CHAPITRE XXX
C’est trop facile, songea Corran.
Même si tout se déroulait selon son plan, il sentait pendre au-dessus de lui une épée de Damoclès.
Les Impériaux qui gardaient l’entrée de la caverne ne s’étaient pas dispensés de commentaires quand Urlor et lui s’étaient dirigés vers le corridor sombre menant aux latrines. Les deux hommes marchaient côte à côte pour superposer leurs images infrarouges dans les moniteurs situés à chaque extrémité du couloir.
Une fois parvenu aux lavabos, Corran ôta sa tunique, la trempa dans l’eau croupie, puis la renfila.
Il mouilla aussi sa tête et sourit à Urlor.
— Je suis prêt, annonça-t-il.
Il tapa sur l’épaule de son compagnon, puis se dirigea vers l’entrée. Le géant le suivit, lui donna l’accolade et revint vers les cantonnements en zigzaguant de façon à rendre son image plus large sur les moniteurs à infrarouges.
Encore trempé, le fuyard tourna à gauche et prit le chemin de la mine.
Il marcha d’un pas lent, s’efforçant de présenter aux moniteurs un profil le plus étroit possible. Il n’était pas certain que ses cheveux et sa tunique mouillés diminueraient la chaleur de son corps, mais ça valait la peine d’essayer. De plus, les efforts d’Urlor pour se faire remarquer au bout du couloir, devraient contribuer à détourner l’attention.
Trente pas après les latrines, Corran atteignit la porte. Il tâtonna pour trouver le verrou et la chaîne. Ses doigts caressèrent le clavier, mais il résista à la tentation d’essayer des combinaisons au hasard. Sans savoir si des échecs successifs déclencheraient une alarme, il était sûr que l’opération lui prendrait assez de temps pour le rendre plus sec qu’un bout de bois.
Corran compta seize maillons de la chaîne. Il empoigna les battants, les écarta autant qu’il pouvait, et engagea son épaule droite dans l’entrebâillement. Il se comprima au maximum, glissa un à un ses membres dans l’ouverture et parvint enfin de l’autre côté.
Là, il s’accroupit dans l’ombre et se frictionna la poitrine.
Excepté quelques-uns des malades, aucun des prisonniers n’est assez mince pour passer par là, songea-t-il.
Il avança, restant baissé. Lorsqu’il atteignit l’entrée de la mine, il se retourna et s’accorda un instant de répit.
Je ne peux pas croire qu’ils soient aussi stupides, murmura-t-il.
Il réalisa que sa critique était injustifiée, car il avait pu déjouer le système de sécurité grâce à sa théorie sur l’orientation de la prison. Aucun prisonnier sain d’esprit n’aurait songé à s’enfuir en s’enfonçant plus profondément dans le sol.
La sécurité est basée sur deux points : primo, l’orientation inhabituelle de la prison ; secundo, si un homme réussissait à en sortir, il ne serait pas certain de pouvoir quitter cette planète. Si nous nous trouvons dans les profondeurs de Hoth, dans le désert de Tatooine ou de l’autre côté de Kessel, cette tentative d’évasion connaîtra un dénouement rapide.
Corran atteignit l’écoutille qui menait aux cavernes. Elle était ouverte. Il aurait aimé disposer d’une lampe, mais les prisonniers n’avaient accès à rien de plus sophistiqué qu’une pelle. Il avança dans l’obscurité, révisant dans sa tête le chemin qu’il avait minutieusement étudié.
Soudain, Corran sentit une douleur aiguë au milieu de son dos. Il était paralysé. Malgré le manque de lumière, il parvint à distinguer une silhouette armée d’une pelle qui se dirigeait vers lui.
— N’y voyez rien de personnel, Horn, lança une voix masculine, mais vous encombrez mon chemin.
— Derricote ? Comment avez-vous franchi le portail ? Vous n’avez pas pu vous glisser à travers.
— J’ai de l’argent en réserve, expliqua l’ancien officier impérial. Il m’a suffi de soudoyer un garde pour obtenir le code d’ouverture de la porte.
Flatte sa vanité, songea Corran. Gagne du temps.
— Vous êtes malin, général.
— Oui, et trop intelligent pour vous laisser récupérer. Adieu…
La pelle se leva, prête à s’abattre. Corran esquiva en roulant sur sa droite. Il s’attendait à une nouvelle tentative, au lieu de cela, il entendit un grognement, puis le bruit d’un corps qui s’effondre. Pourtant, la silhouette était toujours debout.
De sa main droite, Corran empoigna le manche de la pelle et frappa Derricote aux jambes. L’homme s’écroula. Le pilote lui flanqua un violent coup dans l’estomac, puis le frappa à la tête.
Le corps demeura immobile.
— Il est mort ?
Corran se tourna vers l’endroit d’où venait la voix.
— Jan ? appela-t-il.
— Oui.
— Comment… ?
Le vieil homme approcha.
— J’ai remarqué que Derricote ne traînait pas dans les environs, expliqua-t-il. Il est trop imposant pour passer inaperçu. Urlor m’a dit que tu étais parti. J’ai supposé que Derricote allait te dénoncer, alors je suis venu pour t’arrêter. Puis, je l’ai vu debout devant toi ; il fallait bien que je fasse quelque chose.
Corran tendit la main vers le cou de l’impérial pour tenter de trouver son pouls, mais il ne sentit que la corde tressée qu’utilisait Jan pour attacher ses cheveux. Il la rendit au vieil homme.
— Cœur faible et irrégulier, diagnostiqua-t-il. J’ai dû lui briser le crâne.
— Laisse-le. Les gardes croiront qu’il est tombé en essayant de s’enfuir. Nous pouvons encore rentrer avant qu’ils s’aperçoivent de quelque chose.
Corran secoua la tête.
— Non, je ne peux pas faire ça, déclara-t-il. S’ils le trouvent ici, ils sauront que nous avons découvert le secret de Lusankya et nous ne sortirons jamais d’ici vivants. Venez avec moi. Nomi allons traîner le corps et le cacher quelque part. Le temps qu’ils le découvrent, nous serons loin.
Le vieil homme eut un léger rire.
— Ils remarqueront mon départ avant celui de quiconque d’autre. Je ne peux pas m’en aller.
— Parce qu’ils tueraient les autres ?
— Oui.
— Je reviendrai vous chercher, vous savez. Dès que je serai en sécurité, je ramènerai Wedge avec l’Escadron Rogue, et je vous sortirai de là, promit Corran.
— Je sais. Et j’y compte bien, murmura Jan. Je n’ai peut-être jamais connu ton grand-père, mais je suis sûr qu’il serait très fier de son petit-fils. Que la Force soit avec toi.
— Et avec vous.
— Je vais effacer les traces de lutte. Si tu emmènes Derricote, je te laisserai prendre de l’avance, puis, je signalerai son absence. Ils le rechercheront, mais pas dans les endroits où tu pourras te cacher. Nous te couvrirons aussi longtemps que possible, mais nous ne pourrons sans doute pas tenir plus de douze heures.
— J’ai compris, Jan.
Corran se redressa. Aidé par le vieil homme, il entreprit de traîner le corps. Ensemble, ils le hissèrent sur le rail de sécurité. Puis le pilote vérifia de nouveau son pouls.
— Plus rien. Il est mort, conclut-il.
— Un jour, peut-être, plus personne ne mourra au service de l’Empire, soupira Jan.
Approuvant d’un signe de tête, l’évadé fit basculer le cadavre. S’il ne le vit pas tomber de l’autre côté, il entendit un craquement.
— Encore une fois, que la Force soit avec toi.
— Merci, Jan. Nous nous reverrons.
Corran serra la main du vieil homme, se hissa sur le rail et se tapit dans l’ombre. Il marcha sur le corps de Derricote, s’accroupit et courut sur le tapis roulant. Sous ses pieds, il sentit le contour d’un trou dans la feuille d’acier qui entourait la fosse. Il l’avait déjà remarqué une semaine plus tôt, et savait que ça convenait à son projet.
Si seulement Derricote pouvait passer là-dedans, songea-t-il.
Il poussa péniblement le corps dans la bouche avant de s’y engager lui-même.
Il faut que ça marche.
Une fois à l’intérieur, Corran se retrouva sur la coursive d’un haut-fourneau. À tâtons, il trouva un interrupteur et l’actionna.
Une faible lumière éclaira les alentours.
Corran traîna le général jusqu’à l’écoutille fermée qu’il ouvrit avec précaution. De l’autre côté se trouvait une pièce rectangulaire vide. Il expira, incapable de déterminer depuis combien de temps il retenait sa respiration.
Corran referma l’accès et pénétra dans la pièce. Puis il s’engagea dans un corridor cylindrique d’à peu près trois mètres de diamètre décoré d’une spirale de mosaïque rouge.
Au bout du tunnel, il trouva une seconde pièce faiblement éclairée qui semblait être une buanderie. Il colla son oreille sur la porte du fond, mais n’entendit rien. Prenant une profonde inspiration, il l’ouvrit. Le vestibule qui apparut lui rappela vaguement les images qu’il avait vues du Palais Impérial.
Génial, souffla-t-il, je m’évade d’une prison pour me retrouver dans le palais d’un Grand Moff. C’est mieux que l’endroit d’où je viens, mais sortir d’ici discrètement ne va pas être simple. Il haussa les épaules. De toute façon, ça n’est pas censé être facile. L’essentiel est de parvenir à filer.