A en croire la puce de crédit, il se nommait Walter Smith.
C’était la meilleure identité de la série que Sam avait achetée à Cog. Jusqu’ici, elle lui avait permis de traverser sans le moindre pépin les postes de contrôle de la Zone du Conseil Sioux. Au prix où il l’avait payée, c’était d’ailleurs la moindre des choses.
Il avait récupéré les données de Dodger. La plupart des noms fournis par le decker étaient utes, ou appartenaient à des individus associés à cette tribu. Il avait alors décidé de passer la frontière. Sa recherche était peut-être vaine. Peut-être. Mais il n’abandonnerait pas.
L’après-midi passait lentement sur Denver. Sam ne tenait pas à traverser la frontière de jour… Il lui restait du temps à tuer. Il en passa une partie dans un terminal-bibliothèque, à se familiariser avec la ville.
Depuis l’effondrement des Etats-Unis et la séparation de Denver en zones, tout semblant de planification urbaine avait disparu. Chaque région urbaine était indépendante. Les différentes parties de la ville poussaient à leur rythme. Les Rocheuses, à l’ouest, demeuraient le principal point de repère. Elles, au moins, n’avaient pas disparu.
Sa lecture achevée, Sam flâna dans un parc, près de l’ancien musée d’histoire, maintenant consacré à la culture indienne. Aller jeter un coup d’œil aux infos sur Coyote Hurlant l’aurait obligé à utiliser sa puce de crédit. Il préféra renoncer. Smith était censé vivre en ville ; la visite des musées est une activité de touriste.
Il y avait des daims dans le parc. Sam sourit. Dans les anciens USA, la chose aurait été impensable. Mais il y avait également des joggers, des promeneurs et des oisifs vautrés dans l’herbe. Sam n’était d’ailleurs pas le seul à porter une arme.
Bon nombre de gars du coin arboraient des charmes porte-bonheur, tissés sur leurs vêtements ou peints- sur leur visage. La mode indienne était encore plus répandue ici qu’à Seattle, et le style Indien des Plaines plus courant. Logique. Après tout les Sioux contrôlaient la zone.
Le crépuscule tomba. Il allait bientôt pouvoir traverser.
Et après ? Il devrait fouiner un peu partout rencontrer des gens, poser des questions. Il regretta l’absence de Hart. L’elfe connaissait Denver.
Il sortit la puce qu’elle lui avait donnée. Elle portait les codes d’entrée d’un bâtiment sûr, dont elle lui avait fait apprendre l’adresse par cœur. Un seul point de chute, pour une ville comme Denver… Sam était certain qu’elle en connaissait d’autres.
Le passé de Hart était encore un mystère pour lui, mais il savait qu’elle était une shadowrunner de réputation internationale, le genre de personne à avoir des abris dans toutes les zones de la ville. Elle ne lui avait pas tout dit Elle prend ses précautions pour l’avenir…
Il espérait de tout son cœur qu’elles se révéleraient inutiles. Il ne voulait pas perdre Hart. Il était heureux avec elle.
Il lui faisait confiance, il lui avait confié ses secrets. Pourquoi n’en faisait-elle pas autant ? Peut-être cela viendrait-il plus tard, s’ils réussissaient à passer quelque temps ensemble, loin des ombres. Mais il y avait peu de chances pour que cela se produise avant la guérison de Janice.
Il eut honte de lui. Ses propres soucis semblaient mesquins en regard de ce qu’endurait sa sœur.
Il eut soudain envie de parler à Fantôme, d’avoir des nouvelles. C’était impossible, bien sûr. Fantôme et Janice étaient quelque part sur les terres du Conseil Salish-Shidhe, injoignables. Et c’était mieux ainsi. Il y avait toujours le risque que les troupes du Conseil remontent à la source de la communication.
Fantôme lui faisait des rapports réguliers. Mais la brièveté des messages était frustrante. Ils ne remplaçaient pas une vraie conversation.
Le soleil se noyait dans un océan de ténèbres. Il était temps de partir.
Sam se joignit à la foule qui quittait le parc, l’abandonnant à la nuit et aux prédateurs.
Il avait si peu de temps, et tant à faire.