CHAPITRE X

L’amiral Ackbar s’installa dans son fauteuil de conseiller et s’efforça de retirer une certaine sérénité du brouillard qui planait au-dessus de lui. Jetant un regard vers son compagnon bothan, il distingua une lueur sauvage dans ses yeux violets. Il avait déjà remarqué chez Fey’la une nette volonté de diriger.

Mon Mothma fit un signe au conseiller Elom.

— Merci, Verrinnefra, de nous aider à faire évoluer l’économie de nos mondes naissants. La prochaine question concerne le bacta. Borsk, avez-vous une remarque à formuler ?

— La récente mission qui s’est emparée d’une réserve de bacta constitue pour nous une grande victoire, commença le Bothan. Pour cela, nous devons remercier l’amiral Ackbar et son équipe. Mais cette médaille a aussi son revers, la possibilité de représailles de la part du seigneur de guerre Zsinj n’étant pas la moindre.

— Pardonnez-moi de vous interrompre, conseiller Fey’la, intervint Ackbar, mais n’est-ce pas un peu hors de propos ?

— Pardon ?

— Je pense, intervint Leia, que l’amiral Ackbar considère le bacta comme un problème plus urgent.

— Plus exactement, princesse, je veux dire que nous avons depuis longtemps envisagé une attaque de Zsinj et qu’il n’est pas utile de revenir sur la manière d’y faire face.

— Le bacta est en effet un sujet important, concéda le Bothan, le poil hérissé. Avec la réserve dont nous disposons maintenant, il devrait être possible de créer des centres de thérapie préventive afin d’éviter la prolifération du virus. Mes hommes pensent qu’une heure de vaporisation hebdomadaire suffirait à détruire le virus avant qu’il ne puisse incuber.

— Je n’ai lu aucun rapport de ce type, dit Leia. Celui que nous avons obtenu des laboratoires Derricote ne traite pas de ce genre d’expériences. Selon l’Empire, seule une dose massive de bacta pourrait être efficace. Nos réserves sont encore insuffisantes ; les centres dont vous proposez la création n’engendreraient qu’un terrible gaspillage.

— Leia, j’aurais espéré davantage de compassion de votre part, lança Fey’la. Si cette épidémie affectait les humains, vous seriez la première à ordonner de telles mesures.

— Vous pensez que je ne soutiens pas votre plan sous prétexte qu’il sauverait des non humains ? demanda sèchement la princesse.

— J’aimerais n’avoir pas à le croire, mais je sais que vous devez ménager vos partisans. Tout comme l’amiral Ackbar, vous préféreriez voir une partie du bacta réservée à l’usage de vos militaires. Je comprends ça ; il est louable de préserver la vie de nos guerriers. Pourtant, je crains que ça n’ait de fâcheuses conséquences à long terme. À mon sens, la gestion du bacta devrait être confiée aux victimes du virus.

— Dans ce cas, conseiller Fey’la, vous devrez vous engager à n’intervenir dans aucune décision à ce sujet, fit remarquer Ackbar.

— Pardon ?

— Des Sullustéens, des Shistavanéens, des Wookies, des Quarréens, des Calamariens, des Twi’leks, des Gamoréens, des Trandoshans ont été infectés et il n’est pas impossible que le virus se propage aux Eloms. Mais on ne déplore pour le moment aucune victime bothane. De plus, votre plan comporte plus de risques que d’avantages. Les installations que vous proposez amèneraient les gens à se rassembler dans des lieux où les risques d’être infectés seraient accrus.

— Dans ce cas, que suggérez-vous ? demanda le Bothan d’une voix contenue.

— D’abord et principalement, de protéger nos réserves d’eau : nous avons prouvé que le virus a été introduit par cette voie. Ensuite, de maintenir la thérapie intensive pour soigner et contrôler les populations infectées. Enfin, nous devons nous préoccuper du marché noir.

— Si je comprends bien, vous préconisez de ne rien changer à notre manière d’agir ? ironisa le Bothan.

— Non, absolument pas. Chacun d’entre nous sait que nos citoyens ont acheté du bacta au marché noir afin de disposer de leur propre thérapie préventive. Et je ne doute pas d’un point : depuis que la nouvelle de notre victoire s’est propagée, des gens sont venus vous demander de leur en fournir. Même si je sais qu’aucun d’entre nous ne cautionnerait de telles pratiques, la simple perspective qu’il puisse exister un traitement réservé à certaines catégories de personnes risque d’attiser la panique ambiante.

Le conseiller wookie murmura quelque chose ; le droïd de protocole doré de Leia traduisit :

— L’ambassadeur Kerritharr suggère que nous traitions le virus comme un ennemi que tout le monde doit combattre. Avec discipline et organisation, l’épidémie peut être endiguée.

— Une analogie tout à fait pertinente, approuva Ackbar en adressant un signe de tête au Wookie.

— Une méthode militaire résoudrait peut-être le problème du virus, intervint Borsk Fey’la, mais suggérez-vous de l’appliquer aussi au marché noir ?

— Nous n’envisageons rien de tel, corrigea Mon Mothma. Le général Ackbar consacre une certaine partie de son énergie à ce problème et travaille à rassembler les Forces de Sécurité de la Nouvelle République. Elles remplaceront l’ancienne Section des Gardes Impériaux et auront pour rôle de faire appliquer la loi, tout en évitant les insurrections. Ça demandera du temps et de la patience, mais nous pouvons veiller au respect de notre loi en attendant.

Mon Mothma activa son comlink.

— Faites entrer Vorru, s’il vous plaît…, demanda-t-elle.

Les portes s’ouvrirent pour laisser passer un humain de petite taille, à la tête large et couverte de cheveux blancs. Sa morphologie lui donnait l’air inoffensif, mais son instinct de guerrier avertit Ackbar que ça n’était qu’une impression.

Il l’avait déjà rencontré une fois, quand Fliry Vorru, alors Moff impérial, avait été invité par Tarkin. Les deux hommes étaient très différents physiquement, mais si semblables d’esprit et de caractère qu’Ackbar avait souhaité qu’ils s’entre-tuent.

Ce qui, hélas, n’arriva pas…

— Merci de me recevoir, respectés conseillers, commença l’homme. Vous m’avez libéré, et j’ai maintenant l’occasion de m’acquitter de ma dette envers vous.

— N’estimez-vous pas que votre participation à la bataille de Coruscant l’ait effacée ? demanda Leia.

— Pour être tout à fait franc, princesse, je ne le pense pas. Libérer la planète aurait été plus facile sans la trahison d’un de mes lieutenants. Même si j’ignorais alors que Zekka Thyne était un agent de l’Empire, je dois assumer la responsabilité de sa faute. L’opération ayant réussi sans mon aide, j’ai donc toujours une dette envers vous.

« Mon objectif rejoint le vôtre : la liberté. L’Empire traitait les criminels comme il traitait les Rebelles. Quand son emprise s’est relâchée, vous avez créé la Nouvelle République et acquis une légitimité. Beaucoup des mercenaires impériaux se sont trouvés pris dans une spirale d’illégalité parce qu’ils savaient ne pouvoir attendre aucune pitié de la part de l’Empire. Sans être des Rebelles, ils n’en sont pas moins victimes de la répression impériale.

« Pour être clair, nous ne voulons plus être traités comme des criminels. Nous désirons mener une existence normale. Pour ça, nous devons vous offrir quelque chose de précieux, et c’est ce que nous allons faire. Nous connaissons le marché noir et nous savons comment le combattre. Nous connaissons aussi le Milieu de Coruscant et nous savons comment y rétablir l’ordre.

— Vous voulez que nous fassions de vous le représentant de la police de Coruscant ? s’enquit Doman Beruss.

— Je ne vous crois pas si stupide ; je sais qu’on ne vous abuse pas facilement. Ce que je veux, c’est que mes hommes soient habilités à représenter la loi dans le Milieu. Vos forces de sécurité auront beaucoup à faire. Plusieurs populations ont déjà créé leur propre milice, alors pourquoi ne pas procéder de même avec mes hommes ?

Ackbar hocha la tête. Les réalités politiques impliquaient d’utiliser l’appareil impérial pour maintenir l’ordre et la communication. Un remplacement massif de la bureaucratie eût été idéal. Mais, tout comme l’armée de la Rébellion avait dû faire appel à d’anciens Impériaux, le gouvernement était forcé d’utiliser les employés et administrateurs qui avaient servi l’Empire jusqu’à sa chute.

De nombreux Rebelles désapprouvaient la clémence tacite qu’ils obtenaient en échange de leur travail. Fliry Vorru représentait un cas intéressant, car il avait contribué directement à la conquête de Coruscant. Et, s’il minimisait sa participation, il aurait facilement pu livrer l’Escadron Rogue aux Impériaux pour empêcher la prise de la planète. Son soutien, malgré la trahison de certains de ses subordonnés, avait facilité la victoire des Rebelles, faisant de lui un allié non négligeable. De plus, le gouvernement était débordé.

— Je vous pose la question suivante, reprit Vorru. Nous accorderez-vous, à mes hommes et à moi, la confiance que nous méritons ?

— L’Empire est notre ennemi à tous, d’où notre alliance, répondit Leia. En le combattant, vous avez gagné notre confiance, mais je crains que vous n’y trouviez plus d’avantages que nous.

— C’est vrai Leia, mais la remarque de Vorru est quand même pertinente, intervint Mon Mothma. Ce qui a vraiment uni l’Alliance, c’est la lutte contre l’Empire. La confiance est nécessaire à l’épanouissement de la Nouvelle République. Elle doit aussi valoir pour ces hommes, tant qu’ils continueront à nous aider. S’ils nous faisaient défaut, ils seraient traités en conséquence.

— Vous trouverez en moi un serviteur capable et loyal, Mon Mothma, lui assura Vorru.

— Dans ce cas, je vous fais confiance.

— Nous devons donc tous faire de même, murmura Ackbar.

Le regard de l’homme s’assombrit lorsqu’il se tourna vers le Calamarien.

— Je vous croyais au-dessus des menaces déguisées, amiral, lança-t-il.

— Je le suis, affirma Ackbar avec un large sourire. J’entendais simplement que nous devons nous contenter de votre seule parole. Si vous voulez voir une menace dans cette constatation, je ne peux vous en empêcher.

— Mais si je vous trahissais, vous n’hésiteriez pas à me détruire ?

— Vous avez gagné notre confiance. (Ackbar se pencha en avant et dévisagea Vorru.) Employez-la à mauvais escient, et je ferai le nécessaire pour vous régler votre compte.