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22 h 25
GMT
Shepherd’s Bush,
Londres
Ils s’installèrent tous dans le salon saccagé, illuminé par deux bougies parfumées que Jenny avait trouvées dans la cuisine. Andy et sa famille étaient assis sur le canapé en cuir taché et lacéré, Mike avait pris place sur l’unique chaise en bois de la cuisine qui n’avait pas été réduite en miettes.
« Il y a du sang frais en bas de l’escalier. Je crois que vous avez fait mouche, déclara-t-il.
— Il avançait, il ne voulait pas s’arrêter, murmura Jenny.
— Vous avez bien fait, rétorqua Mike. Si vous lui aviez laissé faire quelques pas de plus, vous et vos enfants seraient… »
Il regarda les yeux écarquillés de Jacob.
« Disons qu’il aurait atteint sa cible.
— Moi ? » marmonna Leona.
Mike acquiesça.
«Écoute, Mike, si c’est vraiment ton nom… » déclara Andy d’une voix hésitante.
L’Américain sourit.
« Mike, c’est mon vrai prénom.
— Je ne sais pas du tout qui tu es. Je croyais le savoir en Irak… mais je n’en ai plus aucune idée, aujourd’hui.
Tout ce que je sais, c’est que des connards influents veulent ma fille. Qui sont-ils, Mike ? Et qu’est-ce que toi et tes potes venez faire là-dedans ? demanda-t-il en jetant un coup d’œil vers l’un des hommes qui montait la garde dans le couloir.
— Je peux t’en dire bien plus sur nous que sur eux. C’est pour ça que ta fille nous est précieuse.
— Alors, parle-moi d’abord de vous.
— Je travaille pour une… appelons ça une agence. Un petit organisme qui appartenait au FBI, il y a bien longtemps. À présent, nous fonctionnons grâce à des financements privés, ce qui nous permet d’évoluer en toute discrétion. On ne fait qu’une seule chose, dans notre agence, Andy, une seule chose… on essaie de les trouver. »
Il se frotta la barbe en cherchant comment continuer.
« Eux… Ils… ils n’ont même pas de nom ; ils sont très malins. Ils n’ont ni logo ni devise, ils n’ont pas de siège social, ils n’ont aucun pays d’attache, ils n’ont aucune étiquette politique, ils n’adhèrent à aucune idéologie. Ils ne sont que richesse et influence. Ils forment un club. Nous… ma petite agence a été créée il y a quarante ans, Andy, en 1963 pour être exact, juste après que ce club a décidé qu’ils avaient mis la mauvaise personne à la Maison-Blanche.
— Mon Dieu… Kennedy ?
— C’est son frère, Robert, qui a mis en place notre équipe après l’assassinat. C’est pour ça que ces connards l’ont allumé, lui aussi. Depuis, on doit travailler dans l’ombre.
— Merde, murmura Andy.
— Ouais. Il y a huit ans, tu as travaillé pour un groupe de gens très influents et très dangereux. Il est impossible de percer l’aura secrète qui les entoure. En quarante ans, on a appris peu de chose : tout juste qu’ils sont cent soixante membres, dont douze qui prennent les décisions capitales.
— Vous devez bien avoir une idée de leur identité, non ?
— On peut essayer de deviner. C’est tout ce qu’on a été en mesure de faire, depuis ces années. On a été en contact avec un informateur, rien de plus : si tu suis la politique européenne, tu connais sûrement son nom… il nous a parlé deux fois, très brièvement, avant qu’ils lui règlent son compte. »
Son regard glissa d’Andy à Leona. « Et voilà, on arrive à vous deux. Andy, tu as fait affaire avec eux. Tu as été en contact direct avec les Douze. Est-ce que tu avais la moindre idée de l’identité de tes interlocuteurs ? »
Andy haussa les épaules. « Je me disais que c’étaient des dirigeants d’une boîte pétrolière. »
Mike pouffa de rire. « Le monde est une pyramide de pouvoir. On fait souvent l’erreur de croire que le gouvernement est au sommet de cette pyramide. C’est une grave erreur. Les gouvernements sont de simples outils que les Douze manipulent à leur guise. Il y a des sociétés qui sont la propriété de plus grosses sociétés, qui elles-mêmes sont la propriété d’immenses sociétés. Plus elles sont importantes, et moins les gens connaissent le nom des dirigeants. Ces énormes sociétés sont la propriété de banques, qui sont contrôlées par des banques plus grosses dont, une fois encore, on connaît rarement le nom des responsables… Et pour finir, ces banques sont entre les mains d’actionnaires : des actionnaires très riches et très secrets. Si je voulais deviner qui sont les Douze, je commencerais à chercher par là. »
Il adressa un sourire à Leona avant de poursuivre.
« Mais on dirait bien que tu as vu plusieurs d’entre eux. Encore mieux, tu en as reconnu un : quelqu’un que tu as vu à la télé juste avant que les choses partent en vrille, pas vrai ?
— Oui, mais je ne sais pas qui c’est, je ne connais pas son nom.
— Peu importe. Ce qu’on va faire dans l’immédiat, c’est t’emmener dans un endroit sûr. On te montrera des photos et tout ce que tu auras à faire, c’est nous dire lesquels tu as vus. »
Il se tourna vers Andy.
« Dans la tête de ta fille se trouve actuellement l’information la plus importante au monde. Cela rend Leona très précieuse à nos yeux, mais pour eux, elle représente un vrai danger.
— Et l’homme qui était ici ? demanda Jenny. Il était des leurs ? »
Mike resta prudent.
« Il est parti, mais peut-être pas bien loin. On va attendre patiemment le lever du jour.
— Mais s’il revient ? demanda Andy.
— Mes hommes surveillent la porte de devant et celle de derrière. Ils sont bien équipés et bien entraînés : ils ont des viseurs à infrarouge et des gilets pare-balles. Ils sont très compétents. »
Jenny hocha la tête.
« Vous savez, je l’ai presque laissé monter. Il était si convaincant.
— Et il est aussi redoutable, intervint Mike. Je crois qu’on le connaît. Enfin, du moins, on connaît ses œuvres. C’est leur meilleur homme de terrain, je suis sûr qu’ils l’ont déjà employé à maintes reprises. Il travaille seul, en parfaite autonomie. Je ne l’ai jamais vu, mais j’ai été témoin du résultat de son travail. »
Il fit une pause. «Pas joli à voir, j’aimerais tant qu’on en sache plus à son sujet. »
Jenny se tourna vers Andy. « Alors on est en sécurité ? Je veux dire, les enfants… toi et moi ? »
Andy lui serra la main. « Je crois que oui, répondit-il d’une voix fatiguée. On a survécu au pire, Jen. »
Mike se leva et tapota l’épaule d’Andy. « Votre mari s’est révélé être un vrai baroudeur, en Irak. Un fin penseur et un très bon homme de terrain. Si vous ne me faites pas encore confiance, vous pouvez vraiment vous fier à lui. »
Jenny regarda son mari.
« Je te fais confiance. Je suis désolée de ne pas l’avoir fait avant… tous ces événements.
— Vous devriez dormir, si vous y arrivez. On partira au petit matin, annonça Mike. On va vous emmener dans un endroit sûr.
— D’accord. On va rester au rez-de-chaussée, si ça ne pose pas de problème.
— Parfait. C’est bien, vous serez tout près de moi, je pourrai garder un œil sur vous plus facilement. Essayez de dormir. Je vais aller voir comment vont mes gars. »
Mike sortit et les laissa se blottir les uns contre les autres sur le canapé. Jacob, qui dormait à demi, posa plusieurs questions auxquelles ni Andy ni Jenny ne purent répondre correctement. Ils se serrèrent et, après quelques mots chuchotés et des larmes de soulagement partagées, Jenny, Leona et Jacob s’endormirent.
Andy sentait l’épuisement l’envahir rapidement. Le chœur des respirations régulières et parfois agitées de sa famille et le murmure lointain de Mike et de ses collègues étaient suffisamment réconfortants pour qu’il s’abandonne et les rejoigne dans le sommeil.