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Les défenses astrales du manoir étaient denses et puissantes. Sam resta sagement à l’extérieur et tapota le mur, suivant le rythme qui dansait dans sa tête.

Il n’attendit pas longtemps.

La sphère avait de petits bras et de petites jambes. Elle avançait lentement, à la manière d’un poisson luttant contre le courant. Une fois sortie de la barrière, elle dévoila un œil unique qui fixa Sam avec curiosité.

Le petit esprit était un guetteur, une espèce particulièrement stupide que les magiciens utilisaient parfois comme messagers ou pour de simples missions d’observation. Tout en se demandant quelle était la démarche à suivre, Sam prit la parole :

— Dites au professeur que je désire lui parler.

— Qui ? demanda l’œil d’une voix de fausset.

— Le professeur. Je désire lui parler.

— Qui ?

Le petit jeu fatiguait déjà Sam. D’un geste rapide, il attrapa la sphère et arracha les fils astraux qui la liaient à celui qui la commandait. Les rassemblant, il les tissa d’une autre façon, remodelant l’esprit dans ses mains. Satisfait, il le lança vers la barrière. Le guetteur voleta en caquetant à la recherche du professeur.

Voilà qui aurait sans doute l’heur d’attirer l’attention.

Dix secondes passèrent… et Sam réalisa que le guetteur lui demandait peut-être qui il était, et non qui il voulait voir… Trop tard. Le mur vibrait, s’opacifiant. Sam sentit des présences se réunir en haut de la barrière. Les défenseurs rassemblaient leurs forces. Ils savaient qu’il était là.

Sur sa gauche, une douzaine de formes sortirent du mur et se précipitèrent vers lui. Il crut tout d'abord que les sorts lui étaient destinés, puis réalisa qu’il s’agissait de projections astrales.

Le comité d’accueil des magiciens. Il resta en place et baissa les bras. Les projections s’immobilisèrent à quelques mètres.

Sam reconnut trois personnes. Urdli, Estios et le professeur Laverty. Le visage du quatrième magicien, un nain, lui était vaguement familier.

Laverty fit un pas en avant :

— Vous ne vous annoncez pas de manière très orthodoxe, Sam. J’aurais aimé vous revoir en d’autres circonstances.

— Personne n’est parfait, professeur. Et je m’appelle Twist.

Le professeur inclina la tête. Un-zéro. Sam avait peut-être une chance de conclure le marché pour lequel il était venu…

Urdli rugit :

— Tu nous déranges, mécréant ! Que viens-tu faire ici ?

L’elfe était encore plus impressionnant dans le plan astral que dans le plan physique. Sam sentit sa confiance s’évaporer. Il s’obligea à prendre un ton léger :

— La conscience et la nécessité… Je me suis rendu compte que vous aviez raison, au sujet de ma responsabilité dans l’affaire d’Arachné. (Urdli sourit et Sam ajouta :) Et tort également. Je dois agir. Pas pour ce que j’ai fait, mais pour ce que je suis. Je m’en serais mêlé même si je n’avais pas pris la pierre. La responsabilité, je l’ai vis-à-vis de moi-même. Je dois être loyal envers mon totem.

— En étant loyal envers votre totem, vous êtes loyal envers vous. Et vous vous déchargez de toute responsabilité, conclut Laverty.

— Exactement

— Vous n’êtes pas un homme ordinaire, Twist, dit Laverty en souriant

— C’est un lâche, assura Estios.

— Un voleur et un incompétent, compléta Urdli.

— Et un chaman au pouvoir considérable, ajouta le nain. Mes amis, nous avons besoin de puissance pour combattre Arachné. Ne nous laissons pas aveugler par le préjudice causé ou les antagonismes personnels. Twist a prouvé son courage et ses dons en volant la pierre de la Citadelle. Nous ne devons pas le rejeter.

Il n’y a rien de personnel dans mon jugement, hurla Estios. (Sam réprima un sourire.) Son incompétence est prouvée. Il a laissé fuir un wendigo, et ce parce que la bête avait été sa sœur et qu’il ne pouvait se résoudre à le tuer. Nous ne pouvons pas lui faire confiance.

— Et il a refusé une fois de nous aider, dit Urdli. Il reprendra sa parole dès que son esprit malade trouvera un autre fantasme à pourchasser…

— Assez ! dit Laverty, se tournant vers Sam. Avez-vous du nouveau ?

— Un peu. J’ai besoin d’en savoir plus.

— Et nous donc…, dit Estios.

— Nous pouvons peut-être nous arranger, déclara Laverty, ignorant le jeune elfe. Je suis sûr que vous avez un plan. Pourriez-vous nous en faire part ?

— Je préfère rester dans le vague pour l’instant. Il ne s’agit que d’une ébauche. J’ai besoin d’informations.

— Et vous croyez que nous allons vous les donner ? cracha Urdli.

— Oui. Après tout, nous combattons le même ennemi.

— L’ennemi de mon ennemi n’est pas mon ami. C’est juste un allié durant la guerre.

C’était la réaction qu’attendait Sam.

— Bien. Je ne demande ni votre pitié, ni votre amitié. Et j’ai moi aussi une bonne mémoire. Mais nous pouvons être alliés et mettre nos ressources en commun.

Le mépris vibrait dans la voix de l’elfe :

— Que peux-tu offrir ?

— Vous me surprenez. Il y a quelque temps, vous vouliez mon aide. Ou était-ce juste un plan pour me tuer plus facilement ?

— Tu nous a refusé ton concours. Ta sœur était plus importante à tes yeux que le destin de l’humanité.

— Eh bien j’avais tort, répondit rapidement Sam. Mais je suis prêt à vous aider maintenant. A moins que vous préfériez affronter Arachné seul.

— Je ne suis pas tout seul, dit Urdli, embrassant d’un geste les magiciens rassemblés autour de lui et le manoir.

— Le plan astral est bien protégé, concéda Sam en mesurant la puissance des entités rassemblées. Même si la protection est plutôt défensive. Mais les bombes d’Arachné sont physiques et vous n’avez pas d’armée. (Il s’arrêta un instant, marquant son effet.) A moins que vous n’en n’ayez une ? Ce n’est pas pour les ajouter à l’arsenal de Tir Tairngire que vous courez après ces armes, n’est-ce pas ?

— Je peux vous assurer. Twist, intervint Laverty, que le Conseil préférerait détruire ces engins que les récupérer. Mais nous avons décidé de garder le secret. Nous voulons éviter que certaines corporations ou certains gouvernements apprennent l’existence des armes. Ils s’en disputeraient la possession. Une guerre dans l’ombre que personne ne désire…

— Et qui risquerait de se transformer en quelque chose de plus grave, dit Sam.

— Peut-être. Etes-vous prêt à nous rejoindre ?

— Je vais peut-être plutôt vous laisser me rejoindre, dit lentement Sam. (Les magiciens sursautèrent.) Vous êtes bloqués. Vous savez ce que désire Arachné, vous avez une vague idée de l’endroit où elle compte le trouver. Mais il vous manque des informations spécifiques. Ces informations, je les ai.

— Quelle source ?

— Sources multiples. Nous devons garder cette affaire entre nous, cela est certain. Mais nous devons également agir rapidement, et mes amis et moi-même ne pouvons le faire seuls. Je suis prêt à coopérer. Il y a plusieurs endroits que nous ne sommes pas capables de couvrir.

— Et vous serez assez bon pour nous les laisser, dit Urdli. Je ne t’aime pas, mécréant. Ni toi, ni tes manières. Comment être sûrs que tu n’es pas en train de nous entraîner dans je ne sais quel complot de ta fabrication ?

— Je ne sais pas, dit Sam. Commencez par me faire confiance.

— Je crois que tu bluffes, dit Estios.

— Comme vous voudrez.

Sam se retourna vers le chemin. Laverty intervint :

— Messieurs. Je pense que nous devons discuter de cette proposition.

— Ne perdez pas trop de temps, lança Sam par-dessus son épaule. J’ai déjà une équipe en route pour Deggendorf. Et quand l’attaque va commencer, tout risque de s’accélérer. Vous avez déjà vu une araignée sauter quand on touche sa toile ?

Le nain hocha la tête.

— Deggendorf est à proximité d’un des sites potentiels.

Laverty discutait avec ses collègues. Sam tenta de suivre leurs palabres, mais en vain. Ils étaient bien protégés. Au bout de quelques minutes, le professeur se retourna vers lui :

— Vous pourriez-nous raconter ce que vous avez en tête…

— Dites-moi d’abord quelques petites choses…

— Très bien.

Sam marchanda les informations et exposa son plan. Le fait qu’il ait dû briefer des shadowrunners sur la situation ne leur plut guère, mais le temps manquait. D’autres lieux devaient être protégés. Ils ne pouvaient se permettre de faire l’impasse sur une seule cible.

La discussion se termina. Aucun des magiciens n’était réellement rassuré, mais Sam avait obtenu presque tout ce qu’il désirait

Laverty l’interpella :

— Et vous ? Que comptez-vous faire ?

— Moi ? Tirer des plans sur la comète est très fatigant. Une fois tout cela en route, je pensais partir à la campagne pour danser un peu…