La musculature de Fantôme le faisait paraître plus petit qu’il n’était réellement.
C’était un samouraï des rues ; contrairement à tous ceux qui revendiquaient ce titre, il montrait peu de signes de cybertechnologie. Seules les plaques d’induction de son module d’interface le trahissaient. Ce n’étaient pourtant pas ses seules améliorations. Fantôme préférait ne pas afficher ses atouts. Etre sous-estimé lui donnait souvent l’avantage…
Dissimulé dans un kiosque à bibelots, Sam l’observait. L’Indien marchait tranquillement dans la foule. Son treillis, ses bottes de saut et sa veste de combat lui ouvraient le passage. Avec sa nonchalance habituelle, il esquivait les passants, qui ne le remarquaient même pas, sans jamais casser son rythme. Il ne fut interrompu qu’une seule fois quand un gros Allemand le percuta. Après une petite bousculade, c’est un Fantôme souriant qui reprit son chemin, semant derrière lui des deutsche marks, des cartes de crédit et des badges corporatifs. L’Indien paraissait flâner, et un observateur aurait pu penser qu’il se dirigeait vers Sam par hasard… Ce dernier sortit du kiosque pour l’accueillir, mais le Peau-Rouge fut plus rapide :
— Ugh, Visage Pâle. Comment va ?
— Ugh, Fantôme. Les affaires, comme d’habitude. Et toi ?
— Beaucoup de travail… pour ne pas perdre de terrain. Wakarimasu-ka ? Les affaires, comme d’habitude.
— Pas trop occupé pour un petit extra, j’espère ?
— Si on est trop occupé pour ses amis, on l’est pour vivre, répondit l’Indien en souriant.
Sam sourit à son tour. Fantôme trouvait à son goût les relations actuelles entre Sam et Sally Tsung. Et Sam préférait un Fantôme amical à un Fantôme jaloux.
— J’ai besoin de ton aide pour trouver une planque pour ma sœur. A l’extérieur de Seattle.
— Pourquoi moi ? Je croyais que tu t’entendais bien avec Hart. Elle a des contacts dans les terres du Conseil. Je suis un gars des villes…
Sam n’avait jamais parlé des contacts de Hart. Quant à Fantôme, il s’inquiétait rarement de ce qui se passait à l’extérieur du métroplexe. S’il en savait autant, c’est que quelqu’un avait mis son nez dans les affaires de Hart. Probablement Sally. Sam soupira, espérant que cela n’allait pas poser de problème…
— Touché, Fantôme. Malheureusement dans ce cas précis, les contacts de Hart ne sont pas assez sûrs.
— So ka. Ta sœur a des problèmes ?
— Elle… elle s’est gobelinisée. Les contacts de Hart ne s’en mêleront pas.
L’aveu était risqué. Fantôme allait-il être tenté par la récompense ? Sam ne savait pas grand-chose de l’Indien ; mais, curieusement, il se sentait prêt à lui faire confiance. Fantôme suivait un code que Sam ne comprenait pas toujours, cependant il était sûr que le samouraï ne vendrait pas son honneur pour quelques crédits. D’ailleurs il n’y avait qu’une seule façon de le savoir…
— So ka, approuva sagement Fantôme. Elle est hors la loi ?
— Comment as-tu…
— Facile, Visage Pâle. Si sa race n’était pas problématique, tu serais passé par Cog ou Castillane Ils sont très forts pour transporter de la marchandise, même vivante. Mais c’est à moi que tu t’adresses. Tu charges un Indien des villes de te trouver une planque en dehors de la ville… De quelle race est-elle ?
— Wendigo. Mais elle n’a jamais tué.
— Et ?
— Si un wendigo n’a pas tué, la malédiction n’est pas complète. Ses péchés peuvent lui être pardonnes et son âme peut être sauvée.
— Ses péchés ? Son âme ? Tu divagues, Visage Pâle. Je ne crois pas en Jésus. J’ai compris très tôt que l’Evangile ne voulait rien dire dans la rue. La dernière fois que j’ai tendu l’autre joue, je me la suis faite remplacer. (Fantôme secoua la tête.) Les wendigos mangent les gens. C’est tout.
— Nous allons la soigner, ajouta Sam.
— Tu es complètement fou. C’est impossible. Si on pouvait transformer ne serait-ce qu’un ork, les médecins et les labos seraient sous le feu des médias en quelques millisecondes. Le monde entier le saurait. Il n’y a pas de pilule, pas de chirurgie, pas de drogue capable de faire ça !
— Nous avons trouvé un moyen. Nous allons la traiter par magie. Fantôme cracha par terre.
— Je sais que tu n’aimes pas la magie. Je ne te demande pas de participer au rituel. Nous avons besoin de la cacher jusqu’à ce que nous puissions agir… C’est ma sœur, Fantôme. Il faut que j’essaye. Je croyais que tu comprendrais. Nous ne pouvons pas la ramener dans le plexe. C’est trop dangereux. Mais il faut qu’elle soit présente pour le rituel !
— Quand la cote est trop haute, le sage ne parie pas, dit Fantôme en s’éloignant.
— J’avais vraiment cru que tu m’aiderais, murmura Sam. Son totem est Loup.
Fantôme se retourna.
— Tu es complètement fou, Visage Pâle, mais tu as des cojones. Et je dois être un peu fou moi aussi. Grand-Père Loup n’aime pas les lâches, et il déteste les gens qui quittent la meute.
— Tu ne la quittais pas. Je ne fais pas partie de ta tribu. Janice non plus. Et je sais que tu es tout sauf un lâche.
— Je ne m’inquiète pas pour toi. Visage Pâle, murmura Fantôme. Tu ne te fous pas de moi ? Elle est vraiment Loup ? Tu le jures sur ton totem ?
Sam confirma.
— Tu ne rends pas les choses faciles, dit Fantôme. Grand-Père Loup n’aime ni les meurtriers, ni les cannibales. Il y a de l’espoir… Peut-être qu’en effet tu peux faire quelque chose pour elle. Combien de nuyens, as-tu dit ?
— Nous n’en avons pas encore parlé. Je n’ai pas grand-chose… 50000. Plus mon aide, à chaque fois que tu en auras besoin.
— Ne t’inquiète pas, Visage Pâle, dit l’Indien. Si ça nous pète à la gueule, l’argent sera le dernier de tes soucis.