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3 h 25, heure locale
 
Sud de la Turquie

 

 

« Vous rigolez ? C’est loin ? demanda Andy, une fois descendu du bus.

— Non, je rigole pas. Et c’est pas loin, quelques kilomètres, à peine. La piste d’atterrissage n’est pas assez large pour les gros avions de transport et… merde, elle est pas tout à fait assez longue. Mais on arrive à faire circuler un flot régulier de Cl30.

— Vous pouvez nous faire partir d’ici ?

— Putain, j’en sais rien. On tombe sur pas mal de soldats errants comme vous, américains, anglais, parfois même des gars de l’ONU du monde entier. On a des avions qui vont et viennent comme des taxis. C’est un vrai foutoir. Un putain de foutoir. Et on a aussi toutes sortes de gens qui s’agglutinent devant la piste : des Turcs, des Kurdes, des Irakiens, ils veulent qu’on les emmène ailleurs. Comme si c’était mieux ailleurs.

— Et comment ça va, ailleurs ? On n’a eu aucune nouvelle depuis mardi. »

Le sergent lui jeta un regard incrédule. « Vous êtes pas au courant ? »

Andy hocha la tête.

«Pour résumer, c’est… la merde. On a eu des émeutes dans les magasins, chez nous. Mon État est sous loi martiale. Y a des camps d’internement partout. Et je suis sûr qu’on est mieux lotis chez moi que dans la plupart des autres coins.

— Des nouvelles de l’Angleterre ?

— Pas vraiment, mais j’ai entendu suffisamment d’infos pour savoir que vous avez trinqué pas mal. C’est le bordel partout.

— Seigneur.

— Bref, écoutez-moi, retournez dans votre bus et un de mes gars va vous guider jusqu’à la piste. Ne perdez pas de temps. On garde le contrôle encore un peu, jusqu’à demain après-midi, peut-être. Et puis après, on se casse d’ici. »

Andy fit demi-tour pour remonter dans le bus.

« Dites, attendez ! le rappela l’Américain. Je suis désolé pour les… On ajuste… On a essuyé pas mal de tirs et d’embuscades au cours de la semaine, vous savez… Mes gars sont sur les nerfs. »

Andy acquiesça mais ne répondit rien. Désolé ne réparait rien. Ça ne ramènerait pas à la vie les quatre jeunes soldats allongés sur le bas-côté, ni le vieil interprète irakien.

Il retourna au bus. Westley et Derry avaient transporté le corps de Farid et l’avaient placé près des quatre autres, épaule contre épaule. Ils ne l’avaient peut-être pas fait consciemment, ou peut-être que si, mais ce geste révélait quelque chose de ces gars. Andy se sentit fier de s’être battu à leur côté jusqu’aux frontières de l’Irak.

Bravo, les gars.

Il s’approcha de Westley.

« Ça va ?

— C’est déjà dur de perdre des potes sous les tirs ennemis… »

Il ne termina pas sa phrase mais Andy savait ce qu’il voulait dire.

Mais ça craint vraiment de les perdre sous un tir ami.

« Faites remonter les gars à bord. Les Ricains vont nous emmener à une piste d’atterrissage pas loin d’ici. »

Westley redressa le menton. « Sérieux ? »

Andy lui adressa un sourire épuisé. « Ouais. On dirait bien qu’on a notre billet de retour. »