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A l’unisson, les danseurs levèrent le pied gauche, puis le baissèrent à l’intérieur du cercle. Le pied droit restait au sol, ancré dans les forces telluriques. Le pied gauche revint, puis se souleva de nouveau. En arrière, en avant. La vitesse augmenta.

Lentement, montait la puissance de la terre.

Assis au pied de l’arbre de vie, Sam observait la Danse.

* * *

Jumelles à la main, Hart étudiait le château.

Weberschloss était quasi inaccessible. Une route suivait la pente escarpée, traversant la forêt jusqu’aux grilles, mais elle était étroite et instable, impraticable en voiture. Un hovercraft serait trop bruyant ; la pente étant trop forte, l’engin avait toutes les chances de perdre son air et de se retrouver coincé au sol.

Non… L’attaque aérienne était la solution la plus logique. Mais elle serait loin d’être facile. Les cours du château n’étaient pas grandes, et les toits trop pointus. Seul un petit engin pouvait atterrir, et même ainsi, les risques de collision restaient élevés. Tout cela en supposant que les défenses antiaériennes soient minimales. Ce qui était loin d’être certain.

Hart aurait pu, bien sûr, se contenter de réduire le château en cendres. Mais le problème n’en aurait pas été résolu pour autant. Les armes seraient demeurées intactes, au cœur du roc. Et l’elfe n’avait pas le budget nécessaire pour faire exploser le flanc de la montagne…, ce qui eût été une solution, sinon élégante, du moins radicale. C’était, hélas, hors de question. Il allait falloir passer par la manière forte…

Weberschloss était un repaire de terroristes qui se faisaient appeler les Herbstgeists, les Fantômes de l’Automne. Jusque-là, leurs opérations avaient été d’importance mineure – et sans doute commanditées par diverses corpos.

Mais si le groupe apprenait sur quel « trésor » il était assis… Si les terroristes découvraient les armes meurtrières dissimulées sous leurs pieds, la situation risquait de changer du tout au tout

Hart soupira, se concentrant sur la situation présente. Les Herbstgeists avaient comme principal inconvénient d’être situés juste entre elle et son but. Un obstacle bien armé, fanatique, et d’une manière générale peu porté sur la négociation. Arachné avait les moyens et le temps de se débarrasser de ses ennemis. Hart ne possédait ni les uns ni l’autre.

Les bombes devaient être neutralisées avant que cette sale bestiole mette la main dessus.

Le gravier crissa. La jeune femme se retourna, observant la naine monter avec difficulté le long du chemin.

Willie Williams était aussi haute que large, et l’effort maculait ses habits et son visage de sueur. Interfacée, la naine haïssait l’exercice. Ses couettes dansaient autour de sa tête, et les datajacks brillaient sous les derniers rayons du soleil.

— Les hommes commencent à en avoir assez d’attendre.

Un léger sourire flotta sur les lèvres de l’elfe.

— Ils sont pressés de passer à l’action ?

— Négatif. Ils n’ont pas très envie de se frotter aux Herbstgeists.

Hart se doutait de la réaction des mercenaires ; elle avait fait de son mieux pour leur dissimuler l’identité de la cible le plus longtemps possible. Mais il avait bien fallu parler.

— Je croyais que c’était des pros.

— Même les pros n’aiment pas se faire massacrer. Ils se demandent si ça vaut le coup.

Hart hocha la tête. Willie n’aurait pas pris la peine de monter jusque-là si elle n’avait pas été réellement inquiète.

— Et toi, Willie ? La naine se mit à rire.

— Je sais pourquoi nous nous battons. Pas eux.

— Ça ne répond pas à ma question.

Willie passa ses mains sur les datajacks de ses tempes. Sur ses paumes, les plaques d’induction grésillèrent légèrement.

— Je préférerais être aux commandes d’un panzer. Mais je ne vais pas laisser tomber.

— J’en suis heureuse, Willie. Il n’y a que toi qui puisses réussir à nous faire entrer là-dedans…

Willie détourna les yeux, sans répondre. Le silence s’abattit sur la colline. Glissant sa main dans son sac ventral, la naine sortit une canette de Kanschlager.

— Une bière ?

— Non, merci.

Willie avala à grandes goulées le liquide ambré.

— Méfie-toi de Géorgie. En 48, il a fait une mission avec un squad Herbstgeists.

— Merci. Je serai vigilante.

Le silence retomba de nouveau.

— Bon. Je vais me faire un dernier check-up avant de partir.

— Tu veux de l’aide ?

— Négatif.

Willie commença à redescendre lourdement le chemin. Hart jeta un dernier coup d’œil au château et soupira. Les choses n’étaient donc pas assez compliquées comme ça ?

Elle espérait seulement que Sam avait raison, et qu’il leur restait un peu de temps avant que les agents d’Arachné entrent en scène.