CHAPITRE XXIII
Corran se gratta l’oreille droite, dont il arracha une croûte.
— Je sais, j’ai l’air mal en point, mais je suis sûr d’aller bien. (Il se tourna vers Jan.) Je pense que ça vaut le coup d’essayer.
— Je suis d’accord, approuva le vieil homme.
— Trop tiré par les cheveux, objecta Urlor.
— Voilà pourquoi je veux tester ma théorie quand je serai dans la mine.
— Renonceras-tu à cette folie si ton expérience échoue ?
Le pilote hésita. Même s’il n’avait pas perdu connaissance, le droïd M2 l’avait gardé en observation durant toute la nuit. (Au moins supposait-il que c’était la nuit, car il n’avait aucun repère temporel.)
Corran avait médité sur ce qui s’était passé, et il en avait tiré deux conclusions. La première, c’était que le garde l’avait interpellé parce que quelqu’un lui avait parlé de son projet d’évasion. Bien que Corran n’en ait parlé à personne d’autre que Jan et Urlor, les questions qu’il avait posées aux autres prisonniers auraient suffi à alerter les plus stupides.
La seconde conclusion, dont il avait tenté de persuader Jan et Urlor toute la semaine précédente, c’était qu’ils se trouvaient la tête en bas.
La technique permettant de créer ou d’annuler la gravité était très ancienne, et à la portée de tous. Inverser la gravité dans le complexe laisserait croire aux évadés qu’ils approchaient de la surface, et donc de la liberté ; alors qu’en réalité, ils ne faisaient que s’enfoncer plus profondément. Si Corran avait vraiment entendu passer des commandos, tout évadé aboutirait au niveau où se trouvaient les soldats.
— Non, répondit-il enfin. Je continuerai, même si mon expérience échoue. Je suis certain d’avoir raison. Le test servira seulement à vous le prouver.
— Pourquoi t’inquiètes-tu de savoir si nous te croyons ?
— Parce que si j’ai raison, vous pourrez venir avec moi.
— Un estropié te serait peu utile, lâcha Urlor, brandissant sa main droite. J’ai appris la patience. J’attendrai que tu reviennes.
— Là, tu te trompes. (Corran se tourna vers Jan.) Et vous ?
Le vieil homme s’assit en silence.
— Oublie-moi, dit-il. Je ne peux pas partir, même si j’en rêve.
— Vous êtes fort, vous pourriez le faire, insista le Rogue.
— J’apprécie l’image que vous avez de moi, Corran, mais vous me surestimez. (Jan haussa les épaules.) Par ailleurs, si je m’échappe, Cœur de Glace tuera la majorité des prisonniers. Je resterai ici pour les protéger jusqu’à ce que vous rameniez de l’aide.
— Alors, aucun de vous deux ne m’accompagnera ?
— Non, confirma Urlor. Tu seras seul.
Cette réponse trahissait l’existence d’un doute dans l’esprit du géant.
En partant seul, si je suis un espion, je ne compromets personne, réalisa Corran.
— Ne vous inquiétez pas. Je ne suis pas Tycho Celchu, et je ne laisserai personne me trahir une fois de plus, grogna-t-il.
— Tycho Celchu ? répéta Jan. Il est resté ici durant quelques mois. Les gardes l’ont appelé un jour, et on ne l’a jamais revu. C’était un traître ?
— C’est à cause de lui que je suis ici, expliqua Corran. Il a donné aux Impériaux le code du chasseur que je pilotais, ce qui leur a permis d’en prendre le contrôle et de me capturer. Isard dit qu’on accuse Tycho de m’avoir assassiné ; ce n’est que justice. Il a dupé beaucoup de monde, Wedge Antilles compris. Mais c’est terminé. Et, si mon expérience fonctionne, l’Empire perdra bien d’avantage.
D’une certaine manière, Wedge était surpris de sa propre réaction face à l’hospitalité de Koh’shak, qu’il trouvait à la fois barbare et naïve. Un espace avait été dégagé près des vaisseaux de l’Alliance. Des pierres opalescentes disposées en cercle produisaient une lumière bleu et blanc qui donnait aux humains un air de fantômes et aux Twi’leks l’allure de créatures de glace cyanotique.
L’Escadron Rogue et les membres d’équipage des autres vaisseaux avaient été invités à la cérémonie ; ils s’étaient d’eux-mêmes répartis en un cercle de cinq mètres de rayon autour des pierres. Des Twi’leks de différents clans s’étaient mêlés à eux, certains faisant office d’interprètes. Wedge n’entretenait aucune illusion sur la tournure des événements : de manière détournée, on était en train d’interroger ses hommes.
Des serviteurs circulaient parmi les invités, offrant nourriture, boissons et présents. Des musiciens jouaient des airs légers avec des instruments à cordes et à vent. Des passants s’arrêtaient pour observer quelques instants les réjouissances ; ils commentaient la scène à grand renfort de mouvements de tentacules crâniens ou lekku, ainsi qu’on les nommait en rylothéen.
Une danseuse twi’lek menue et agile exécutait une chorégraphie aérienne, fouettant l’air de ses tentacules tatoués. Elle lança à Wedge un clin d’œil mutin qui le fit sourire, puis se détourna pour charmer d’autres visiteurs.
Cazne’olan entoura l’épaule du pilote d’un de ses tentacules.
— Sienn’rha est la seule chose positive qu’ait jamais réussie Bib Fortuna, glissa-t-il. Il l’a ravie à sa famille, qui servait le Côté Obscur de la Force, pour la présenter à Jabba le Hutt. Dans ce but, il lui a enseigné la danse, puis Lukesky’walker a libéré Sienn’rha. Elle danse toujours bien, mais ce soir, elle frôle la perfection à cause de la gratitude qu’elle éprouve pour l’Alliance.
— Elle est tout à fait spectaculaire, souffla Wedge.
Cazne’olan lui tapota l’épaule.
— Il serait possible d’arranger pour vous une danse privée, mon ami, lui susurra-t-il à l’oreille.
— J’apprécie votre proposition, mais…
— C’est Sienn’rha elle-même qui m’a demandé de vous la faire. Elle vous considère comme un héros.
— Je vois.
Wedge réfléchit à ce qu’impliquait cette offre et se sentit fortement tenté. La beauté sensuelle de la danseuse promettait des plaisirs auxquels il n’avait pas eu le temps de se consacrer depuis belle lurette. Son regard sombre, ses lèvres charnues, sa grâce athlétique ne pouvaient le laisser indifférent.
— Transmettez-lui ma profonde gratitude pour son offre et mon sincère regret d’avoir à la refuser, finit-il par dire. Je suis ici en mission diplomatique pour l’Alliance. Peut-être un jour, si je reviens de mon propre chef…
— Elle comprendra, je pense, coupa Cazne’olan.
— Je l’espère. (Wedge fronça les sourcils.) J’ai une question à vous poser au sujet d’une chose que vous avez dite précédemment.
— Allez-y, fit le Twi’lek, un lekku dressé en signe d’interrogation.
— Vous avez prononcé mon nom sous la forme de « Wedgan’tilles » et celui de Nawara sous celle de « Nawar’aven ». En revanche, vous n’avez pas fait de même pour Bib Fortuna. Pourquoi ?
— Bib Fortuna était membre du clan Una, soupira Cazne’olan. À cause de son comportement avec les siens, il en a été exclu. Joindre le nom d’un individu à celui de son clan symbolise l’appartenance au clan en question. Les séparer implique une distance.
— Comment déterminez-vous la manière dont vous prononcerez un nom ? s’enquit encore Wedge. Nawara appartient au clan Ven, mais vous le nommez « Nawar’aven ».
— Tout dépend d’un certain nombre de règles, qui font des noms des augures favorables. En basique, « Ven » se traduit par « argent » et « Nawara » par « orateur » ou « langue », des mots qui suggèrent un don pour la négociation. Nous prononçons son nom en raison des particularités idiomatiques du rylothéen. Sinon, son patronyme signifierait « argent terni ». En modifiant la prononciation, nous conservons la signification initiale.
— Je suis impressionné. Que signifie mon nom de la manière dont vous le prononcez ?
— Il n’existe pas de traduction littérale pour les noms étrangers, mais « Wedgan’tilles » pourrait se rapprocher de « tueur d’étoiles ».
— Ça me plaît, s’amusa le commandant.
— C’est préférable à l’alternative suggérée par la prononciation en basique.
— Qui est ?
— Pour être gentil, « quelqu’un de si nauséabond qu’il donne envie de vomir ».
— Je crois que je préfère votre prononciation…
Un tremblement du sol à peine perceptible éloigna le pilote de ces considérations philologiques. Supposant que l’ouverture de la herse avait causé la vibration, il se tourna vers l’entrée du tunnel. Une demi-douzaine d’Affreux d’un type particulier en sortit, en deux formations de trois.
Jamais vu ce type de vaisseaux auparavant… Ce doit être un concept typiquement Twi’lek.
Les appareils se posèrent en demi-cercle face à ceux de l’Alliance. Un des cockpits s’ouvrit pour laisser sortir un immense pilote vêtu d’une combinaison de vol impériale noire. Un pagne écarlate et une cape y avaient été ajoutés, afin de rappeler la tenue classique du guerrier twi’lek. Ses lekku étaient tatoués d’une variété d’arabesques que Wedge supposa être des glyphes rylothéens, sans pouvoir deviner leur signification.
Quand le pilote avança au milieu du cercle, la musique cessa, et les serviteurs eurent un mouvement de recul. Sienn’rha interrompit sa danse et se réfugia près de Wedge. Alors que l’homme s’approchait encore, le chef des Rogues put voir qu’il mesurait bien quarante centimètres de plus que lui.
Le géant bondit dans un espace qui venait de se former au milieu de la foule et s’arrêta à cinq mètres de Wedge.
— Je suis Tal’dira, premier des guerriers twi’leks annonça-t-il. Toi, l’homme sans lekku habillé comme un guerrier, es-tu Wedge Antilles ?
Le pilote fit de son mieux pour ignorer la manière dont l’homme avait prononcé son nom.
— Je suis Wedgan’tilles, lâcha-t-il.
Le guerrier haussa un sourcil.
— Et vous êtes venu pour le ryll ?
— Je suis venu pour le ryll kor, précisa le rebelle.
Sa réponse provoqua un sursaut de la part de Koh’shak, et un tressaillement du lekku de Tal’dira.
— Y a-t-il un problème ? s’enquit Wedge.
— Non, Wedge Antilles, répliqua Tal’dira, pas si… (Il tira de sa cape une paire de vibrolames.)… Si tu souhaites combattre pour prouver que tu es un guerrier. Sors victorieux de cette lutte, et le kor vous appartiendra peut-être.
L’estomac du commandant Antilles se noua, et son cœur s’emballa. Il était certain de vaincre Tal’dira en combat aérien. En revanche, avec une vibrolame… Il aurait préféré éviter l’affrontement, mais il savait qu’il n’avait pas le choix. Le Kor était indispensable pour vaincre le Krytos.
— D’accord ! lança-t-il.
— Un guerrier ne peut traiter qu’avec un autre guerrier, se borna à répondre le Twi’lek en lui lançant une des vibrolames.
— C’est ce que je pense aussi, acquiesça Wedge.
— Bien.
— Allons-y, je suis prêt.
— Oui, mais ton adversaire ne l’est pas.
Tal’dira se retourna et étudia du regard chacun des Rogues. Tous arboraient des tenues de guerriers twi’leks. L’expression de dédain qui passa sur son visage indiqua qu’il désapprouvait.
Va-t-il en choisir un pour m’affronter ? s’interrogea Wedge, la gorge serrée. Je sais que les Twi’leks peuvent être cruels. M’obligera-t-il à combattre l’un de mes hommes ?
Tal’dira se tourna de nouveau vers le pilote.
— J’ai fait mon choix, déclara-t-il. Prépare-toi.
— Je suis toujours prêt.
— Bien.
Le guerrier lança négligemment une vibrolame à Koh’shak.
— C’est toi que je choisis, annonça-t-il.
Le maître du spatioport ouvrit de grands yeux ronds et saisit l’objet comme s’il était brûlant. Mais il laissa échapper l’arme qui heurta son imposant estomac avant de tomber sur le sol. Maladroitement, il tenta de la rattraper.
D’un geste qui eût pu concurrencer ceux de Sienn’rha, Tal’dira plongea sur la vibrolame et la ramassa pour faire sauter le fermoir de la cape de Koh’shak.
Le guerrier saisit l’un des tentacules crâniens du diplomate et le tira rudement, avant de presser la lame sur sa gorge.
— Les guerriers ne peuvent traiter qu’avec les guerriers, rugit-il. Wedgan’tilles est venu à nous en tant que guerrier, à la tête d’une bande d’autres guerriers. Vous étiez informés de sa mission sur Ryloth, mais vous me l’avez cachée afin de profiter seul des présents qu’il amènerait. C’est un comportement de marchand, pas de guerrier, Kohsh’hak !
Tal’dira avait délibérément écorché le nom de son compatriote. Wedge n’avait aucune idée de ce que ça signifiait, mais il était heureux que la colère du géant ne soit pas dirigée contre lui. Tal’dira lâcha Koh’shak et rengaina l’arme.
— Je te fais cadeau de la vibrolame que tu tiens entre les mains, Wedgan’tilles. Le kor que vous voulez vous sera offert : un cadeau entre guerriers. Il vous est remis avec l’espoir de guérir ceux qui ont été infectés par lâcheté et par trahison. Tout ce que je demande en retour, c’est ton pardon pour cet incident.
Wedge glissa la vibrolame dans sa botte droite.
— Un guerrier ne rend pas un autre guerrier responsable des actions d’un marchand, assura-t-il. (Il désigna les vaisseaux de l’Alliance.) Dans ces appareils, nous avons des cadeaux pour vous…
Tal’dira lui donna l’accolade.
— Tu es un homme d’honneur, Wedgan’tilles, à l’image de ton escadron. Pendant que les marchands se précipiteront pour décharger les appareils, je serais très honoré si tu acceptais de demeurer à mes côtés au Twi’janii. (Il entoura les épaules de Wedge d’un de ses lekku et fit signe aux musiciens.) Jouez ce qu’il y a de mieux, ordonna-t-il.