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« Je ne sais plus que faire de moi, avec cette oisiveté forcée », m’a avoué Sahra. Tobo et elle, pelotonnés devant la boîte à brume, partageaient dans la mesure du possible l’existence de Murgen. J’étais toute contente de voir mère et fils si bien s’entendre.

« Il y a toujours du boulot pour ceux qui voudraient placer les pastilles qui nous rappelleront au bon souvenir de tous après notre départ. Et il reste toujours des… choses à balancer dans le fleuve.

— Pour paraphraser Gobelin, le travail ne me manque pas au point de me porter volontaire pour une corvée. Il s’est passé quelque chose ?

— Les gars viennent d’amener le fils de Singh. Joli garçon. Ainsi qu’une paire de rescrits affichés sur les piliers officiels. Depuis que la Radisha est entrée en réclusion.

— Que disent-ils ?

— En gros, qu’elle est prête à offrir une forte récompense pour toute information conduisant à l’arrestation d’un membre quelconque de la bande de vandales qui se font passer pour une Compagnie noire depuis longtemps défunte et troublent l’ordre public.

— Quelqu’un va gober ça ?

— Pourvu qu’elle le ressasse assez souvent. Ce ne sont pas ses racontars qui me dérangent. Mais cette offre de récompense. Un tas de gens ici iraient jusqu’à vendre leur mère. Il lui suffirait d’envoyer dans les rues une paire de jean-foutre qui jetteraient leur fric par les fenêtres en se vantant de l’avoir touché de cette façon pour qu’un crétin réellement informé décide d’en prendre le risque.

— En ce cas, pourquoi ne pas déguerpir tout de suite ? Nous n’avons plus grand-chose à faire ici, pas vrai ?

— Choper Mogaba.

— Laissons-le croire. Lançons une rumeur. Faisons courir des bruits sur la Radisha et le Grand Général. Tout en débarrassant le plancher. Quand dois-tu aller chercher la Clé ?

— Je n’en sais trop rien. Je tergiverse. Le temps qu’un message parvienne à Furtif. »

Sahra a hoché la tête en souriant. « Bien joué. Singh conserve sûrement un atout dans sa manche. »

Saule Cygne s’est joint à nous sans y avoir été invité. « La fille a l’air d’avoir un problème. »

Je lui ai jeté un regard noir. Sahra m’a imitée, mais elle a eu la courtoisie de demander : « La Fille de la Nuit ? Quel genre de problème ?

— Je crois qu’elle a une attaque. Une espèce de crise de haut mal.

— Superbe minutage », ai-je grommelé. Au même instant, Sahra a crié à Tobo d’aller chercher Gobelin. « Que fabriquais-tu près d’elle, au fait, Cygne ? » ai-je grondé.

Ses joues se sont colorées. « Euh…

— Bon sang, mais quel crétin de mange-merde ! Madame t’a tenu la dragée haute. Tu as bavé sur elle pendant des années. Là-dessus, tu as flanqué les boules à dix millions de gens en laissant sa petite sœur menacer de te souffler dans les bronches. Et tu vas maintenant permettre à sa morpionne de t’enfiler un anneau dans les naseaux en te faisant passer pour un couillon plus sombre encore ? Tu es vraiment aussi stupide que pitoyable, Saule !

— Je ne faisais que…

— … penser avec autre chose que ton cerveau ! Comme un malheureux adolescent boutonneux. Cette femme n’a rien d’une adorable jeune vierge, Cygne ! Elle est pire que ton pire cauchemar. Viens ici ! »

Il a obtempéré. J’ai agi soudainement et brutalement, comme j’aurais si souvent aimé le faire avec mes oncles. La pointe de ma dague s’est enfoncée dans sa peau juste sous son menton. « Tu tiens vraiment à connaître une mort stupide, humiliante et inutile ? Fais-le-moi savoir. Je t’arrangerai ça. Sans que nous ayons tous à en payer de nouveau le prix. »

Le caquètement de Qu’un-Œil a résonné dans toute la pièce. « N’est-elle pas magnifique, Cygne ? Tu ferais mieux de t’intéresser à elle plutôt qu’aux veuves noires qui constituent ton ordinaire. » Il était encore assis dans le fauteuil roulant de rechange de Do Trang, mais seul son pouvoir magique le propulsait.

« Je pourrais aussi t’organiser une mort aussi vaine qu’humiliante, vieil homme. »

Il m’a ri au nez. « Tu as invité le soldat Aridatha pour lui présenter son papa perdu de vue depuis si longtemps, Roupille. Tu devrais t’occuper de lui au lieu de flirter avec Cygne. »

Qu’un-Œil se montre parfois exaspérant. Et il adore ça. Dès qu’il peut trouver un levier et un point d’appui… « Explique à Qu’un-Œil ce qu’il arrive à la fille. Occupe-t’en, Qu’un-Œil. Trouve une solution. Tout ce que tu voudras sauf la tuer. Singh refusera de me livrer la Clé si nous assassinons cette sale petite… sorcière. »