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20 h 24, heure locale
 
Baïji, Irak

 

 

« Merde, ils se dirigent vers nous », siffla Carter.

Andy scruta la rue étroite. Ils n’avaient nulle part où se cacher, la voie était large d’à peine un mètre, encombrée de boîtes et de contenants métalliques. Rien de suffisamment grand pour les abriter. D’une seconde à l’autre, les miliciens que le lieutenant avait repérés tourneraient dans la ruelle et le faisceau de leurs lampes dévoilerait leur présence.

Andy remarqua une petite porte dans le plâtre émietté du mur à leur gauche. « Essayez là », marmonna-t-il à Derry, le jeune soldat à ses côtés.

Le lieutenant Carter approuva. « Vas-y. »

Le soldat attrapa la poignée et la tourna. Elle était verrouillée ou bloquée. Elle grinça tandis qu’il tirait et poussait désespérément.

« Putain, Derry, espèce de pédé, mais enfonce-la », râla le sergent Bolton adossé contre le mur, le visage cireux.

Le soldat Derry fit un pas en arrière, leva son pied botté et frappa le métal de toutes ses forces. Une pluie de flocons rouillés tomba à terre, la porte vibra à grand bruit contre le chambranle, mais le verrou ne céda pas. Derrière eux, sur la voie principale, ils entendirent des voix s’élever et des faisceaux balayer l’entrée de la ruelle, dansant et tressautant tandis que les miliciens couraient dans leur direction. Ils avaient entendu le raffut et venaient en inspecter la source.

Le soldat Derry appliqua sa botte une seconde fois sur la porte, juste à côté du verrou qui, sous le coup de l’impact, éclata en un bruit de ferraille.

« Allez, allez, allez ! » cria Carter. Derry ouvrit la marche et Andy lui emboîta le pas. Deux autres soldats et Carter soulevèrent le sergent Bolton et le portèrent à l’intérieur pendant qu’un dernier homme tirait pour couvrir leur avancée, puis s’élançait à leur suite.

La pièce était plongée dans une obscurité totale et Andy fut obligé, une fois encore, de tâtonner pendant que les autres parvenaient à deviner quelques détails du terrain à travers leur viseur infrarouge. Un escalier en ciment menait à l’étage supérieur et les murs semblaient être faits de parpaings, lui écorchant le bout des doigts quand il essayait de s’en servir comme repère.

Ils prirent un virage sur les marches en béton vers un deuxième étage lorsqu’il leur sembla qu’on enfonçait un marteau contre la porte en métal rouillé. La cage d’escalier sombre fut soudain éclairée d’étincelles tandis que des salves perforaient la porte.

« Putain, grouillez-vous ! » cria un des soldats derrière Andy.

Ils coururent dans le noir jusqu’au deuxième étage, où une porte ouverte apparut devant eux. Andy apercevait la lueur de la lune dans l’embrasure.

Au rez-de-chaussée, la porte fut enfoncée. Il entendit des bruits de pas et vit les faisceaux dansants qui gravissaient les marches à leur poursuite. Le soldat derrière Andy le poussa sans ménagement vers la porte ouverte puis tourna les talons pour se poster face à l’escalier.

La détonation fut assourdissante dans cet espace confiné et ponctuée d’un hurlement en contrebas. Une balle avait atteint sa cible.

Andy trébucha sur les dernières marches menant à la porte, les oreilles sifflantes. Ils débouchèrent sur un long balcon qui surplombait la rue. Andy la reconnut, c’était celle qu’ils avaient empruntée le matin même.

Sous eux, à moins de cinq mètres, Andy vit plusieurs hommes et garçons armés qui avançaient dans la rue en groupes disparates, le faisceau de leurs lampes courant en arcs de cercle sur la voie. Ils les cherchaient désespérément.

Oh, merde. Ne levez pas la tête, je vous en supplie.

Devant lui, Carter, Bolton, Derry et l’autre soldat s’inclinaient au maximum en avançant sur le balcon, une structure à peine plus haute que la taille, un amas de parpaings abîmés et branlants qui les protégeaient de la foule en contrebas. Derrière lui, par la porte ouverte, Andy entendait le barrage de feu que produisait le dernier homme de leur groupe, déterminé à contenir le flot de la milice dans les escaliers.

Andy resta à la hauteur des autres, s’efforçant d’éviter les fauteuils en osier, les jouets d’enfants et les plantes en pot déposées devant la succession de portes d’entrée. De petites fenêtres donnaient également sur le balcon et derrière plusieurs d’entre elles, maculées de saleté et de poussière, il devina les visages terrifiés de femmes et d’enfants.

Les coups de feu s’interrompirent soudain dans les escaliers. Andy se retourna en espérant apercevoir leur soldat dans l’embrasure de la porte.

Une détonation retentit.

Une balle dans la tête, c’est sûr. Notre homme est tombé.

Ils sortiraient sur le balcon d’un moment à l’autre. « Putain, bougez-vous », se surprit-il à hurler aux hommes devant lui, ralentis par le poids de Bolton qu’ils traînaient à leurs côtés. « Ils sont juste derrière nous ! »

Une seconde plus tard, la porte du balcon s’ouvrit dans un claquement, suivi d’un coup de feu dans son dos. Des détonations sifflèrent autour de lui ; il se prit les pieds dans un fauteuil en osier et s’écroula.

« En bas ! » leur cria Carter.

Andy se redressa à la hâte et courut les rejoindre. Il rattrapa Derry, agenouillé pour tirer deux ou trois salves en direction de la porte. Carter luttait pour diriger Bolton dans une cage d’escalier étroite.

« Filez-moi un fusil, lança Andy au lieutenant Carter. Je vais aider Derry à les ralentir. »

Carter décrocha le SA80 de Bolton et le lui tendit. « Vous savez vous en servir ? »

Andy haussa les épaules.

« Plus ou moins.

— Dieu, aie pitié de nous », lâcha Bolton dans un accent traînant.

Andy plaça l’arme contre son épaule, sentant son poids rassurant entre ses mains. Il fit pivoter le canon, le doigt sur la détente. Bolton et Carter firent une grimace.

« Au fait, le cran de sûreté est retiré, lui annonça Bolton tandis que Carter le traînait tant bien que mal dans les escaliers.

— Merde, désolé », répondit Andy avec un sourire gêné.

Il se retourna et parcourut les quelques pas qui le séparaient de Derry.

Derry tira puis se coucha alors qu’une longue volée atteignait et brisait un énorme pot de fleurs en terre derrière lui. « Putain de putain ! » cria-t-il lorsqu’Andy s’allongea à ses côtés. Il le regarda, surpris de voir un fusil d’assaut dans ses mains.

«Ouais, j’ai le droit d’en avoir un, maintenant », marmonna-t-il. Il se redressa et tira une longue salve sur le balcon qui obligea les miliciens à se plaquer au sol, sans grande nécessité puisque le recul de son arme projeta le canon vers le ciel, ses balles criblant le balcon supérieur.

Derry mit à profit ces quelques secondes grappillées par Andy pour se glisser derrière lui et descendre quelques marches.

« De courtes salves, lui cria-t-il.

— D’accord. »

Andy appuya de nouveau sur la détente, tirant cette fois avec plus de précision.

« Je suis à sec, annonça Derry. C’est pas le meilleur plan pour assurer une couverture, putain.

— Allez-y. Je les retiendrai encore quelques secondes. »

Derry acquiesça et colla une claque dans le dos d’Andy avant de dévaler l’escalier.

Ô Seigneur, mais qu’est-ce que je fous ?

Il se demanda ce que Jenny penserait si elle le voyait jouer ainsi les Bruce Willis.

Il tira plusieurs coups en direction de la porte ouverte à l’instant où Derry arrivait dans la rue. Deux têtes sortirent de l’obscurité et deux AK aboyèrent en réponse. Il sentit l’air se déplacer près de sa joue lorsque la balle siffla à quelques millimètres de sa tête et qu’une autre s’enfonçait dans le mur juste derrière lui.

« Bon, je laisse tomber », gronda-t-il en se relevant pour descendre les marches quatre à quatre à la suite de Derry. Il fit feu en l’air pour dissuader ses poursuivants de lui emboîter le pas trop vite, accordant à leur retraite quelques secondes supplémentaires, du moins l’espérait-il.

Le groupe Whisky se réunit au bas des marches dans une ruelle jonchée d’ordures qui menait à un raccourci d’un mètre de large où s’amoncelait un amas de meubles abandonnés, de bric-à-brac, de végétation pourrissante. Un flot de matière fécale jaillissait d’une sortie d’égout.

« Par là, je pense, lança Carter en montrant le passage.

— Ouais, répondit Andy, hors d’haleine. Où qu’on aille, on ferait mieux de courir. »