CHAPITRE VIII
Corran savait que se trouver à nouveau dans le cockpit d’un chasseur aurait dû le rendre heureux, mais ce n’était pas le cas. Quelque chose le tracassait, et il ne pouvait ignorer son malaise. Il n’avait pas le sentiment de faire partie d’une patrouille, mais plutôt d’accomplir une mission aux plans tenus secrets.
— Némesis Un, répondez.
— Tout va bien, Contrôle.
Corran ne pouvait chasser de son esprit la sensation d’être manipulé.
Je suis sérieux, je ne me détourne pas des tâches difficiles, et je fais ce qu’on me demande. Dans la limite du raisonnable, songea-t-il.
Ces pensées se perdirent dans les limbes lorsqu’il réalisa qu’aucun souvenir ne les illustrait. Il était sûr d’avoir accompli de nombreuses missions dangereuses, mais il ne se rappelait rien précisément.
— Némesis Un, deux vaisseaux hostiles approchent à dix kilomètres. Vous êtes libre d’attaquer et de les abattre, l’informa la même voix.
— À vos ordres.
Corran mit le cap sur la direction appropriée, et ne tarda pas à découvrir deux chasseurs Tie. Il n’en avait pas peur et ne leur aurait accordé que très peu d’importance, si une pensée inattendue ne lui avait pas traversé l’esprit :
Deux Tie ne sont pas aussi meurtriers qu’un seul Tycho. Le rapport lui semblait tout à fait logique. Les sonorités similaires avaient créé un lien entre les deux idées, renforcé par le fait que Tycho Celchu avait été, lui aussi, un pilote impérial.
Corran savait que son ancien camarade avait trahi l’Escadron Rogue et il était décidé à le lui faire payer.
Si je ne me trouvais pas ici, je serais là-bas, en train de m’occuper de lui, murmura-t-il.
Avant qu’il ait eu le temps de se demander où était ce là-bas, la voix reprit :
— Nous possédons des informations complémentaires sur les vaisseaux en approche. Nous vous les transmettons.
Sur son moniteur, l’image passa d’un chasseur Tie à une aile X. Des données défilèrent, informant Corran que le vaisseau était piloté par le capitaine Tycho Celchu. Il eut une montée d’adrénaline. La coïncidence était incroyable : il tenait l’occasion, à la fois de lutter contre Tycho, et de venger l’Escadron Rogue…
Corran fit basculer son intercepteur et plongea. Les ailes X approchaient. Il se retourna à nouveau et accéléra. L’écran indiquait qu’un des vaisseaux tentait de lancer une torpille à protons.
Quelques manœuvres conduisirent Corran près de l’appareil de Tycho. Il enclencha le jumelage des lasers, prévoyant qu’il devrait faire feu plusieurs fois pour l’abattre. Il dépassa sa cible et tira hâtivement mais la manqua. L’aile X ne réagit pas. Ça ne ressemblait pas du tout à Celchu.
Corran fit une nouvelle boucle, mais ses scanners révélèrent que l’aile X ne le suivait pas.
Il frissonna.
Ils se comportent comme des chasseurs Tie, pas comme des ailes X. Et le pilote du premier n’est pas Tycho Celchu.
Corran bascula son ordinateur de visée sur le second appareil, et vit que celui-ci était prétendument piloté par Kirtan Loor. Un désir de pulvériser l’aile X lui vint. La véhémence de ses sentiments lui fit oublier que Loor et Tycho avaient été en contact sur Coruscant. Puis il se souvint que Loor ne savait absolument pas piloter.
Il ne peut pas être ici. Et la probabilité que Tycho et lui se montrent ensemble à un endroit où je risque de les attaquer est nulle.
Si la coïncidence lui avait d’abord procuré un vif plaisir, il lui paraissait maintenant évident qu’il était manipulé. La colère l’envahit. L’implication de ses ennemis personnels dans cette situation l’amena à déduire deux choses :
Primo, je me trouve dans un simulateur. Secundo, quelqu’un en sait suffisamment à mon sujet pour connaître mes ennemis.
Corran réalisa que seuls les Impériaux pourraient vouloir lui faire apprécier d’attaquer des Rebelles. Mais peu d’entre eux prendraient le temps et fourniraient les efforts nécessaires à cette stratégie.
À l’exception d’une personne : Ysanne Isard. Cette conclusion débloqua quelque chose dans l’esprit de Corran. Isard était connue pour sa capacité à retourner des Rebelles contre leurs amis et leur famille. Elle y avait réussi avec Tycho Celchu et bien d’autres encore.
Ses agents corrompus avaient fait d’énormes dégâts parmi les ennemis de l’Empereur, et la mort de ce dernier n’avait rien fait pour pousser celle que l’on appelait Cœur de Glace à interrompre ses opérations.
L’esprit de Corran commençait à s’éclaircir. Il se rappela avoir rencontré Isard après sa capture. Elle avait juré de faire de lui un instrument de la vengeance de l’Empereur.
Cette simulation, comme la précédente, était destinée à le monter progressivement contre les Rebelles. Et des sessions ultérieures anéantiraient sa résistance.
Des électrodes transmettent mes pensées à un ordinateur, et y adaptent le simulateur, réalisa-t-il. (Il les arracha d’un geste brusque, ignorant la douleur engendrée par cette action.) Bien vu.
Du même coup, Corran ôta son masque à oxygène pour le laisser pendre sur sa poitrine et saisit son micro.
— Ici Némesis Un, annonça-t-il. Le jeu est terminé : je ne trahirai pas les miens.
Le ciel étoilé disparut de son écran pour laisser place au buste de Ysanne Isard.
Ses yeux vairons (rouge pour le gauche et bleu acier pour le droit) ajoutaient à son expression déjà glaciale.
— Vous avez l’impression, Corran Horn, que cette petite victoire signifie quelque chose et entrave mes plans. Mais il n’en est rien. Vous avez travaillé avec la CorSec, vous devez donc savoir à quel point certaines séances d’interrogatoire peuvent être efficaces. Ce que vous avez subi est à peine plus qu’un test.
— Je l’ai réussi.
— De votre point de vue. Du mien, ça signifie seulement que vous vous êtes reclassé. Il vous faudra plus de temps qu’à d’autres, mais à Lusankya, nous avons l’éternité devant nous.
— Dans ces conditions, j’aurai tout le temps d’organiser mon évasion, répliqua Corran avec un haussement d’épaules.
— J’en doute. (Isard soupira.) Si vous vous montriez docile, vous pourriez trouver votre séjour plaisant. Mais comme vous ne l’êtes pas, la prochaine étape me permettra de déterminer si vous savez quelque chose d’utile. Malheureusement, ça implique d’effectuer un tri dans vos pensées. J’espère que vous avez eu une vie intéressante, car mes techniciens sont réputés pour devenir cruels lorsqu’ils s’ennuient.
— Ils ne tireront rien de moi.
— S’il vous plaît, Horn, maîtrisez votre agressivité. Nous commencerons avec un narco-interrogatoire de niveau quatre, que nous porterons au niveau un si nécessaire. Vous nous direz tout ce que nous voulons apprendre.
Corran se glaça.
Avec un simple niveau quatre, il se rappellerait ce que sa mère elle-même avait oublié concernant l’époque où elle le portait dans son ventre.
Des centaines d’images traversèrent son esprit, et il chercha à séparer ce qui était important de ce qui ne l’était pas. Bien que douloureuse, cette démarche le fit sourire.
Par Loor, ils savent tout de ma période avec la CorSec. Mais ils n’obtiendront que très peu d’informations importantes, puisque j’étais hors circuit avant de rejoindre l’Escadron Rogue. De plus, je n’en sais pas assez sur la Rébellion pour lui causer du tort.
— Je vous vois sourire, Horn. Vous êtes confiant pour l’instant, mais ça va changer. (Isard sourit à son tour, ce que Corran trouva sinistre.) Quand nous en aurons fini avec vous, sourire ne sera plus pour vous qu’un souvenir douloureux.