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Quand maître Santaraksita s’est enquis du motif de mon retard, je lui ai dit la vérité : « Un autre disciple du Bhodi s’est immolé par le feu devant le Palais. Je suis allé voir. Je n’ai pas pu m’en empêcher. Il y avait de la sorcellerie là-dessous. » Je lui ai décrit ce que j’avais vu. À l’instar de nombre de témoins oculaires du drame, Santaraksita semblait à la fois intrigué et révolté.
« Pourquoi penses-tu que ces disciples font cela, Dorabee ? »
Je connaissais la réponse. Pas besoin d’être un génie pour comprendre leurs mobiles. Seule leur détermination restait insondable. « Ils tentent d’expliquer à la Radisha qu’elle ne remplit pas ses devoirs envers le peuple taglien. Ils jugent la situation si désespérée qu’ils ont choisi de faire passer leur message par un médium qu’on ne saurait ignorer.
— Il me semble à moi aussi que c’est effectivement le cas. Mais une question reste pendante. Que peut faire la Radisha ? La Protectrice ne partira pas pour la simple raison que quelques individus trouvent qu’elle nuit à Taglios.
— J’ai beaucoup de travail aujourd’hui, sri. Et je commence en retard.
— Va. Va. Je dois réunir le bhadrhalok. Peut-être pourrons-nous présenter à la Radisha quelques moyens de se débarrasser de l’emprise de la Protectrice.
— Bonne chance, sri. » Il en aurait besoin. Seule la bonne fortune la plus scandaleuse depuis le début des temps pourrait leur fourbir, à lui et à ses compères, les armes capables de vaincre Volesprit. Le bhadrhalok avait de fortes chances d’ignorer la dangerosité réelle de l’adversaire qu’il s’était choisie.
J’ai épousseté, passé la serpillière, vérifié les pièges à rats et, au bout d’un moment, j’ai constaté que presque tout le monde était parti. J’ai demandé au vieux copiste Baladitya où ils étaient tous passés. Il m’a expliqué que les autres copistes s’étaient éclipsés dès que les bibliothécaires les plus anciens avaient rejoint leur réunion du bhadrhalok. Sachant que cette instance n’aurait aucun résultat mais qu’il leur faudrait discutailler, ergoter et fulminer des heures durant, ils s’étaient octroyé quartier libre.
Ce n’était pas une occasion à négliger. J’ai entrepris d’examiner des livres, poussant l’audace jusqu’à entrer dans la section réservée. Baladitya n’en sut strictement rien. Il n’y voyait pas à trois pas.