CHAPITRE XV
En prenant place dans le siège du témoin, Iella Wessiri adressa un sourire à Diric. Celui-ci venait à la Cour pour la première fois, et il semblait excité par la foule qui s’y pressait. Les huissiers l’avaient laissé s’asseoir juste derrière la table de l’accusation ; il se trouvait ainsi près de son épouse lorsqu’elle n’était pas à la barre.
— Iella Wessiri, pourriez-vous exposer à la Cour votre cursus professionnel de ces huit dernières années ? commença Halla Ettyk.
— J’ai rejoint la CorSec une année standard avant que l’Empereur ne dissolve le Sénat. J’y ai travaillé six années durant, puis j’ai été promue à la division de répression du trafic, où j’ai fait équipe avec Corran Horn pendant vingt mois.
« Il y a environ deux ans, Corran, Gil Bastra, mon époux Diric et moi avons fui Corellia avant que notre officier de liaison impérial ne puisse rassembler des preuves contre nous. Mon mari et moi sommes venus sur Coruscant, où nous sommes restés cachés pendant un an. Nous avions suffisamment d’argent, donc pas besoin de travailler.
« Suite à la disparition de Diric, il y a un an, j’ai rejoint l’Alliance et aidé l’Escadron Rogue à faire tomber les défenses de Coruscant. Depuis, j’ai été nommée enquêteur en chef.
— Donc, vous avez travaillé avec Corran Horn durant deux années, enchaîna le procureur.
— J’ai fait équipe avec lui pendant deux ans, corrigea le témoin.
— Qu’entendez-vous par là ?
— C’est comme d’être marié avec quelqu’un, car vous devez avoir en l’autre une confiance absolue. Dans les situations dangereuses, votre vie se trouve entre les mains de votre partenaire.
— Décrivez-nous la relation que vous entreteniez avec Corran.
— Nous étions très proches. Six mois après que j’ai commencé à travailler avec lui, son père a été assassiné. Cet événement l’a anéanti, et je l’ai soutenu. Il était fils unique, sa mère étant décédée quelques années auparavant. Il se sentait donc très seul.
— Jusqu’à quel point connaissiez-vous Kirtan Loor ?
— Il est devenu notre agent de liaison impérial un an avant que je ne commence à faire équipe avec Corran. Je l’ai toujours trouvé très distant. Il n’a fait aucun effort pour apprendre à nous connaître en dehors du travail, et il ne participait pas à nos fêtes. En trois années passées à travailler dans le même bureau que lui, j’en ai suffisamment appris sur lui pour l’éviter autant que possible.
— Y parveniez-vous ?
— Oui, sa taille le rend assez facile à repérer.
— Comment le décririez-vous ?
— Il se targuait de ressembler au Grand Moff Tarkin en plus jeune, ce qui n’est pas entièrement faux. On le remarquait aisément au milieu d’une foule.
— Diriez-vous que Corran Horn le connaissait aussi bien que vous ?
— Objection ! intervint Nawara. Le procureur influence le témoin.
— Objection retenue. Reformulez votre question, commandant, ordonna le Calamarien.
— Oui, amiral. À quel point pourriez-vous dire que Corran Horn connaissait Kirtan Loor ?
— Objection ! C’est un appel à la spéculation.
— Rejetée. (Ackbar se tourna vers Iella.) Vous pouvez répondre à la question.
— Je dirais… aussi bien que moi.
— Merci. Quel genre de documents avez-vous utilisé au cours de votre enquête ?
— J’ai interrogé des témoins, écouté des enregistrements, examiné des preuves matérielles et pris connaissance d’expertises médico-légales. J’ai aussi consulté le dossier de l’affaire.
— Quel genre de choses contient-il ?
— Des rapports établis par le commandant Antilles, le lieutenant Horn et le capitaine Celchu à propos de leur séjour sur Coruscant.
Halla pressa deux boutons sur son bloc-notes.
— Je viens de transférer dans l’ordinateur du tribunal un rapport émanant du lieutenant Corran Horn que je voudrais ajouter aux pièces à conviction, annonça-t-elle. Avez-vous examiné ce document ?
— Oui.
— Que dit-il au sujet de Kirtan Loor ?
— Le lieutenant Horn y rapporte avoir vu le capitaine Celchu en conversation avec lui dans une taverne appelée les Quartiers Généraux.
— En fonction de votre expérience comme partenaire de Corran, de quelle façon définiriez-vous ce compte rendu ?
— Typique de Corran : concis, direct et non équivoque.
— Et, toujours selon votre expérience, comment définiriez-vous la manière dont Corran identifie Kirtan Loor ?
— Il était absolument certain de l’avoir vu parler avec le capitaine Celchu.
— Donc, rien dans ce rapport ne vous a paru étrange ?
— Il y a un petit détail sur lequel je m’interroge, admit Iella après un moment d’hésitation.
Halla se pétrifia de surprise, mais elle se reprit rapidement.
— Votre Honneur, je demande que cette réponse soit rayée du procès verbal, enchaîna-t-elle.
— Non, commandant. Vous avez requis une question supplémentaire, vous devez en assumer les conséquences, trancha Ackbar. Avez-vous encore besoin de ce témoin ?
— Plus pour le moment, monsieur, mais je me réserve le droit de le rappeler.
— Entendu. Le témoin est à vous, maître Ven.
Iella se leva et tenta de se calmer, mais elle sentit son estomac se nouer à l’approche du Twi’lek. Son cœur battit plus fort. Elle n’avait jamais aimé les contre-interrogatoires et n’espérait aucune pitié de la part de Nawara Ven, particulièrement après l’erreur de Halla.
— Agent Wessiri, durant votre collaboration avec la CorSec, avez-vous déjà mené une enquête sur une affaire de trahison ?
— Non, mais j’ai déjà travaillé sur des meurtres.
— Je sais. À plusieurs reprises, je crois ?
— Oui.
— Et certaines de vos affaires étaient plus simples que celle-ci, non ?
— C’est exact.
— Combien de temps vos enquêtes duraient-elles en moyenne ?
— Soyez plus précis.
— Combien de temps avant une arrestation ?
— Moins d’une semaine, lâcha le témoin avec un haussement d’épaules. Si vous n’avez pas de suspect en détention à ce moment, le procès risque de piétiner.
— Mais l’enquête elle-même peut durer plus longtemps ?
— Bien sûr.
— Parce qu’il faut vérifier certains détails, lire et analyser des rapports de laboratoire, entendre des témoins et autres choses de ce genre ?
— Oui.
— La précipitation ne peut-elle conduire à bâcler le travail ?
— Si, parfois.
— Que diriez-vous donc, d’après votre expérience, d’un procès ouvert au bout de deux semaines d’instruction ?
— C’est plus rapide que la moyenne, concéda Iella, non sans une certaine réticence.
— Avez-vous déjà travaillé sur une affaire où le procès se serait déroulé si tôt ?
— Non.
Le Twi’lek se retourna vers son bloc-notes posé sur la table.
— Je voudrais attirer votre attention sur ce rapport, annonça-t-il. Combien de temps après l’incident a-t-il été rendu ?
— Environ deux semaines.
— En tant qu’ancienne partenaire de Corran, diriez-vous qu’il était habituellement plus prompt à rendre les rapports ?
— Oui. Mais quelquefois il était en retard, et les deux semaines dont vous parlez furent assez chargées.
— D’après vous, le fait d’être occupé ailleurs est-il la seule raison pour laquelle le lieutenant Horn a tardé à rendre ce rapport ?
— Objection : c’est une pure spéculation, coupa Halla Ettyk.
— Rejetée. Maître Ven interroge le témoin sur ses propres sentiments, pas sur les pensées qu’elle pouvait prêter à la victime, déclara Ackbar.
— Non, ce n’était pas la seule raison. Nous pensions que le capitaine Celchu était mort sur Noquivzor ; il n’y avait donc aucune urgence d’établir un rapport.
— Je comprends. À l’époque où vous étiez sa partenaire, avez-vous vu Corran Horn commettre d’autres erreurs ?
— Il était humain.
— Peut-être pourriez-vous développer cette réponse pour ceux qui ne le sont pas, lança Nawara, offusqué.
Iella rougit et baissa les yeux. Quelle parole stupide, surtout ici et maintenant ! se reprocha-t-elle.
— Je veux dire, oui, il commettait des erreurs.
— Merci. Vous avez fait allusion à un élément du rapport vous ayant conduite à douter de l’identification de Kirtan Loor faite par le lieutenant Horn. De quoi s’agissait-il ?
— Corran a dit que Loor portait une cape à capuche et qu’il suivait le capitaine Celchu dans l’arrière-salle de la taverne, expliqua Iella. Il a reconnu Loor d’après sa taille et sa démarche, mais il n’a jamais vraiment vu son visage.
— Et, aussi doué qu’était Corran, pensez-vous qu’il ait pu se tromper ?
— Oui.
— Merci pour votre franchise. Ce sera tout.
— Voulez-vous interroger de nouveau le témoin ? proposa le Calamarien au procureur.
— Non, amiral.
— Vous pouvez disposer, agent Wessiri. La séance est suspendue. Le Conseil Provisoire se réunit pour évoquer un certain nombre de problèmes, et je dois être présent. Le procès sera interrompu durant une semaine. D’après la question que vous avez posée précédemment, maître Ven, je suppose que vous n’y verrez pas d’inconvénient ?
— J’accepte volontiers un délai supplémentaire, confirma le Twi’lek.
— Commandant Ettyk, pas d’objection non plus ?
— Non, monsieur.
Très bien, la session est ajournée une semaine.
Iella pénétra dans le bureau de Halla Ettyk.
— Diric se repose dans le bureau d’à côté, annonça-t-elle ; j’espère que cela ne vous dérange pas. La foule était déjà beaucoup pour lui, mais les huissiers ne semblaient pas disposés à le laisser reprendre son souffle. Ils étaient réticents à le laisser entrer avec moi.
— Ça n’est pas un problème, mais trouvez-lui un badge de visiteur, suggéra Ettyk.
— Que se passe-t-il ? s’enquit Iella en se glissant dans un fauteuil face au bureau de transpacier.
— Je viens de parler à l’assistant de l’amiral Ackbar, annonça Ettyk en reposant un comlink. La session n’a pas été ajournée à cause d’une simple réunion du Conseil Provisoire. Suite à l’attaque de l’entrepôt de bacta par le FPL, nous avons également une menace d’attentat. On n’est pas sûrs de sa provenance, ni de la fiabilité de cette information, mais il est question de renforcer la sécurité du Palais de Justice.
— Je vois.
— C’est aussi bien : ça me laisse une semaine pour étayer mon dossier.
— Je suis désolée pour ce que j’ai dit là-bas. Je ne veux pas que le meurtrier de Corran s’en tire, mais…
— Ce n’est pas votre faute. L’amiral Ackbar avait raison ; j’ai posé une question de trop. Au moins, rien n’a été dit sur le Duros que le capitaine Celchu prétend avoir rencontré ce soir-là. Pour l’instant, le tribunal sait seulement que Corran a pu se tromper en identifiant Kirtan Loor, mais pas au point de le prendre pour un Duros.
— Nous savons tous que Celchu clame haut et fort avoir rencontré Lai Nootka ce soir-là.
— Oui, mais cette affirmation est inutilisable car il n’y a pas de preuves. Seul Tycho pourra en parler à la barre.
— Et si le Duros témoignait ?
— Quelle est la probabilité que ça arrive ? Il n’y a aucune preuve de sa venue sur Coruscant. De plus, Corran et lui ont un passé commun. Corran l’a fait sortir d’une prison impériale sur Garqi. Pourquoi Nootka nuirait-il à un homme qui lui a sauvé la vie ?
— Mais où était l’intérêt de tuer Corran alors qu’il suffisait de faire appel à Lai Nootka pour démontrer qu’il se trompait ? Tycho a toujours clamé son innocence. Ce qui signifie qu’il savait où trouver le Duros pour démonter le raisonnement de Corran, ou…
— Qu’il était innocent ? coupa Halla. Ne vous engagez pas dans cette direction.
— Mais c’est peut-être la vérité.
— Bien sûr, seulement ça n’est pas à nous d’en décider, mais au jury. Vous n’allez quand même pas essayer de retrouver le véritable meurtrier de votre partenaire alors que nous tenons Celchu, avec une marge de doute raisonnable.
— Et si c’était mon intention ?
Halla grimaça.
— Les idéalistes ne devraient pas faire ce travail, vous savez, lâcha-t-elle.
— Où voulez-vous en venir ?
— Cette histoire de Duros m’a ennuyée aussi. Je peux admettre que Tycho ait sorti ce nom juste pour ennuyer Corran, mais ce serait très risqué pour lui. Or, Tycho est quelqu’un de très prudent. Je ne le vois pas se livrer à ce genre de provocation ; c’est pourquoi je peux envisager qu’il ait réellement rencontré Lai Nootka. Et si c’est exact, je dois m’interroger sur notre incapacité à le retrouver, ainsi que toute trace de sa présence sur Coruscant.
— Alors même si vous pensez qu’il travaillait pour l’Empire, vous croyez que la disparition de Nootka est la preuve que quelqu’un s’efforce de faire accuser Tycho. Mais qui ? Et pourquoi ?
— Vous voulez retrouver le Duros ?
— Si vous n’y voyez pas d’inconvénient.
— Faites-le. (Halla tendit à son interlocutrice une petite plaque de silicium.) Prenez ça ; c’est un badge d’accès qui vous permettra d’accéder avec votre air-speeder au parking du niveau supérieur.
« Vous pourrez rejoindre la Cour avec le turbo-ascenseur. Ça permettra à Diric d’éviter la foule…
— La situation va devenir de plus en plus étrange, non ?
— J’en ai peur…