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Alors même que les disciples du Bhodi se frayaient un chemin à travers la foule, plus d’un badaud les encourageait d’une tape dans le dos. Les disciples accueillaient ces témoignages avec aigreur. Ils leur enseignaient que de nombreux témoins n’étaient là que pour se distraire.
Le rituel s’accomplit de la même façon, mais plus promptement, car il crevait les yeux que les Gris prévoyaient des problèmes et avaient reçu l’ordre de les devancer.
Le prêtre agenouillé vêtu d’une toge orange s’enflamma au moment précis où les Gris commençaient à faire dégager la voie à ses assistants.
Un panache de fumée jaillit vers le ciel. Une tête de mort de la Compagnie noire prit forme à l’intérieur : œil maléfique sondant jusqu’au tréfonds l’âme de tous les témoins. Une voix tonna dans l’air matinal : « Tous leurs jours sont comptés. »
Et le mur de madriers servant de cache-misère à la reconstruction de la muraille d’enceinte s’anima. Des personnages fluorescents vert citron, grandeur nature, rampaient lentement sur le mur, allant et venant en proclamant « L’eau dort » ou « Mon frère impardonnable ».
Volesprit en personne apparut sur les remparts. Sa fureur était tangible.
Un deuxième nuage de fumée, plus large que le précédent, jaillit du disciple embrasé. Un visage – celui du capitaine, du moins le plus ressemblant qu’avaient pu obtenir Gobelin et Qu’un-Œil – annonça aux milliers de personnes présentes, prises d’un effroi silencieux : « Rajadharma ! Le devoir des rois. Sachez que la royauté est un mandat. Le roi est le plus zélé et consciencieux serviteur de son peuple. »
J’ai entrepris de m’éclipser en douce. Un tel spectacle risquait fort d’inciter la Protectrice à réagir de manière aussi impulsive que contraire au but recherché.
Mais peut-être pas. Elle n’a rien fait de visible, sauf qu’une brise soudaine s’est levée et a dissipé la fumée. Mais elle a aussi attisé les flammes qui consumaient le disciple du Bhodi. L’odeur de chair brûlée s’est répandue sous le vent.