Lettre à Isabel Campos

New York, 16 novembre 1933

 

Ma belle Chabela,

Ça fait un an que je ne sais rien de toi ni de vous tous. Je te laisse imaginer l’année que j’ai passée ; mais n’en parlons plus, ça ne sert à rien et rien au monde ne parviendra à me consoler.

Nous serons à Mexico dans un mois, alors je pourrai te voir et bavarder avec toi. Si je t’écris, c’est pour que tu me répondes et que tu me racontes des tas de choses, car même si nous semblons nous être oubliées l’une l’autre, dans le fond je me souviens toujours de vous tous et j’ai beau être loin je me dis que toi et les autres, de temps en temps, vous devez vous rappeler que j’existe. Dis-moi ce que tu deviens à Coyoacán, ce havre d’ennui qui devient si beau quand on est loin.

Moi, à Gringoland, je passe mon temps à rêver de mon retour au Mexique, mais à cause du travail de Diego il a fallu rester ici. New York est très joli et je m’y sens bien mieux qu’à Detroit, mais le Mexique me manque. Cette fois-ci, nous y resterons presque un an, ensuite nous irons peut-être à Paris, mais pour l’heure je ne veux pas penser à l’après.

Hier, il a neigé pour la première fois et il va bientôt faire un froid de canard sauvage, mais on n’a pas le choix : il ne reste plus qu’à enfiler un caleçon en laine et à braver la neige. Je porte nos inénarrables jupons longs pour éviter d’être complètement transie, mais tu parles, tout à coup je sens un froid tellement glacial que vingt jupons ne pourraient y résister. Je n’ai pas changé, toujours aussi folle, et j’ai pris l’habitude de porter ces vêtements ringards au possible ; il y a même quelques Ricaines qui veulent m’imiter en s’habillant « à la mexicaine », mais les pauvres, on dirait des navets, je te jure, ce qu’elles ont l’air moches ; ça ne veut pas dire qu’à moi ça me va bien, mais disons qu’au moins ça passe. (Ne rigole pas.)

Raconte-moi un peu comment vont Mari et Anita, Marta et Lolita ; j’ai eu quelques nouvelles de Pancho et de Chato par Carlitos, qui m’écrit de temps en temps. Mais toi, parle-moi un peu de tout ce beau monde. L’autre jour j’ai rencontré un des López, Heriberto ou son frère, je ne me souviens plus, et on a parlé de vous avec beaucoup de tendresse. Il fait ses études à l’université du New Jersey et il est content d’être ici.

Cristi m’écrit peu, elle est très occupée avec les enfants, du coup personne ne me parle de vous. Je ne sais pas si de temps en temps vous voyez Mati, maintenant qu’elle vit à Coyoacán ; elle ne me donne pas de nouvelles. Que deviennent les Canet ? Chabela doit être énorme, et ta sœur Lolita aussi, je ne vais pas les reconnaître quand je les verrai. Tu continues à apprendre l’anglais ? Sinon, je te montrerai à mon retour, parce que « j’aboie » un peu mieux maintenant que l’année dernière.

Je voudrais te raconter des milliers de choses, mais cette lettre deviendrait un vrai journal, alors je préfère m’abstenir pour tout te déverser dessus à mon retour.

Dis-moi ce que tu veux que je te ramène d’ici ; il y a tellement de jolies choses que je ne sais pas quoi choisir, mais si tu as une préférence, tu n’as qu’à me le dire.

Pour mon retour, je veux que tu me prépares un festin de quesadillas à la fleur de courgette, avec un bon petit pulque ; rien que d’y penser, j’en ai l’eau à la bouche. Tu dois me trouver culottée, mais pas du tout ; c’est juste un rappel, histoire que tu ne fasses pas comme si de rien n’était quand j’arriverai. Tu sais quelque chose des Rubí et de toutes celles qui étaient nos amies ? Raconte-moi quelques ragots, parce que, ici, personne ne vient bavasser avec moi, et les ragots, de temps en temps, ça fait du bien aux oreilles.

Embrasse tonton Panchito et Lolita, et aussi la tante Chona (moi, elle m’aime bien). Pour vous toutes, et surtout pour toi, voici mille tonnes de baisers à partager, mais tu te réserves la plus grosse part.

N’oublie pas de m’écrire. Mon adresse est : Hotel Brevoort, 5th Ave. et 8th Street. NYC New York.

Ta pote qui ne t’oublie pas.

Frieda

 

Ne m’oubliez pas.

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