déjà dit l’essentiel ; j’attends ta réponse pour savoir si je peux compter sur vous pour de bon ou si je suis juste en train de rêver les yeux ouverts.
Tu sais qui est ici, au Mexique ? La femme d’Ernest Born, celui qui a fait les reproductions de l’École pour Architectural Forum. Il y a un bon paquet de gens que vous connaissez, ce sera chouette quand vous serez là.
Bon, mon pote, je te dis au revoir en attendant de connaître la date de votre arrivée, qui fera le bonheur de la
Chicua Rivera et son bien-aimé ventripotent
Mille baisers à Ella.
Le bonjour à tous les potes (tout spécialement à Jay).
Diego va t’écrire très bientôt.