CHAPITRE XLIII
En réponse à l’expression incrédule d’Ackbar, Corran Horn esquissa un sourire.
— Si quelqu’un voulait m’appeler à la barre, je pourrais apporter quelques lumières sur le cas du capitaine Celchu, suggéra-t-il.
Le Calamarien ouvrit et referma la bouche plusieurs fois d’affilée, puis désigna la table de l’accusation.
— Commandant Ettyk, vous voulez peut-être rouvrir l’affaire ?
— Oui. Merci monsieur. Nous appelons Corran Horn.
Le pilote avança en claudiquant, posa son fusil-blaster sur une table, et s’approcha de celle de la défense. Il s’accroupit aux côtés de la petite unité R2.
— Merci de m’avoir guidé jusqu’ici, Whistler, dit-il. Sans toi, je me serais égaré.
Le droïd ulula doucement et ouvrit le compartiment logé dans sa tête. Son maître y plongea la main et en retira son médaillon en parfait état, ainsi que la chaîne d’or à laquelle il était pendu. Il le passa autour de son cou, sortit l’autre insigne de sa poche et le mit à la place du premier dans le compartiment.
— Ça n’est pas une très bonne affaire, plaisanta-t-il, mais je te revaudrai ça.
Il leva les yeux vers Tycho, à qui il fit un signe de tête.
— Je te dois des excuses, murmura-t-il. D’immenses excuses. J’ai envers toi une dette dont je ne pourrai jamais m’acquitter. Tout est ma faute, et je suis désolé de t’avoir mis dans cette situation.
— Tu as tort, Corran, assura l’accusé. Tu as été manipulé par l’Empire, comme moi et tout le monde ici. J’accepte tes excuses, mais je ne te reconnais aucune dette envers moi.
— Pourtant je vais payer… ou tout au moins verser un acompte, déclara Corran.
Tycho sourit.
— Effacer mon inculpation pour meurtre est un bon commencement.
— Je peux faire beaucoup mieux. Regarde.
Corran tapota l’épaule gauche de M3 et se pencha vers les capteurs sonores du droïd.
— Ne dis rien, M3. Tais-toi. Tais-toi, murmura-t-il.
La tête du droïd pivota.
— J’avais compris la première fois, monsieur, protesta-t-il faiblement. Il est inutile de me répéter trois fois le même ordre.
Ils t’ont réparé, M3 ? Maintenant, tout est en place.
Corran se releva et retourna devant le tribunal.
Il s’inclina.
— Toutes mes excuses à la Cour, dit-il, mais certaines choses devaient être dites.
— Je comprends, assura Ackbar.
— Lieutenant Horn, je dois tout de même vous poser une question : comment êtes-vous arrivé jusqu’ici ? demanda le général Salm.
— Je suis sorti par la porte arrière du Musée. D’imposants battants métalliques fermaient le tunnel de communication entre les deux bâtiments, mais… (Corran brandit le sabrolaser.)… Vous seriez étonné de l’efficacité de ce genre d’objet… Votre personnel de sécurité était posté devant les accès principaux. Je suis donc arrivé jusqu’ici sans autre difficulté.
— J’apprécie votre critique implicite de notre sécurité, dit Salm, mais ma question avait un sens plus général. Vous, euh… vous êtes mort !
Corran avança en boitillant jusqu’à la barre.
— Je pense que vous voudrez me voir prêter serment avant de répondre à cette question, annonça-t-il. Cela ne rendra pas mon témoignage plus vraisemblable, mais ça vous vaudra une certaine tranquillité d’esprit.
Un huissier s’occupa du pilote. Halla Ettyk s’approcha lentement de lui, comme s’il était radioactif.
— Je ne sais pas très bien par où commencer, admit-elle. Peut-être pouvez-vous dire à la Cour ce qui s’est passé depuis que vous avez été déclaré… hum… mort.
— Bien sûr.
Horn prit une profonde inspiration.
— Je suis certain que le général Cracken me demandera un rapport. Certaines des choses que j’ai à dire ne devraient probablement pas être révélées lors d’une audience publique. Mais je vais tenter d’être cohérent.
— Nous apprécions votre discrétion, lui signifia Ackbar.
— Merci, monsieur. Pour répondre à votre question, j’ai été capturé par les services secrets de l’Empire et emmené à Lusankya. Isard voulait faire de moi ce qu’elle a tenté de faire du capitaine Celchu : un agent impérial qui exécuterait aveuglément ses ordres.
— Vous dites qu’elle voulait vous faire ce qu’elle avait tenté de faire au capitaine Celchu, répéta Halla Ettyk. Ne voulez-vous pas dire qu’elle souhaitait vous faire ce qu’elle a fait au capitaine Celchu ?
— J’ai cru pendant très longtemps qu’elle avait réussi et que l’amnésie de Tycho concernant son séjour à Lusankya était feinte. Mais ce type d’amnésie n’est pas rare parmi ceux qui ont subi le programme d’endoctrinement de Cœur de Glace, expliqua Corran.
« Un peu plus tard, j’ai eu la chance d’accéder aux fichiers informatiques des prisonniers. J’ai d’abord consulté le mien, puis celui du capitaine Celchu, dans l’espoir de prouver qu’il était bien une des créatures d’Isard. Mais il était classé comme moi, c’est-à-dire impropre à la conversion. Pour elle, nous étions aussi durs que de l’acier renforcé.
— Mais ces fichiers auraient pu être modifiés et laissés à cet endroit pour que vous les trouviez, avança Ettyk.
— C’est assez peu probable, pour deux raisons. La première est que cet ordinateur se trouvait dans une zone de sécurité, où j’ai pu trouver un blaster en état de marche et le moyen de revenir jusqu’ici. Étant donné les précautions qu’avait prises Isard pour cacher l’emplacement de Lusankya, je doute qu’elle ait pu laisser un prisonnier accéder à cette zone.
« Deuxièmement, au moment où j’ai consulté les fichiers, elle n’avait aucun moyen de savoir que j’étais en mesure de le faire. Elle pensait qu’un autre prisonnier s’était échappé, pas moi. Dans ce cas, si elle avait tendu un piège, ç’aurait été à lui et pas à moi.
— Malgré tout, nous devons continuer à envisager la possibilité que vous ayez tous deux été convertis et ramenés ici.
— Exact. Mais une fois que mes doutes concernant Tycho ont été levés, j’ai pu l’éliminer en tant que traître infiltré dans l’escadron. Dans ce cas, il ne reste qu’une seule personne susceptible d’être un agent double.
Avant que Corran n’ait pu révéler l’identité du traître, un soldat fit irruption dans la salle d’audience et se précipita vers le général Cracken pour lui parler. Le chef des Services Secrets de l’Alliance bondit sur ses pieds.
— Lieutenant Horn, je vous ordonne de ne rien ajouter pour le moment, lança-t-il. Amiral Ackbar, nous avons besoin de la salle des jurés. Tout de suite !
— Je n’étais pas sur le point de révéler l’un de vos secrets, général, dit Corran après un instant d’hésitation.
— Taisez-vous, Horn ! C’est un ordre ! cria Cracken.
Il avança vers une porte située au fond de la salle d’audience, l’ouvrit et jura.
— Ça n’est pas possible, lâcha-t-il.
Corran suivit le regard du général, braqué vers la grande salle rectangulaire. La pièce était pourvue d’une large baie vitrée donnant sur un balcon. Et dehors…
Corran sentit son estomac se nouer.
Une colossale forme blanche se déplaçait dans le ciel. Un instant, un griffe-ciel suspendu se refléta sur un de ses flancs, puis elle expédia un demi-cercle de flammes vers le sol.
Le vaisseau (à sa taille, Corran devinait que ça devait être un superdestroyer) poursuivit sa route et pointa ses canons sur le bouclier inférieur de la planète.
Au-dessus de la ville avait lieu un ballet aérien d’ailes X et de chasseurs Tie.
Parmi eux, Corran reconnut l’Escadron Rogue.
— D’où sort ce vaisseau ? demanda l’accusé.
Whistler sortit de sa tête un petit capteur et le laissa osciller quelques instants avant de biper timidement.
Les yeux de M3 effectuèrent quelques allers-retours du vaisseau au droïd.
— Monsieur, il dit que les transpondeurs du vaisseau donnent le nom « Lusankya » !
Corran en resta bouche bée.
Il réalisa que ce qu’il avait pris pour des accessoires décoratifs étaient réellement les parties d’un vaisseau. La prison se trouvait à l’intérieur d’un superdestroyer impérial !
Cracken porta un comlink à son oreille.
— Le vaisseau semble être sorti du sol de la ville, au sud-est des monts Manarai. En se libérant, il aurait dévasté une centaine de kilomètres carrés. Des millions de gens ont disparu et sont présumés morts…
— Pouvez-vous l’arrêter ? s’enquit Corran.
— La majeure partie de notre flotte se trouve à… ailleurs, et prépare une opération contre Zsinj. Le reste des appareils est à votre recherche. Pouvez-vous les ramener ici ? demanda Ackbar en se tournant vers Cracken.
— De Borleias ? objecta le général. Il est trop tard.
— Nos Stations Golan ne sont pas assez puissantes pour le détruire, mais elles peuvent au moins le toucher, suggéra Corran.
— Nous sommes sans défense, se désola M3.
Crix Madine secoua la tête.
— Le Lusankya est parti de l’intérieur de nos boucliers, signala-t-il. Qu’il en soit sorti signifie que son but est de fuir, non de conquérir.
Un assistant quarréen fendit la foule jusqu’à l’amiral Ackbar et lui tendit un comlink.
— Ici Ackbar, annonça le Calamarien.
— Ici Antilles, amiral, dit une voix dans le comlink. Nous avons cessé de poursuivre les Tie. Nous retournons à la base pour nous ravitailler en carburant.
Corran frissonna en entendant la voix de Wedge. Il sourit et vit Tycho en faire autant.
— Tu penses à la même chose que moi ? demanda-t-il.
— Si j’avais l’Escadron Rogue à mes trousses, je prendrais aussi mes jambes à mon cou… même à bord d’un superdestroyer.
Ackbar leur coula un regard complice.
— J’adhère à votre plan, assura-t-il à l’attention du chef des Rogues, mais il était inutile de m’en informer maintenant.
— Je sais, admit Wedge. Je vous ai appelé pour vous demander de relâcher Tycho. Il est innocent. Je sais qui a trahi, et je peux le prouver.
— Quoi ? s’étrangla Ackbar. Qui ?
— Erisi Dlarit, répondit Corran.
— Je demandais au commandant Antilles, précisa le Calamarien.
— Qui a parlé ? s’enquit Wedge. Comment connaissait-il l’identité de l’agent double ?
Cracken activa son comlink.
— Commandant, ici le général Cracken, intervint-il. Ne citez plus de noms sur ce canal, il n’est peut-être pas sûr.
— Comment savez-vous qui est le traître ? demanda Ackbar.
— C’est à moi que vous posez la question ? demanda Corran.
— Non. Commandant Antilles, répondez s’il vous plaît.
— C’est simple. À cause de la mort de Corran, je disposais d’un sous-programme qui, relié à ceux de nos droïds astromecs, me permettait de lire leurs données. Erisi a signalé une avarie que ne rapportait pas son unité R5. Elle a dit que le Lusankya était en train de l’aspirer contre sa volonté. À partir de là, c’est devenu évident…
— Exact, approuva Corran. Elle a prévenu les Impériaux du retour de Bror Jace sur Thyferra. Je lui ai dit que quand nous aurions pris Coruscant, je me chargerais de rechercher le traître qui avait infiltré l’escadron. Elle m’a aidé à réviser mon chasseur, tout comme Tycho. Elle connaissait donc les codes. Elle les a transmis à Isard, et j’ai été capturé.
— Pourquoi a-t-elle fait ça ? s’étonna Salm. Pourquoi travailler contre nous ?
— Les cartels du bacta ont été formés sous l’empire, expliqua Wedge. Erisi et les siens ont cru qu’ils perdraient leur monopole si la Nouvelle République parvenait à s’imposer.
— Le vaisseau est en train de sortir du bouclier supérieur, signala Tycho, pointant un doigt vers le ciel.
À peine visible au-dessus d’eux, le Lusankya échangeait des coups de feu avec une station de défense. Celle-ci parvint à endommager les boucliers du superdestroyer, supprimant la sphère d’énergie qui l’avait protégé jusque-là.
Le Lusankya commença à s’éloigner de la station qui continuait à le canarder.
Des explosions balayèrent sa coque, semblant former un mur entre lui et la station.
— Ils ont largué leur berceau propulseur pour pouvoir s’enfuir, réalisa Corran.
— Ils n’ont rien à y perdre : le Lusankya n’aura plus à rester coincé sur une planète, remarqua Cracken.
— Mais tôt ou tard, il sera quand même coincé, intervint Corran, se rappelant la promesse faite à Jan. (Il se tourna vers Whistler.) Peux-tu déterminer les dommages subis par le Lusankya ? demanda-t-il.
L’unité R2 bipa négativement et rétracta ses capteurs.
Corran plissa les yeux, mais le superdestroyer avait disparu.
— Il est passé en hyperdrive, conclut-il. Je ne voudrais pas me trouver à l’endroit où il terminera sa course.
— Il était déjà assez dur d’être à l’endroit d’où il est parti, grogna Cracken. Isard était sous notre nez depuis le début, et voilà qu’elle nous échappe !
— Dois-je en déduire qu’elle a créé la majeure partie des preuves contre Tycho ? s’enquit Halla Ettyk.
— Je dirais que c’est une option raisonnable, approuva Corran. Si Tycho avait été reconnu coupable, elle aurait révélé la vérité, et la Nouvelle République aurait eu l’air aussi injuste que l’Empire.
— Bien que je ne sois pas membre de l’Escadron Rogue, intervint Cracken, je pense pouvoir faire quelque chose pour réhabiliter le capitaine Celchu.
— Impossible, se désola Salm.
— Je pense que si, insista le général. Une cérémonie publique, récompensant les efforts de l’escadron doit avoir lieu prochainement. Nous ferons savoir que le capitaine Celchu a pris part en toute connaissance de cause à un procès truqué.
— Le sort semblait réellement s’acharner sur moi, ironisa Tycho. Je vous félicite pour votre sens de la mise en scène.
— … et sa réhabilitation sera complète, continua Cracken. La présence du lieutenant Horn rend plus évidente encore l’innocence du capitaine Celchu.
Halla leva les yeux vers l’amiral Ackbar.
— Monsieur, au nom des Forces armées de la Nouvelle République, annonça-t-elle, toutes les charges à l’encontre du capitaine Tycho Celchu sont nulles et non avenues.
Le Calamarien esquissa un large sourire.
— C’est avec grand plaisir, capitaine Celchu, que je classe cette affaire, déclara-t-il. Vous êtes libre.