39
Lord prit le tournant suivant sur les chapeaux de roue, avant de rétrograder jusqu’à une allure plus raisonnable. Il partageait son attention entre les deux rétroviseurs, mais jusqu’à preuve du contraire, nul ne s’était lancé à ses trousses, et la dernière chose à faire eut été d’attirer sur lui l’attention de la police locale. Il lui restait une petite demi-heure pour être à son rendez-vous. Sous réserve de retrouver, dans sa tête, la topographie de cette partie de la ville.
Le zoo se trouvait au sud du centre-ville, à proximité de l’océan et de l’université d’État sise sur la rive du lac Merced.
Lord se souvenait d’y avoir péché la truite, en un temps qui paraissait aujourd’hui fantastiquement éloigné. Quand il n’était encore qu’un modeste rouage associé à la progression inexorable de Pridgen et Woodworth, une époque où seuls sa secrétaire et son chef de service s’intéressaient à ses faits et gestes.
Difficile, à présent, d’imaginer que tout ait pu commencer, une misérable semaine plus tôt, par un repas entre amis, dans un petit restaurant de Moscou. Artemy Bely avait même insisté pour payer l’addition, en s’engageant solennellement à lui laisser régler celle du lendemain. Lord avait accepté, par pure courtoisie, sachant très bien que le jeune avocat russe ne gagnait pas, en un an, ce qu’il gagnait lui-même en trois mois.
Bely avait été un garçon sympathique, très ouvert et pas compliqué pour un kopeck. Mais tout ce qui lui revenait, aujourd’hui, c’était la vision de son corps criblé de balles, allongé sur le trottoir. Et le commentaire d’Orleg disant qu’il y avait trop de morts, trop souvent, dans les rues de Moscou, pour que l’on pût prendre la peine de les couvrir.
Cette ordure d’Orleg…
Au carrefour suivant, il laissa, derrière lui, le pont du Golden Gate et mit le cap au sud, vers la rive océane de la péninsule. Bientôt, apparurent de précieuses pancartes indicatrices. Le chemin du zoo était fléché. Il le suivit à travers la circulation du soir, dont il put s’extraire assez vite, par les collines boisées de Saint Francis Wood, riches en villas retranchées dans la verdure, la plupart au-delà de grilles et de fontaines fallacieusement accueillantes.
Il s’étonnait, rétrospectivement, d’avoir pu s’évader et conduire avec une telle maestria. Le poids de la nécessité. L’énergie du désespoir. Ses muscles protestaient toujours contre la tétanisation imposée par le courant électrique, et son visage cuisait des arrachements répétés du ruban adhésif, mais il se sentait, progressivement, renaître à la vie.
« Faites qu’Akilina m’ait attendu », pria-t-il à mi-voix.
Il se rangea sur le parking brillamment éclairé du jardin zoologique, laissa la clef au tableau de bord et trotta jusqu’à la caisse où il acheta son ticket d’entrée. Le contrôleur lui signala, au passage, que le zoo fermerait ses portes dans à peine plus d’une heure.
Imprégné de son propre sang dilué par les arrosages répétés d’Orleg, son sweater lui collait à la peau comme une serviette humide après un bain de mer. Il avait presque froid dans la fraîcheur du soir, et les nombreux coups reçus avaient inévitablement laissé des marques que rendait douloureuses toute ébauche de sourire. Il devait se trimbaler une sacrée gueule, mais Dieu merci ! l’indifférence générale de la moyenne des gens pour le sort de leur prochain ne risquait pas de lui créer des difficultés supplémentaires.
La plupart des visiteurs du zoo refluaient, d’ailleurs, vers la sortie. Il remonta le flot, très vite, passa devant les singes, puis devant les éléphants, et marcha vers la cage aux lions.
Sa montre indiquait six heures. Les ombres s’allongeaient, la nuit commençait à chasser le jour, le silence n’était plus troublé que par les cris des bêtes, à travers murs et barreaux. L’air sentait la fourrure, et le fourrage. Il pénétra dans le domaine des lions par une double porte de verre.
Akilina se tenait devant l’une des cages. Lord ressentit, pour les animaux emprisonnés, une sympathie soudaine. Lui-même sortait, tout juste, d’un emprisonnement beaucoup moins confortable.
Elle l’aperçut, à son tour, et ses traits s’illuminèrent d’une joie ineffable. Elle se précipita vers lui. Ils se serrèrent l’un contre l’autre avec une ardeur désespérée. Elle tremblait convulsivement dans ses bras.
« Oh, Miles ! J’allais repartir. »
Elle effleura, du bout d’un doigt, sa mâchoire enflée, son œil cerné d’une vaste ecchymose noirâtre.
« Miles ! Qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?
— C’est Orleg et un des salopards de Moscou. Ils me sont tombés dessus à bras raccourcis.
— Je t’ai entendu crier quand je les ai eus au téléphone. »
Elle lui parla de l’homme qui avait pris la communication. Il résuma en quelques phrases :
« Le chef de l’opération est un nommé Zoubarev. D’autres membres du consulat doivent être à sa botte, mais pas Vitenko, le consul. C’est grâce à son intervention que j’ai pu filer. Sans être suivi… je pense. »
Il remarqua le sac pendu à l’épaule d’Akilina.
« Qu’est-ce que c’est ?
— Je n’ai rien voulu laisser à l’hôtel. »
Ce n’était peut-être pas la meilleure chose à faire, mais il se garda de contester son initiative.
« Sortons d’ici. Dès qu’on sera en sécurité, j’appelle Taylor Hayes. Il nous faut de l’aide. Tout ça va beaucoup trop loin.
— Je suis si heureuse que tu m’aies retrouvée. »
Il se rendit compte, à retardement, qu’ils étaient toujours étroitement pressés l’un contre l’autre, et se dégagea légèrement afin de pouvoir la regarder.
« C’est bien, chuchota-t-elle.
— Quoi donc ?
— Que tu aies envie de m’embrasser.
— Comment le sais-tu ?
— Je le sais. »
Leurs lèvres se joignirent pour un premier baiser chaste et passionné à la fois.
Un des félins rugit, dans la grande cage.
« Tu crois qu’il approuve ?
— Et toi ?
— Moi ? À cent pour cent… Il faut qu’on parte. J’ai piqué une de leurs bagnoles, mais il vaut sans doute mieux y renoncer, s’ils déclarent le vol et nous collent la police aux fesses. Il y a une station de taxis, à la sortie du zoo. On va rentrer à l’hôtel que tu as choisi et demain matin, on louera une voiture. Il faut à tout prix qu’on évite l’aéroport et les transports publics. »
Lord accrocha le sac à sa propre épaule. Pas léger, avec les deux lingots d’or. Ils fendirent, la main dans la main, un groupe d’ados retardataires.
Et puis, à cent mètres de là sous les lampadaires de l’allée principale, il aperçut Orleg et Droopy qui venaient à leur rencontre.
Dieu du ciel, comment avaient-ils pu les retrouver ?
Lord empoigna sa compagne par le bras, l’entraîna dans la direction opposée, de l’autre côté des lions, vers un bâtiment qualifié, par une large pancarte, de centre de découverte des primates.
Des singes glapissaient dans leurs cages. Ils remontèrent le sentier pavé jusqu’à l’endroit où il tournait brusquement à gauche. Devant eux, s’étendait une zone écologique d’arbres et de blocs rocheux. Un fossé profond, rempli d’eau, séparait le mur d’enceinte d’un enclos où rôdaient, entre les arbres, une famille de gorilles, un couple d’adultes et trois petits.
Courant toujours, Lord enregistra, au vol, la disposition des lieux. Le sentier aboutissait à une sorte de cul-de-sac divisé en deux moitiés par une barrière centrale. À gauche, les gorilles. À droite, identifiés par une autre pancarte, les bœufs musqués.
Une dizaine de personnes regardaient encore les primates se gorger des fruits mis à leur disposition, au centre de leur habitat.
« Aucune issue », gémit Lord.
N’y avait-il vraiment aucune issue possible ?
Et puis, dans le fond du domaine des gorilles, il repéra une grille largement entrebâillée, donnant probablement sur l’endroit où les bêtes se retiraient pour la nuit. Peut-être pourraient-ils l’atteindre et claquer la grille derrière eux, avant que les singes réagissent ?
Tout valait mieux qu’une impasse. Orleg et Droopy approchaient. Il savait de quoi ces deux sadiques étaient capables. Pas question d’exposer Akilina à leur imagination pleine de ressources. Au-delà de la grille, une ombre bougeait. Quelqu’un se déplaçait rapidement, là-bas, hors de vue. Un employé du zoo ?
Sur le chemin probable d’une sortie.
Il balança le sac d’avant en arrière, comme une fronde. L’expédia chez les singes. Le ballot de toile atterrit près du tas de fruits. Les gorilles saluèrent cette intrusion par un premier réflexe de fuite. Et puis, la curiosité l’emporta sur la crainte.
« Allons-y ! »
Il sauta sur le mur d’enceinte. Les autres visiteurs l’observaient, éberlués. Akilina imita son exemple. La douve pouvait avoir trois mètres de large, le parapet, trente centimètres d’épaisseur. Calculant son élan, Lord se propulsa au-dessus du fossé. Toucha terre sur la rive opposée, une douleur aiguë remontant de sa cheville blessée jusqu’à son genou et sa cuisse.
Orleg et Droopy apparurent au moment où Akilina, aérienne, s’envolait. Oseraient-ils les suivre ou faire usage de leurs armes en présence de nombreux témoins ? Plusieurs spectateurs s’étaient mis à crier, et l’un d’eux réclamait la police.
Droopy sauta sur le mur d’enceinte. Il allait essayer de franchir la douve quand l’un des gorilles adultes vint se planter en face de lui, sur le bord du fossé. Debout sur ses pattes de derrière, il lança un grondement de défi. Droopy s’immobilisa.
Lord fit signe à Akilina de courir vers la grille. L’autre gorille adulte s’approchait de lui, bondissant et rebondissant souplement sur ses quatre membres. D’après sa taille et son comportement, Lord déduisit qu’il devait s’agir du mâle, un superbe animal d’un gris-brun satiné, avec des zones de court pelage très noir au niveau de la poitrine, des paumes et de la face. Le dos barré d’un rectangle de poils argentés, presque blancs.
Dressé de toute sa taille, le torse bombé, les naseaux dilatés, il menaçait le monde entier de ses grands bras tendus, d’une souplesse inhumaine. Lui aussi lança un rugissement sonore, à pleine gorge, et Lord se figea sur place.
Le second adulte, de plus petite taille, tirant sur le roux, probablement la femelle, coupait la route d’Akilina. Lord aurait voulu l’aider, mais son propre problème n’était pas résolu. Il espérait que tout ce qu’il avait entendu, jadis, au zoo d’Atlanta, n’était pas illusoire. Que ces énormes bêtes hurlaient plus fort qu’elles ne mordaient, et que leur danse de guerre n’était rien de plus qu’une manœuvre de diversion et d’intimidation, rarement suivie d’une réelle agression physique.
Du coin de l’œil, il vit que Droopy et Orleg battaient en retraite. Trop de témoins potentiels. Ils devaient avoir reçu des ordres dans ce sens.
Mais comment se soustraire, eux-mêmes, à tous ces regards braqués ? Il leur fallait éviter, coûte que coûte, de retomber sous la coupe des Russes et d’avoir également, jusqu’à nouvel ordre, à rendre compte de leurs actes à une police locale probablement déjà alertée.
Ils devaient absolument atteindre cette grille en dépit de la présence du colosse velu qui se martelait à présent la poitrine, de ses énormes poings fermés.
La femelle parut se désintéresser d’Akilina, qui fit un pas en avant. Mais ce n’était qu’une feinte. La bête opéra une volte-face, et Akilina réagit à sa manière. En agrippant, d’un saut, la branche d’un peuplier qui surplombait le terrain. Pivotant gracieusement autour de son trapèze improvisé, elle gagna, en souplesse, une branche plus élevée.
Surprise, la femelle entreprit de la suivre. Lord remarqua que son visage s’était curieusement adouci. On eût presque dit qu’elle souriait. Comme si la conduite insolite de cette créature humaine si différente des autres, loin de constituer une menace, l’invitait au contraire à quelque nouveau jeu dont il ne lui restait qu’à découvrir les règles.
Les branches du peuplier rejoignaient celles de ses voisins, et l’aire de jeu tridimensionnelle s’agrandissait à mesure que la jeune acrobate virevoltait de branche en branche et d’un arbre à l’autre. Avec la guenon dans son sillage, à deux ou trois longueurs.
Le mâle, en face de Lord, avait cessé de se frapper la poitrine pour reprendre position sur ses quatre membres.
De l’autre côté de la grille, une voix féminine lui parvint soudain :
« Je ne sais pas à quoi vous jouez, mais en tant que directrice de cette section, je vous conseille fortement de ne plus bouger d’un poil.
— Je peux vous assurer, madame, riposta Lord, sur le même ton, que je n’ai pas du tout envie de jouer !
— Je suis juste en dehors de l’enceinte rocheuse. Après la grille. C’est là qu’ils passent la nuit. Ils ne vous attaqueront pas avant d’avoir absorbé toute leur nourriture. Vous avez devant vous le roi Arthur. Il est plutôt inamical. Je vais essayer de le distraire pour que vous puissiez passer par ici.
— Mais mon amie a un autre genre de problème.
— J’ai vu ça. Une chose à la fois, je vous prie. »
Le roi Arthur s’approchait du sac.
Impossible de le lui laisser.
Lord dériva prudemment dans sa direction, mais le singe fit un bond en avant, grondant comme pour lui ordonner de se tenir tranquille.
Il obéit. La voix ajouta :
« Gardez-vous bien de le défier. »
Le gorille exhibait ses canines. Lord n’avait aucune envie de s’y frotter. Il se retourna vers les arbres où Akilina et la guenon poursuivaient leur partie de cache-cache à travers les feuillages. Akilina ne semblait courir aucun danger immédiat. Elle se maintenait hors de portée de l’animal, multipliait les feintes et, sur un ultime tourbillon, autour d’une branche flexible, lâcha tout pour atterrir, en parfait équilibre, sur le sol rocheux.
Sa partenaire de jeu voulut en faire autant, mais, beaucoup plus lourde, s’écrasa de tout son long sur la terre ferme. Akilina en profita pour franchir la grille.
Restait Lord.
Le roi Arthur s’était emparé du sac. Il essayait, maladroitement, d’en explorer le contenu. Lord tenta de s’en saisir, espérant être assez rapide pour le lui reprendre et foncer vers la grille. Mais le gorille possédait, lui aussi, des réflexes prompts. Sa main empoigna le chandail de son adversaire. Qu’il lui arracha, en force, sans que Lord fit un geste pour l’en empêcher.
Le singe tenait à présent le sac d’une main, le chandail de l’autre.
Lord ne bougeait pas.
Finalement, le gorille rejeta le chandail et s’efforça, une fois de plus, d’ouvrir le sac. En le déchirant, si nécessaire.
« Allez-y ! cria la femme.
— Pas sans mon sac ! »
Le grand singe cherchait toujours à déchirer le sac, en y mettant les dents. L’étoffe du solide bagage à main résistait encore. Au comble de la frustration, le roi Arthur le projeta contre la paroi rocheuse. Se précipita pour le ramasser et le jeter encore, à toute volée.
Lord fit la grimace.
L’œuf de Fabergé ne supporterait pas un tel traitement. Avec une parfaite inconscience, il plongea pour reprendre le sac alors que le gorille l’expédiait de nouveau contre la roche. Il allait y parvenir quand la femelle s’interposa dans sa trajectoire et le précéda, d’une fraction de seconde.
Courroucé, le roi Arthur empoigna la femelle par la nuque et l’envoya rouler à trois mètres. Lord en profita pour foncer vers la grille.
In extremis, toutefois, le grand singe réapparut entre lui et la sécurité entrevue.
Ils étaient tout proches de la grille, l’un et l’autre. À courte distance, l’odeur du gorille était encore plus insoutenable que son regard terrible et ses grondements furieux. Sa lèvre supérieure retroussée exposait des incisives longues comme le petit doigt de Miles. Il avait repris le sac et le tripotait, le pétrissait en tous sens comme pour se convaincre de sa réalité.
Lord se tenait parfaitement immobile.
Le roi Arthur lui meurtrit la poitrine de son index raidi. Pas assez fort pour le blesser. Juste assez pour tester sa résistance. Un geste presque humain, et la terreur de Lord s’apaisa d’un seul coup. Il regarda l’animal droit dans les yeux et crut y lire que l’affrontement était terminé. Qu’il ne courait plus aucun danger sérieux.
Le gorille ramena sa main en arrière et recula d’un pas.
La guenon avait rejoint ses petits, après le rappel à l’ordre de son seigneur et maître.
Le roi Arthur continua de reculer jusqu’à ce que le chemin fût totalement dégagé. Lord ramassa le sac et sortit sans courir. La grille métallique put claquer enfin derrière lui.
« C’est la première fois, dit la femme en bouclant la serrure, que je vois le roi Arthur réagir de cette façon. Lui qui est plutôt agressif. »
Lord observa un instant, à travers les barreaux, le gorille qui avait récupéré le chandail et le retournait entre ses grosses pattes. Bientôt, il cessa de s’y intéresser, l’abandonna sur place et se dirigea vers le tas de nourriture.
« Maintenant, conclut la femme en uniforme, vous allez pouvoir me dire ce que vous mijotez, tous les deux.
— On peut sortir par-derrière ?
— Pas si vite. Vous allez attendre l’arrivée de la police. »
Pas question, pensa Lord. Trop d’incertitudes dans les rôles tenus par tous et par chacun, trop de surprises potentiellement mortelles. Lord apercevait une porte de sortie donnant sur un vaste hall qui avait toutes les chances de communiquer directement avec l’extérieur. Il reprit le bras d’Akilina et l’entraîna dans cette direction.
La dame les intercepta à mi-chemin.
« J’ai dit que vous alliez attendre la police.
— Écoutez, madame, la journée a été dure. Il y a là-bas dehors des gens qui veulent notre peau, et je viens de batifoler avec un monstre qui pèse, à vue de nez, un bon quintal et demi. Je ne suis donc pas d’humeur à discuter longtemps, si vous voyez ce que je veux dire. »
La femme eut une dernière hésitation, puis s’écarta d’un pas.
« Excellent choix, madame. Vous avez la clef de cette porte ? »
Elle plongea la main dans sa poche. En sortit un anneau porteur d’une clef unique. Elle la tendit à Lord qui la remercia et sortit avec Akilina non sans avoir verrouillé la porte derrière eux.
Ils trouvèrent rapidement une issue qui débouchait, loin du public, entre deux hangars encombrés de matériel. À l’autre bout, s’étendait un parking réservé au personnel de l’établissement. Revenir vers l’accès principal du zoo était hors de question. Ils coururent vers la route qui longeait l’océan. Ils avaient hâte de quitter le secteur et, par chance, tombèrent assez vite sur un taxi en maraude. Dix minutes plus tard, ils débarquèrent devant l’une des entrées de l’immense parc du Golden Gate.
Ils y pénétrèrent. Devant eux, s’étendait un terrain de football américain, à leur droite, un petit étang. La vue se perdait sur des kilomètres, dans toutes les directions, les bois succédant aux prairies, dans l’ombre envahissante du crépuscule.
Ils s’assirent sur un banc. Lord avait les nerfs à vif. Il doutait de pouvoir jamais en supporter davantage. Akilina l’entoura de ses bras, posa la tête sur son épaule. Il murmura :
« C’est formidable, ce que tu as fait avec ce singe. Tu es une sacrée voltigeuse.
— Je ne crois pas que cette bête me voulait le moindre mal.
— Peut-être pas. Le mâle pouvait m’attaquer, mais il ne l’a pas fait, lui non plus. Il a même empêché sa femelle de me sauter dessus. »
Le sac n’avait pas eu la même chance. Un proche lampadaire les baignait d’une lueur orangée. Pas une âme alentour. L’air glacé charriait des lames de rasoir. Lord regrettait la perte de son chandail.
Il ouvrit la fermeture Éclair du sac de voyage.
« Chaque fois que le roi Arthur le balançait par terre, je ne pensais qu’à l’œuf de Fabergé. »
Il le fit glisser, avec précaution, hors de son étui de velours. Trois des pieds du socle étaient brisés, la plupart des diamants dessertis. Akilina recueillit les précieux débris dans ses mains réunies en coupe. L’œuf lui-même était fendu en deux, comme un pamplemousse coupé par le milieu.
« Il est foutu. Ce truc possédait une valeur inestimable. Encore heureux si sa destruction n’entraîne pas la fin de nos recherches. »
Un examen plus approfondi du désastre acheva de lui retourner l’estomac. Tout doucement, il écarta la fêlure médiane. Le contenu était blanc et duveteux. Une sorte de matériau protecteur. Il en tira une pincée, et c’était du coton. Tellement tassé qu’il était difficile de l’extraire. Il poursuivit son exploration, en quête d’un mécanisme analogue à celui qui avait déployé les trois miniphotos en éventail.
Le bout de son doigt rencontra quelque chose de dur et de lisse.
En se rapprochant de la lumière, ils retrouvèrent l’éclat de l’or ainsi qu’une inscription gravée.
Sans hésiter davantage, il ouvrit l’œuf en deux, comme une grenade trop mûre.