CHAPITRE XVI
Poussé par un Trandoshan, Corran trébucha sur le seuil de la cellule. Quasi aveugle, il se roula en boule, espérant ne pas atterrir sur la tête. Ses tibias heurtèrent quelque chose de dur, puis il rebondit sur son épaule droite avant de s’immobiliser.
Il ouvrit les yeux pour distinguer vaguement un immense barbu qui l’aida à se redresser.
— Belle entrée, railla-t-il.
— Oui, mais on m’a aidé, répliqua Corran.
Il tira sur sa tunique de toile pour la remettre en place. Nu dessous, il ne se sentait pas à l’aise. Il savait que ça faisait partie de la guerre psychologique que Ysanne Isard livrait aux prisonniers. « Refusez-leur des vêtements humains, et vous leur ôtez une partie de leur humanité », semblait être son raisonnement.
— Le Trandoshan n’aime personne, dit le géant. Je suis Urlor Sette.
Il tendit à Corran sa main droite, à laquelle manquaient les deux derniers doigts. Cette infirmité ne semblait pas l’embarrasser outre mesure.
— Corran Horn, répondit le Rogue en lui donnant une solide poignée de main.
— Ravi de faire votre connaissance. Venez, je vais vous conduire au Vieil Homme.
Dans la voix de Sette se mêlaient respect et affection, rappelant à Corran le nombre de fois où lui-même avait appelé Gil Bastra le « Vieil Homme ». Ce doit être le chef symbolique des prisonniers, songea-t-il.
Il réalisa que le parachuter au milieu de la population de Lusankya pouvait être une nouvelle ruse d’Isard pour l’amener à faire d’autres révélations. Il ne se souvenait pas de ce qu’il avait dit lors du narco-interrogatoire. Donc, il ne pouvait pas deviner où elle voulait en venir.
Urlor entraîna Corran plus loin dans la cellule. Une épaisse couche de poussière recouvrait le sol ; elle se souleva sur leur passage. Les deux hommes pénétrèrent dans une salle dont l’entrée était suffisamment basse pour les obliger à baisser la tête.
De l’autre côté, à six mètres d’eux, se trouvait un homme âgé à la barbe et aux cheveux blanchis. Il se redressa et laissa pendre ses jambes hors d’un hamac constitué de vieux morceaux de toile. Corran eut le sentiment immédiat d’avoir déjà vu cet homme, ou un hologramme de lui, mais c’était bien trop ancien pour qu’il puisse s’en souvenir avec précision.
— Monsieur, voici Corran Horn. Ils viennent de nous l’envoyer, commença Sette.
Le vieil homme se leva et tira sur sa tunique en posant sur le nouveau venu un regard de myope.
— Viens par ici, mon fils. Laisse-moi te voir de plus près, dit-il calmement.
Corran s’exécuta, suivi de près par Urlor, qui entendait protéger le vieillard d’une attaque éventuelle, et acheva de se présenter.
— Je suis un lieutenant de l’Escadron Rogue.
— Vous avez un bon chef en la personne d’Antilles… En supposant que Skywalker n’ait pas repris ce poste.
— Non, monsieur, Wedge Antilles l’occupe toujours, et on l’a nommé commandant.
Le vieil homme hocha la tête et dévisagea Corran.
— Vous venez de Corellia ? interrogea-t-il.
— Oui, monsieur.
— Est-ce que je connaissais votre grand-père ?
— Son nom était Rostek Horn. Il appartenait à la CorSec.
— Non, je pensais à quelqu’un d’autre, pendant la Guerre des Clones. Je ne me souviens pas d’un Rostek Horn, même si je l’ai peut-être rencontré une fois ou deux.
Corran sentit que l’homme était plus poli qu’indécis. Si les années avaient marqué son physique, elles semblaient n’avoir en rien entamé ses facultés mentales, et la clarté de son esprit impressionna le jeune pilote.
— Mon nom est Jan, dit l’aïeul en lui tendant la main. (Il désigna Urlor du regard.) Contrairement à ce qu’il vous dira, il n’y a pas de hiérarchie ici. C’était bon pour dehors.
— Enchanté de faire votre connaissance, monsieur.
Jan avait la poigne ferme, malgré l’aspect quelque peu osseux de ses mains. Il se rassit dans le hamac.
— Vous dites qu’Antilles a finalement accepté une promotion ? reprit-il.
— Oui, monsieur.
— Il m’a toujours paru très capable. Bon officier supérieur. Et qui dirige la flotte ?
— Je ne suis pas sûr que vous ayez envie de m’entendre parler de cela, répondit Corran après un instant d’hésitation.
— Très bien, mon garçon. Si vous êtes ici, c’est qu’Isard a aspiré votre vie, comme l’araignée qu’elle est. Mais la prudence est une bonne chose. Certains d’entre nous sont dans ce trou depuis Yavin, et nous nous demandons comment la guerre évolue. Quelques prisonniers qui n’ont fait que passer nous ont informés…
« Nous savons par exemple que l’Empereur a disparu, et avec lui, la seconde Étoile Noire. Mais les nouvelles ont été plutôt rares cette dernière année ; vous êtes le premier militaire non impérial à atterrir chez nous depuis plus de douze mois. Les civils qui sont venus étaient intéressants, mais ce qu’ils savaient de la Rébellion n’égalait pas les nouvelles sources impériales.
— Les Impériaux nous ont fait croire que l’Escadron Rogue avait péri dans un endroit appelé Borleias, ajouta Urlor.
— C’est ce qu’ils auraient voulu, lâcha Corran. L’Escadron Rogue a été gravement touché sur Borleias, mais uniquement à cause d’une mauvaise coordination. Et un mois après avoir été touchés, nous étions de retour et nous leurs reprenions Borleias. De là, nous avons organisé l’invasion de Coruscant.
« L’Escadron Rogue est rentré dans Coruscant et a réussi à faire tomber ses boucliers. Je ne me rappelle rien d’autre, mais je sais que notre flotte est arrivée et que j’ai été emmené par Isard lorsqu’elle a fui la planète. Je pense que la Nouvelle République dirige maintenant Coruscant. La planète est à nous.
— Elle est à vous parce que nous vous l’avons donnée.
Sur sa droite, Corran vit un homme obèse se contorsionner pour passer la porte. Sa tunique était noire comme ses cheveux. Son regard s’emplit de colère un instant, puis il baissa les yeux sur l’ourlet de ses manches.
— Vous avez hérité d’un monde malade. Un monde mourant, ajouta-t-il.
— Voilà le général Evir Derricote, annonça Jan, anciennement au service de l’Empire. Il est le plus gradé de notre groupe.
— Je m’appelle Corran et j’étais à Borleias.
— Alors, vous m’avez vu écraser la flotte ridicule que vous aviez envoyée contre moi.
— Oui, en effet, et j’ai perdu quelques amis dans cette bataille.
Corran brandit le poing en direction de Derricote. Urlor avança brusquement, saisit le col de sa tunique et le tira en arrière.
Les pieds du pilote quittèrent le sol.
— Hé ! Ça fait mal, glapit-il.
— Il y a une règle ici, énonça calmement le géant. Si nous tabassons un Impérial, ça se retourne contre le Vieil Homme.
Corran acquiesça et Urlor le reposa.
Puis, s’inclinant vers Jan :
— Je ne recommencerai pas, promit-il.
— L’intention était bonne, Corran, très bonne. Ce général est l’un de ceux qui nous ont informés de la défaite de l’Escadron Rogue à Borleias. Il comptait sans votre retour et votre victoire.
— Si j’étais resté là-bas, davantage de sang rebelle aurait coulé ! cracha Derricote.
— Peu probable, riposta Corran. Nous avons détruit le conduit qui amenait l’énergie auxiliaire à vos boucliers. Une poignée de Tie a survécu à notre second raid. Les pilotes se sont rendus lorsqu’ils ont vu que leur base était entre nos mains.
« Quant à Coruscant, que vous employiez le terme « hériter » montre bien que ce monde nous appartient. Il est peut-être malade, mais il se porte mieux entre nos mains qu’entre les vôtres.
— Je doute que les mourants soient de cet avis, lança Derricote.
— Je doute que les mourants accusent les Rebelles, répliqua Corran.
— Je me fiche de savoir à qui ils en veulent. L’Histoire est écrite, et tout ça ne sera qu’une petite tâche de plus dans l’épopée de l’Empire.
— Il appartiendra aux générations suivantes de le dire, n’est-ce pas général ? intervint Jan.
— Quand je sortirai et que j’écrirai mes mémoires, je vous épargnerai, Jan. (Derricote se dirigea vers la sortie, mais il s’arrêta à mi-chemin.) Avant que j’oublie ce pour quoi je suis venu, un lot est prêt.
— Merci. Je vous envoie Urlor pour vous aider à le transférer. Le général est arrivé récemment parmi nous, mais il s’est révélé très utile grâce à sa connaissance des scientifiques. Il a réussi à faire fermenter une bière relativement légère, ce qui nous procure un plaisir que nombre de prisonniers avaient oublié.
— Vous lui faites suffisamment confiance pour la boire ? s’étonna Corran.
— Il en boit lui-même. Si elle était empoisonnée, il serait mort depuis longtemps. Bien qu’il soit fier d’avoir servi l’Empire, il semble toutefois assez perplexe quant à son incarcération. Il pensait avoir préparé un projet intéressant pour Cœur de Glace, mais elle l’a désapprouvé et il s’est retrouvé ici.
— Je peux comprendre sa confusion. Moi non plus, je ne sais pas ce que je fais là.
— C’est peut-être temporaire. Nous avons beaucoup de prisonniers de passage ; ils sont transférés par groupes. Toutefois, le trafic autour de Lusankya semble relativement rare.
— Ce n’est pas une bonne nouvelle. Si cette planète est vraiment isolée, les chances que l’Alliance nous retrouve sont infimes.
— Je suis ici depuis presque sept ans, et personne n’est encore venu me chercher. Mais on peut toujours espérer.
— Exact. Urlor m’a enseigné une règle. Y en a-t-il d’autres ?
— Nous faisons ce qu’on nous demande, quand on nous le demande. Les rations ne sont pas énormes, mais nous ne mourons pas de faim.
— Quels travaux exigent-ils des détenus ?
— Nous devons tailler des rocs, puis les transformer en gravier et les transporter d’un point à un autre, soupira le vieil homme. C’est harassant, abrutissant, et conçu pour nous ôter tout espoir et nous amener à confondre les jours. Certains en deviennent fous.
— Quelqu’un s’est-il déjà échappé ? demanda Corran à voix basse.
— Non.
— Personne n’a essayé ?
— Quelques hommes. Mais aucun n’a réussi.
— À votre connaissance, souligna le pilote.
— En effet. En tout cas, personne depuis que je suis ici.
— Ceux qui ont essayé ont été ramenés ?
— Une partie. (Le vieil homme désigna le fond des cavernes.) Les Impériaux ont des salles où ils conservent les crânes de leurs morts et les autres reliques. Nous faisons de même pour les nôtres dans les mines où nous travaillons. Nous les y enterrons.
— Alors, il est impossible de s’échapper ?
— Je n’ai jamais dit ça, murmura Jan, j’ai seulement dit que personne n’y était parvenu.
— Je fais partie de l’Escadron Rogue, l’impossible est notre spécialité, annonça fièrement Corran.
Jan lui flanqua une tape sur l’épaule.
— Je regrette de n’avoir pas connu votre grand-père, admit-il. Je suis sûr que nous aurions fait une fameuse équipe.
— J’ai le sentiment que vous avez raison, monsieur. Et, étant son petit-fils, je vais faire tout mon possible pour sortir d’ici.
— Je n’en attendais pas moins de votre part depuis le moment où je vous ai vu, Corran Horn.