CHAPITRE XXXII
Corran se tapit dans un coin de la bibliothèque et attendit. Il se félicita de n’avoir pas de montre, car il aurait probablement eu les yeux rivés dessus. Il avait l’impression d’être caché depuis des années, mais il sentait que ça devait faire à peine plus d’un quart d’heure.
Il était parvenu à deux conclusions.
D’abord, l’absence totale de fenêtres suggérait que cette pièce se trouvait sous terre.
Ensuite, le bâtiment devait comporter une issue secrète. En dehors du tunnel qui conduisait à la prison, le seul moyen d’en sortir était un ascenseur dont l’utilisation nécessitait un code.
Tout ce que Corran avait pu trouver était un vide-ordures. Il y jeta le corps de Derricote.
Il entendit des éclaboussures, puis une abominable odeur monta vers lui.
Corran referma la trappe.
Le bâtiment se présentait à peu près comme la coupe transversale d’un chasseur Tie. L’ascenseur, le vide-ordures et la buanderie formaient un noyau central traversé par un long corridor qui en coupait deux autres à chaque extrémité, formant un angle droit.
La suite de la visite avait conforté l’impression d’opulence que lui inspirait l’endroit, décoré de grands panneaux de bois et d’aquariums peuplés de poissons colorés. Les étagères étaient chargées de boîtes contenant des cartes de données, et les deux bureaux qu’abritait la pièce étaient équipés de blocs-notes électroniques.
Corran trébucha et se retrouva au milieu d’un cercle dessiné sur le sol. Immédiatement, une image holographique fut projetée du plafond. Le fuyard eut un mouvement de recul et leva les mains pour se protéger.
Haute de trois mètres environ, la silhouette de l’Empereur le fixait. L’homme semblait fort et presque majestueux. Rien à voir avec le tyran, tordu et maléfique, qui avait renversé l’Ancienne République et instauré l’Empire. Il leva les mains vers le plafond, puis son image prit des proportions plus humaines et se fondit dans le cercle.
Corran fut si déconcerté par la scène qu’il chercha aussitôt un abri. Remarquant un placard bas, il l’ouvrit. L’intérieur était sombre et sentait le renfermé. Le pilote aurait préféré une autre cachette, mais un bruit de pas, dehors, lui indiqua que le temps pressait.
Il ferma la porte derrière lui. La pièce était compartimentée ; il se trouvait dans un cube d’à peine un mètre de côté. D’épaisses traverses métalliques soutenaient les aquariums de transpacier situés au-dessus de sa tête. Il rassembla les boîtes posées sur le sol, pour se dissimuler derrière, mais il savait qu’un coup d’œil superficiel suffirait à détecter sa présence.
De l’autre côté de la porte, il entendit des voix étouffées.
De quoi peuvent-elles bien parler ?
Corran sentit une légère vibration dans le sol. Un battant se referma, assez près de lui, à en juger par la force de la vibration. Puis le pilote sentit qu’on ouvrait puis refermait immédiatement une autre porte.
C’est ça. Il n’y a personne dans ce placard, c’est beaucoup trop petit pour que quelqu’un puisse s’y cacher, encouragea-t-il mentalement les nouveaux venus.
Corran se tassa davantage, les genoux serrés contre la poitrine et les bras autour. Il distingua le bruit d’un comlink et crut entendre le mot « vide ». Une autre porte claqua.
Il n’y a personne là-dedans. Cette pièce est vide.
Une lumière brilla à l’entrée du placard.
Vide, c’est vide, rien à signaler.
Elle passa au-dessus de lui.
Quelle perte de temps que de chercher ici ! Il n’y a personne.
Le faisceau s’éteignit avant d’atteindre son visage. Le commando qui le maniait recula.
— C’est vide, il n’y a personne ici, annonça-t-il.
— Tu en es sûr ? interrogea une autre voix.
Corran était moite. La porte se referma violemment, mais se rouvrit en partie. Il entendit le bruit d’une querelle entre les soldats impériaux. Bien que n’ayant pas compris le début, il put saisir une réponse ferme et claire.
— S’il est assez stupide pour tenter de s’évader, il l’est suffisamment pour se cacher ici. Finissez de vérifier les deux derniers placards et scellez la porte d’entrée. Cet étage est désert, nous montons.
Corran entendit d’autres portes s’ouvrir et se refermer. Il se sentait comme après le passage d’une tempête. Il appuya sa tête contre le mur et relâcha sa respiration. Il voulait sortir de ce lieu qui lui faisait l’effet d’un cercueil, mais il n’était pas sûr que les commandos aient quitté la pièce.
Il attendit encore.
D’après ce qu’il avait entendu, il supposait que la bibliothèque devait être la dernière pièce de l’étage. Il combattit la panique qui était en train de le gagner après être resté tapi aussi longtemps dans un endroit exigu.
Si tu paniques, tu mourras. Calme-toi, se morigéna-t-il. Tu as déjà connu des situations plus difficiles.
Le fugitif se concentra sur sa respiration, attendit que son pouls ralentisse, puis se glissa hors du placard. Il se retrouva seul dans la bibliothèque.
Les aquariums fournissaient suffisamment de lumière pour qu’il puisse se diriger, mais il n’était pas encore certain de ce qu’il cherchait. C’était trop demander, il en était conscient, que d’espérer qu’une des petites boîtes métalliques contienne un plan de la prison.
Pourtant, la pièce recelait peut-être quelque chose qui lui permettrait de s’évader.
Le nombre et la variété des cartes de données impressionnèrent Corran. Il en passa quelques-unes en revue, saisit une boîte estampillée « l’Histoire complète de Corvis Minor » et fut déçu de voir que ça n’ouvrait aucune trappe secrète. Il allait la reposer lorsqu’il nota que son poids avait quelque chose de suspect. Il l’ouvrit et en sortit un blaster, dont il vérifia le niveau d’énergie.
Une demi-douzaine de coups, songea-t-il. Je ne traverserai pas une armée de commandos, mais je pourrai au moins les disperser.
L’arme à la main, il poursuivit son inventaire de la bibliothèque mais ne trouva rien d’autre. Frustré, il s’intéressa de nouveau aux blocs de données. Il n’était pas certain que les ordinateurs lui seraient d’une grande utilité, mais il supposa qu’il pourrait trouver grâce à eux quelques informations.
Pourvu que je réussisse à entrer dans le système, souhaita-t-il. S’il faut un code, je n’irai pas plus loin.
Il s’installa devant un bureau et activa l’ordinateur. Il fouillait dans les tiroirs du meuble à la recherche d’une carte qui contiendrait le mot de passe, quand un mot apparut au-dessus du projecteur holographique.
[INVESTIGATIONS] :
Un sourire s’épanouit sur son visage. Le dernier utilisateur n’avait pas quitté le programme. Évidemment, les risques qu’un espion de l’Alliance parvienne jusqu’à ce terminal étaient quasi nuls.
Corran consulta un répertoire et ouvrit la base de données de la prison. Des centaines de noms défilèrent sous ses yeux, trop vite pour qu’il puisse les lire.
À l’invite suivante, il entra le sien.
Un document s’ouvrit, apparemment très complet et à jour, surtout depuis qu’il avait rejoint l’Escadron Rogue. Une preuve de plus de la trahison de Tycho.
Il sélectionna le titre « Lusankya » et lut un bref résumé de son séjour dans la prison.
En comparant la date qui figurait dans le dossier à la rubrique « entrée » avec celle qui se trouvait au bas de l’écran, Corran réalisa qu’il était en captivité depuis six semaines.
À côté de la légende « Statut C » figurait le code « RI ». Corran le sélectionna et obtint une explication.
RI : Résistant au stade primaire.
Note : le sujet ne se laisse pas persuader de tirer sur des icônes positives, même si celles-ci se montrent hostiles en simulation. Dans la deuxième partie du test, sa résistance est apparue plus tôt que dans la première. Le sujet est impropre à la conversion.
Corran regarda les lettres vertes qui brillaient au-dessus du bureau.
Ysanne Isard a essayé de faire de moi un monstre, comme avec Tycho, songea-t-il. Un instrument qu’elle aurait pu utiliser contre l’Alliance…
Il frissonna, souhaitant pouvoir s’ouvrir le crâne pour en arracher les souvenirs de tout ce qu’il avait subi.
Votre programme a échoué. Je ne suis pas votre outil. Je reste votre ennemi et, dès que je serai sorti d’ici, je m’occuperai de vous le faire savoir.
Corran revint au répertoire des détenus et consulta le dossier de Tycho Celchu.
Je vais enfin avoir des preuves.
Il parcourut la rubrique Lusankya et sélectionna le code « Statuts C » pour découvrir la valeur attribuée.
RI ! C’est impossible !
Il lut le texte correspondant, abasourdi.
RI : Résistant au stade primaire.
Note : si la première réaction du sujet aux icônes de l’Empire a été positive, ça semble n’être qu’une conséquence des années passées au sein de l’Académie Impériale. Le sujet n’a pas tardé à se conduire de manière agressive envers les icônes impériales. Quand celles-ci ont été superposées à des données de l’Alliance, la contradiction l’a rendu catatonique. Le sujet est désormais impropre à la conversion.
Corran serra les poings.
C’est impossible ! Tycho est un espion. Je le sais !
Horn sentit sa colère monter. Il aurait voulu croire qu’Isard avait volontairement truqué ces données pour le dérouter, mais elle n’avait aucun moyen de savoir qu’il viendrait ici.
De plus, l’information ne lui était d’aucune utilité. En supposant que Tycho soit exécuté par la Nouvelle République, et que Corran puisse s’échapper pour démontrer qu’il était innocent, ça causerait un certain trouble au sein de l’Alliance, mais jusqu’à quel point ? Cela méritait-il qu’on mette sur pied une telle mascarade ?
Horn se leva et entreprit de faire les cent pas dans la pièce. Isard avait nourri sa haine envers Tycho et l’avait conforté dans l’idée que son ancien ami était un espion. Ça n’avait pas de sens. Peut-être comptait-elle sur son sens de l’honneur, et espérait-elle le voir écrasé par le remords d’avoir causé la perte d’un innocent.
Perdu dans ses pensées, Corran pénétra dans le cercle tracé sur le sol. L’Empereur apparut une nouvelle fois et Corran recula d’un bond. Puis il traversa résolument l’image.
— Vous avez fichu un sacré bazar avec votre Empire, vous savez, lâcha-t-il. Il n’y pas de quoi être fier.
Le pilote comprit que l’attitude d’Isard lui paraissait insensée parce qu’elle raisonnait selon un mode de pensée impérial. Elle avait nourri sa haine envers Tycho parce qu’elle voulait le faire réagir selon des émotions, non sur la base d’idées. Ainsi, elle aurait pu le manipuler plus facilement.
Il y a pourtant bel et bien un espion au sein de l’Escadron Rogue.
Corran retourna vers l’ordinateur et entra les noms de tout le personnel de l’unité, équipe de soutien comprise. Mais les fichiers étaient vides.
Corran consulta encore le dossier de Tycho. Les détails collaient à ce que le capitaine avait affirmé : il ne se rappelait pas grand-chose de son séjour à Lusankya, avant qu’on le transfère à Akrit’tar. Le dossier mentionnait son évasion et incluait quelques notes sur sa vie depuis. Mais presque rien jusqu’à son entrée dans l’Escadron Rogue.
Corran se remit à marcher de long en large. Si Tycho n’était pas un espion impérial, il ne pouvait pas avoir rencontré Kirtan Loor. Et s’il était certain d’avoir vu Loor cette nuit-là, le pilote dut admettre que l’avoir aperçu plus tôt dans la journée au Palais Impérial avait pu l’influencer.
Il aurait facilement pu le confondre avec un Duros enveloppé d’une cape.
Par élimination, Corran entreprit d’établir une liste des espions potentiels. Un nom s’imposa rapidement à lui.
Aucun doute. Mais c’est ce que je pensais jusqu’ici au sujet Tycho. Je dois sortir de cette prison et vérifier certaines choses. Je ne peux pas me tromper à nouveau.
Il leva les yeux : l’Empereur le toisait.
— Vous savez, il faut avoir un ego démesuré pour projeter sa propre image dans son palais. Ce truc ne fait rien d’autre qu’encombrer de l’espace, grogna-t-il.
Puis quelque chose s’éclaira dans son esprit : tout comme les placards dissimulaient la structure de soutien des aquariums, l’hologramme devait posséder plus d’une fonction.
Il empêche les gens de se tenir à cet endroit, réalisa Corran.
Il avança et s’orienta face à l’Empereur. La pièce s’embruma, et l’hologramme plana au-dessus de lui.
Du coin de l’œil, le pilote aperçut le clignement rapide d’un détecteur laser pointé sur lui.
L’image de l’Empereur s’évanouit. Le cercle bougea et commença à s’enfoncer dans le sol.
L’ouverture cylindrique se referma au-dessus de Corran et un panneau s’ouvrit devant lui. Il eut le temps de distinguer le portail d’entrée d’un tunnel privé, avant que le panneau ne se referme à son tour et que la plate-forme circulaire remonte. De retour dans la bibliothèque, Corran sourit. Il s’approcha de l’ordinateur et l’éteignit, après avoir pris soin de le ramener à son état de départ. Puis il ramassa le blaster et pénétra une nouvelle fois dans le cercle.
L’ascenseur descendit et le ramena à l’entrée du tunnel.
Un peu plus loin, Corran trouva un tableau de commande. Mais il n’avait aucune idée sur la manière de programmer une destination. Voyant un bouton rouge marqué « Retour », il posa sa main au-dessus.
Je ne sais pas où ça va me mener, ni combien de temps il me faudra pour y arriver, mais n’importe où sera toujours mieux qu’ici, songea-t-il.
Il appuya sur le bouton et s’assit, espérant au moins apprécier le trajet.