Lettres à Alejandro Gómez Arias

8 août 1927

 

(…) Je ne saurais te dire si je vais mieux ou pas, car les résultats de la radio ne sont toujours pas arrivés, mais les douleurs persistent et avant-hier j’étais au trente-sixième dessous. Lira a bien voulu aller chercher son père pour qu’il me regarde de plus près que les autres. Ce serait trop long de t’expliquer tout ce que j’ai d’après lui, mais je crois que ce qui l’inquiète pas mal, c’est ma jambe : le nerf sciatique est touché au niveau des vertèbres. Il dit qu’il faudrait m’appliquer le thermocautère, je ne sais pas pourquoi. On m’a donné une vingtaine d’avis divergents, mais le fait est que je vais toujours aussi mal et que tout le monde s’emmêle les pinceaux (…) Mes réserves d’optimisme sont épuisées, je perds espoir à nouveau, mais cette fois j’ai raison, n’est-ce pas ? (…)

*

9 septembre 1927

 

(…) Coyoacán est en tout point pareil : surtout le ciel si pur de nuit. Vénus et Arcturus. Vénus et Vénus. Le 17, notre tragédie aura deux ans, et c’est surtout moi qui vais en garder un vache de souvenir, même si c’est stupide, non ? Je n’ai rien peint de neuf, j’attends que tu reviennes. À présent, les après-midi de septembre sont gris et tristes. Tu aimais tellement les journées nuageuses à l’École, tu te souviens ? Qu’est-ce que j’ai pu souffrir, je suis quasi neurasthénique, gourde à qui mieux mieux, une vraie bonne à rien, crois-moi (...) Je suis en train de lire Cités et Années, de Fedine, une merveille de talent. C’est le père de tute les romanciers modernes (…)

*

17 septembre 1927

 

(…) Je suis toujours malade et presque sans espoir. Comme d’habitude, personne ne me croit. C’est aujourd’hui le 17 septembre, le pire de tous car je suis seule. Quand tu viendras, j’aurai beau vouloir, je n’aurai rien à t’offrir. À la place d’une sombre coquette, tu retrouveras une sombre inutile, ce qui est pire. Tout cela me tourmente en permanence. Toute la vie est en toi, mais je ne pourrai pas la posséder (…) Je suis très simple et je souffre trop, alors que je ne devrais pas. Je suis très jeune et je pourrais aller mieux. Sauf que je n’arrive pas à y croire ; je devrais y croire, n’est-ce pas ? Ça viendra probablement en novembre (…)

*

(…) Ça peut te sembler exagéré, mais j’ai parfois l’impression d’être la plus malheureuse des femmes (c’est un peu vulgaire de jouer les martyrs). En y réfléchissant bien, je me dis que ça n’est pas complètement faux, mais la grande main de Dieu ne m’a pas encore complètement oubliée.

Je me suis laissée glisser dans le bassin ce matin (félicite-moi).

Écoute, mon Alex, je t’adore, promis, ne va pas croire que c’est une illusion d’optique, quand tu viendras je te le dirai de vive voix, hein ? Et toi, s’il te plaît, ne vas pas m’oublier pendant que tu ne m’as pas sous les yeux ; je t’en prie, dis-moi que tu vas m’aimer autant que si tu me voyais, que tu vas m’écrire des lettres longues comme des journaux du dimanche.

Ta copine qui t’aime au-delà de ce que tu peux imaginer.

F.

*

15 octobre 1927

 

Mon Alex,

L’avant-dernière lettre ! Tout ce que je pourrais te dire, tu le sais déjà !

Chaque hiver nous avons été heureux, jamais autant que maintenant. La vie est devant nous, je ne peux t’expliquer ce que cela signifie.

Je continuerai probablement à être malade, mais je ne sais plus trop. À Coyoacán, les nuits sont aussi stupéfiantes qu’en 1923, et la mer, symbole sur mon portrait, synthétise la vie, ma vie.

Tu ne m’as pas oubliée ?

Ce serait presque injuste, tu ne crois pas ?

Ta Frieda

*

14 juin 1928

 

(…) Aujourd’hui plus que jamais je sens que tu ne m’aimes plus, mais je t’avoue que je n’y crois pas, j’ai la foi… ça ne se peut pas. Dans le fond, tu me comprends ; tu sais la raison de tout ce que j’ai fait ! En plus, tu sais que je t’adore ! Tu n’es pas seulement à moi, tu es moi ! (…) Irremplaçable !

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