CHAPITRE XXV

— Oui. Merci, amiral. J’ai en effet des questions à poser au témoin.

Nawara posa ses cartes de données sur la table et en prit une pour l’insérer dans son bloc-notes.

Pendant le long trajet vers Ryloth, il avait examiné la déposition de Tsillin Wel et préparé une série de questions. Même s’il y avait peu à dire sur ce que la Quarréenne allait déclarer, Nawara avait besoin de s’assurer que le tribunal tiendrait compte des limites de ses affirmations.

En témoignage direct, Tsillin Wel s’était montrée quelque peu irritable. Ça lui avait valu d’être rappelée à l’ordre par Ackbar, qui l’avait sommée de se montrer plus coopérative. Si besoin était, Nawara pourrait attiser cette opposition calamaro-quarréenne, et ainsi discréditer le témoignage aux yeux de l’amiral.

Mais cela risquait aussi de lui attirer l’inimitié des généraux Salm et Madine.

— Agent Wel, commença le Twi’lek, dans votre déposition, vous disiez avoir assuré le contrôle des comptes de l’Empire durant plusieurs années. Est-ce exact ?

— En effet, confirma la Quarréenne avec un frémissement de ses tentacules faciaux.

— Le but de ces vérifications était d’estimer les sommes consacrées par l’Empire à sa lutte contre les Rebelles ?

— Oui.

— Ça signifie que vous teniez aussi compte des dépenses secrètes qui n’apparaissaient sur aucun budget impérial officiel ?

— Les budgets de ce type sont habituellement dissimulés dans d’autres programmes, confirma Tsillin Wel.

— Je vois. Vous avez déclaré que mon client, le capitaine Celchu, avait reçu environ quinze millions de crédits au cours des deux dernières années Est-ce vrai ?

— J’ai indiqué que cette somme était tout ce que nous avions découvert. L’argent est réparti sur six comptes, mais il peut y en avoir d’autres.

— En êtes-vous certaine ?

— Conseiller Ven, depuis la prise de Coruscant, j’ai décortiqué les comptes de l’Empire. Il en existe des millions, et je m’estime déjà heureuse d’en avoir découvert six.

— Mais ce ne sont pas les seuls que vous ayez examinés ? demanda Nawara.

— Non. J’en ai personnellement inspecté des centaines, et mon équipe un million environ.

— Donc, ceux que vous avez reliés à mon client n’ont rien de remarquable ?

— Je ne comprends pas la question.

— Permettez-moi de la reformuler, dit le Twi’lek avec un sourire. Combien d’agents impériaux avez-vous découverts ? Je veux parler de ceux qui possédaient des capitaux sur différents comptes ?

— Quelques-uns.

— Combien ? Des centaines ? Des milliers ?

— Quelques dizaines.

— Et combien possédaient six comptes ?

— Aucun pour le moment, avoua Tsillin en se tortillant sur son siège. Mais il nous reste encore beaucoup de travail.

— Établir des liens entre ces dossiers et les agents n’est pas chose facile, je présume ?

— Non.

— L’une des difficultés est-elle que l’Empire a pris la peine de compliquer l’identification de ses agents ?

— Oui.

— Par codage des données ?

— Oui.

— La difficulté de déchiffrage varie-t-elle en fonction de la valeur de l’agent ?

— Objection ! intervint Halla Ettyk. On incite le témoin à la spéculation.

— Amiral, l’agent Wel supervise une section des services secrets qui est depuis des années en guerre contre ceux de l’Empire. Elle peut tout à fait être familière avec les moyens utilisés par l’Empire pour la protection de ses agents.

— Objection rejetée, trancha Ackbar. Agent Wel, répondez à la question.

— La complexité du code est en effet proportionnelle à la valeur des agents. La méthode utilisée pour le capitaine Celchu démontre qu’il présente une importance très moyenne aux yeux de l’Empire.

— Vous avez donc repéré d’autres agents du même niveau ?

— Des dizaines.

— Et chacun d’eux s’était vu attribuer quinze millions de crédits ? insinua Nawara.

— Non, répondit le témoin après un instant d’hésitation.

— Combien étaient-ils payés dans ce cas ?

— Généralement, quelques milliers de crédits.

— Ce qui signifie que la solde du capitaine Celchu est disproportionnée par rapport à sa valeur pour l’Empire ?

— On peut interpréter les comptes dans ce sens.

— Peut-être s’est-on arrangé pour qu’il ait l’air d’être un agent important victime d’un coup monté ?

— Objection ! coupa Halla Ettyk. C’est une pure spéculation.

— Je retire la question, concéda le Twi’lek. Agent Wel, quelle somme le capitaine Celchu a-t-il retirée de ses comptes ?

— Rien, admit la Quarréenne.

— À votre connaissance, existe-t-il une preuve qu’il en connaissait l’existence ?

— Non.

— Donc, ces comptes peuvent avoir été créés de toutes pièces dans le but de discréditer le capitaine Celchu ?

— Oui.

Nawara eut un large sourire.

— Au cours de votre carrière, avez-vous vu les services secrets de l’Empire se livrer à ce genre de pratiques ?

— Au moins une fois, souffla la Quarréenne, les yeux rivés sur ses mains.

— Qui en était la victime ?

Tsillin Wel se tourna vers l’homme barbu assis à la droite de l’amiral Ackbar.

— Le général Crix Madine, annonça-t-elle. J’ai découvert des comptes similaires, et réussi à prouver qu’ils étaient faux.

— Avez-vous tenté la même chose pour ceux du capitaine Celchu ?

— Ça ne fait pas partie de mon travail.

— Vous avez simplement étudié un dossier. La vérité ne signifie rien pour vous.

— Objection ! lança de nouveau Halla Ettyk.

— Retenue, annonça Ackbar. Conseiller Ven, vous avez fait votre démonstration. Il n’y a rien de plus à tirer de ce témoin.

— Oui, amiral, concéda le Twi’lek. Pas d’autre question.

 

Nawara s’installa face à Tycho dans la cellule de détention.

— Vous avez raison, capitaine : nous avons marqué des points aujourd’hui, admit-il. Je pense que le général Madine vous demandera explicitement si vous avez ou non reçu des pots-de-vin.

— C’est une bonne chose, non ? s’enquit le détenu.

— D’une certaine manière…

— Que voulez-vous dire ?

Le Twi’lek haussa les épaules.

— L’idée que vous ayez été un agent impérial n’est pas censée influencer le tribunal, mais le public. La cupidité est l’un des trois mobiles qui pourraient expliquer les crimes dont on vous accuse. C’est la chose la plus aisée à concevoir pour le commun des mortels.

— Le second mobile est la menace de dénonciation de Corran. Quel est le troisième ?

— Lusankya. Le tribunal doit faire un choix. S’il estime que vous avez trahi l’escadron parce que vous étiez payé, ou par crainte de ce que Corran pourrait révéler, il pourra vous condamner pour meurtre et trahison. Tout le monde approuvera.

« Dans le cas contraire, si les jurés décident que vous avez agi à cause du lavage de cerveau subi à Lusankya, ils devront vous innocenter pour irresponsabilité au moment des faits. Vous serez placé dans un hôpital et relâché une fois guéri.

Tycho regarda ses mains.

— Ce qui pourrait ne jamais arriver, murmura-t-il.

— C’est votre cauchemar. Le leur est qu’un droïd M2 équipé d’un dispositif d’analyse de matrice cognitive vous déclare guéri au bout d’une semaine ou deux. Ils seraient alors obligés de vous libérer, ce qui ridiculiserait le système judiciaire.

— En somme, vous dites que les cartes de sabbac ont été programmées contre moi, résuma Tycho.

— C’est bien pire que ce que vous savez, soupira Nawara. Le jour où nous sommes revenus de Ryloth, le FPL a fait sauter une école. Ça fait trente-six heures, et nous n’avons pas encore retrouvé tous les corps. Certains ont été désintégrés par l’explosion, comme celui de Corran.

« Des humains et des non humains sont morts dans cet attentat. Ceux qui l’ont revendiqué annoncent que c’était le début d’une longue série, à moins que nous mettions un terme à votre procès qu’ils qualifient de « truqué ».

— Quoi ? s’étrangla Tycho. Vous avez démontré que les Impériaux avaient créé des preuves de toutes pièces dans le but de me faire accuser. Et maintenant, ils prétendraient que je suis victime d’un coup monté ? Que se passe-t-il ?

— Votre procès est une source de divisions, expliqua le Twi’lek. La Rébellion l’utilise pour prouver que, contrairement à l’Empire, elle pratique la transparence.

Les agents impériaux veulent faire croire que vous êtes victime d’une machination fomentée par la Nouvelle République…

« Les humains en arrivent à penser que vous êtes sacrifié à la cohésion de l’Alliance. Les non humains, eux, vous croient déjà coupable, et d’une certaine façon responsable du Krytos… Même si vous n’avez rien à voir avec ça.

— Nawara, vous devez me laisser témoigner, supplia le détenu. Je peux convaincre les jurés de mon innocence.

— Vous avez parlé à Diric ?

— Il est venu me voir pendant que Wedge et vous étiez absents. En dehors de Winter, il a été mon seul visiteur. Parler avec moi l’a convaincu de mon innocence.

— C’est très bien, mais il a lui aussi été prisonnier de l’Empire, et il éprouve donc envers vous une forme de solidarité… Ce qui n’est pas le cas de la plupart des gens.

— Mais vous avez subi la discrimination impériale envers les non humains. Ne considérez-vous pas avoir été une sorte de prisonnier ?

Nawara passa en revue les dernières années de sa vie. Il avait en effet éprouvé de la peur face à cette situation, et il n’était parvenu à échapper à la pression engendrée qu’en rejoignant l’Alliance.

— Oui, je pourrais aussi dire que j’ai été leur prisonnier, conclut-il au bout de quelques instants. Mais ça n’a pas d’importance. Le commandant Ettyk nous descendrait lors du contre-interrogatoire.

— Comment ? s’enquit Tycho.

— Elle passerait votre vie en revue et vous ferait perdre toute crédibilité. Elle insisterait sur le fait que vous vous êtes porté volontaire pour l’Académie Impériale et que vous avez été un brillant pilote de chasseur Tie. Elle dirait aussi que vous étiez informé de la destruction imminente d’Alderaan, puisque vous étiez en communication holographique avec votre famille.

— C’est absurde !

— Nous le savons vous et moi, mais un grand nombre de gens pourraient admettre cette version des faits. Vous ne vous rappelez rien sur votre séjour à Lusankya : Ettyk ferait passer cette amnésie pour du mensonge. Elle est très forte.

— Nous n’avons rien pour prouver mon innocence, hein ?

— Si, des témoignages sur les bonnes actions que vous avez accomplies… De plus, Whistler et M3 ont analysé la progression du Krytos au sein de la population, et des experts pourront démontrer que vous avez contribué à la ralentir. Enfin, nous sommes toujours à la recherche de Lai Nootka.

— En résumé, il nous faudrait un miracle ?

Le Twi’lek opina du chef.

— Gagner ce procès est quasiment impossible, admit-il. Mais nous sommes des Rogues, donc nous y arriverons.

— Ou nous mourrons en essayant, soupira Tycho.