CHAPITRE II

Dans une suite, au sommet d’une tour surplombant le Centre Impérial, Kirtan Loor esquissa un sourire. À cette hauteur, il avait pour seuls compagnons les faucons chauves-souris et quelques agents des Services spéciaux, encore menaçants même sans leurs armures de commandos. Il se sentait seul, mais ça allait de pair avec son sentiment de supériorité. Au sommet du monde, il avait tout pour commander et dominer.

Ou détruire.

Ysanne Isard lui avait confié la tâche de créer et de diriger le Front Palpatine de Libération. Il savait qu’elle n’espérait pas une grande réussite de sa part. Il pouvait perturber le fonctionnement de la Nouvelle République, ralentir sa prise de contrôle de Coruscant et entraver sa maîtrise de l’administration galactique. Mais ça s’arrêtait là.

Kirtan Loor pouvait prétendre à mieux. Des années auparavant, lorsqu’il avait commencé à travailler comme agent de liaison impérial avec la CorSec, il n’aurait jamais cru se retrouver si haut dans la hiérarchie. Mais il avait toujours été ambitieux, très sûr de lui-même et de ses capacités.

Son principal atout était sa mémoire, qui lui permettait de se rappeler une pléthore de faits, aussi obscurs soient-ils.

Lorsqu’elle l’avait appelé au Centre Impérial, Ysanne Isard avait clairement spécifié qu’il lui fallait apprendre à réfléchir, et non se borner à des suppositions. Kirtan Loor savait qu’il pouvait accomplir tout ce qu’elle lui demandait, et bien plus.

En bas, il regarda les silhouettes minuscules des dignitaires rassemblés autour du mémorial. Bien qu’il les méprisât pour leur politique, il les rejoignait dans le « chagrin » dû à la perte de Horn. Ce dernier avait été sa Némesis. Ils s’étaient haïs mutuellement sur Corellia, et Loor avait passé un an et demi à le pourchasser après sa fuite. La traque avait pris fin quand Ysanne Isard avait amené Kirtan au Centre Impérial. Mais il avait anticipé sa renaissance lorsqu’on lui avait donné l’ordre de rester sur Coruscant.

La mort de Corran avait à peine diminué le nombre des ennemis que Loor comptait au Centre Impérial. Le plus redoutable d’entre eux était le général Cracken, directeur des services secrets de l’Alliance. Son réseau d’espions avait permis la conquête de la capitale impériale, et ses mesures de sécurité avaient donné du fil à retordre aux agents du contre-espionnage. Cracken était un ennemi de taille.

Kirtan savait que d’autres le poursuivaient au titre d’une vendetta personnelle. L’Escadron Rogue tout entier, du commandant Antilles jusqu’aux nouvelles recrues, se ferait un plaisir de le capturer et de le tuer. Si on ne pouvait lui attribuer directement la mort de Corran, qu’il l’ait détesté était une charge dont on ne le disculperait pas facilement.

Le dernier membre de la CorSec que Loor ait pourchassé était Iella Wessiri, et sa présence au Centre Impérial lui donna à réfléchir. La jeune femme n’avait jamais traqué ses ennemis de manière aussi implacable que Corran. Alors qu’il menait ses enquêtes à la force du poignet, elle amassait les indices un à un, mais semblait plus consciencieuse que lui et accomplissait avec fougue ce qu’il faisait avec brutalité. Il était difficile de la voir arriver, ce qui la rendait extrêmement dangereuse.

Kirtan Loor s’éloigna des fenêtres et se tourna vers la représentation holographique de la foule massée en bas. La cérémonie était retransmise sur la planète entière, et le serait dans divers autres mondes de la galaxie. Il regarda Borsk Fey’la et Wedge Antilles converser, puis s’éloigna et déambula dans sa suite.

Ramassant la télécommande sur la table, il l’alluma. Un bouton rouge s’éclaira. Loor laissa un instant planer son pouce dessus, mais il résista à l’envie d’appuyer sur l’interrupteur.

Il reposa la télécommande.

Des années plus tôt, il l’aurait fait, déclenchant les explosifs que ses hommes avaient dissimulés tout autour du mémorial. D’un simple geste, il aurait engendré le feu et la douleur, liquidant du même coup l’Escadron Rogue et un noyau de traîtres.

Mais il s’abstint. Ysanne Isard pensait que l’obsession de l’Empereur de détruire les chevaliers Jedi l’avait conduit à sous-estimer le reste de la Rébellion, qui avait survécu aux Jedi et à Palpatine.

L’autorité de l’Empire ne pouvait renaître que de la destruction de la Rébellion, et cela requérait des méthodes plus subtiles que faire exploser des planètes ou des tribunes : accomplir avec une vibrolame ce qui ne pouvait l’être avec une Étoile Noire.

L’Escadron Rogue devait continuer à vivre, car il était nécessaire au spectacle que constituerait le procès de Tycho Celchu. Le général Cracken avait de nombreuses preuves établissant la culpabilité de Celchu, et Loor avait pris un malin plaisir à ouvrir la voie aux enquêteurs. L’escadron, qui avait foi en l’innocence de Tycho, refuserait de céder. Cela augmenterait la tension entre les conquérants du Centre Impérial et les politiciens, arrivés bien après les pilotes qui avaient risqué leurs vies pour rendre le monde plus sûr.

Si les héros de la Rébellion commençaient à douter de leurs dirigeants, comment la population continuerait-elle à leur faire confiance ?

Le virus Krytos avait encore compliqué les choses. Créé sous la surveillance de Loor par un scientifique à la botte de l’Empire, il tuait les non humains d’une manière atroce.

Le stade final de la maladie survenait à peu près trois semaines après l’infection. En l’espace de huit jours, le virus se développait et faisait exploser les cellules l’une après l’autre. La chair s’affaiblissait, se flétrissait, se fissurait ; les victimes saignaient par tous leurs orifices. Le liquide qui s’écoulait avec leur sang était hautement infectieux. Et si le bacta pouvait bloquer la progression du virus ou, en quantité suffisante, l’éliminer, la Rébellion ne disposait pas de réserves suffisantes pour traiter tous les cas déclarés sur Coruscant.

Le prix du remède était monté en flèche et les stocks baissaient à vue d’œil. Les gens en faisaient des provisions. Plusieurs mondes avaient ordonné la mise en quarantaine des vaisseaux originaires du Centre Impérial, perturbant ainsi l’économie déjà fragile de la Nouvelle République, et entamant son autorité. L’immunité des humains contre le virus engendrait de fortes tensions avec les non humains.

Loor sourit. Il avait pris la précaution d’emporter une réserve de bacta qu’il vendait par petits lots. Ainsi les Rebelles, préoccupés par le virus, aidaient sans le savoir au financement d’une organisation dont le but ultime était la destruction de la Nouvelle République.

L’ironie de la situation suffisait à apaiser sa peur d’être pris.

Retourner les tactiques des Rebelles contre eux lui semblait n’être que justice : il leur renvoyait la peur et la frustration qu’avaient connues tous les Impériaux durant la Rébellion. Désormais, Loor cesserait de se cacher et choisirait ses cibles au hasard. Ainsi, personne ne se sentirait à l’abri. Il savait que l’on qualifierait sa technique de terrorisme aveugle, mais il n’avait nullement l’intention de procéder de manière rudimentaire.

Aujourd’hui, il détruirait les tribunes autour du monument. Elles seraient presque vides, et ceux qui les auraient quittées quelques minutes ou quelques heures auparavant seraient soulagés qu’elles n’aient pas explosé plus tôt. Mais tout le monde saurait que se rassembler dans un endroit public pouvait être dangereux.

Si Loor s’en prenait à un centre de traitement et de distribution de bacta, les gens seraient déchirés entre la possibilité de se protéger du virus et celle de se voir réduits en morceaux. En frappant des cibles civiles, il pourrait amener la population à faire pression sur les militaires.

Ayant déjà lui-même tenté de neutraliser une force antigouvernementale, Loor mesurait le défi que la Nouvelle République devrait affronter. Et peu lui importait qu’elle n’ait jamais eu recours à des actions terroristes. Si le but des Rebelles était de mettre en place un nouveau gouvernement, le sien était de détruire ce qu’ils avaient créé. Il voulait que l’anarchie s’instaure, provoquant une révolte contre l’autorité et le système. Alors, sa mission serait accomplie et l’Empire reviendrait.

Loor reprit la télécommande et retourna à la fenêtre. En bas, il distinguait de petites taches de couleur mobiles. Il jeta un coup d’œil vers les hologrammes mais n’aperçut aucun personnage important. Il suivit des yeux une femme, lui laissant le temps de sortir du champ de l’explosion, puis pressa le bouton.

Il y eut une série de détonations autour du monument. Au sud, les tribunes vacillèrent, puis s’abîmèrent dans les profondeurs du Centre Impérial, entraînant une demi-douzaine de personnes. Un homme s’agrippa au bord de la plate-forme et se hissa hors du trou, mais une autre explosion le fit retomber. Des fenêtres de transpacier volèrent en éclats, et les tribunes furent projetées contre les bâtiments alentour.

La poussière et la fumée se dissipèrent pour laisser apparaître l’armature métallique qui entourait le monument. Elle avait été déchiquetée ; un énorme morceau se balançait dangereusement, tenu par une seule barre de renfort.

L’onde de choc fit trembler la tour où se trouvait Loor. Les faucons chauves-souris rétablirent leur équilibre en agitant leurs ailes postérieures, puis décollèrent. Loor les connaissait assez pour savoir qu’ils voleraient jusqu’au lieu de l’explosion. Ils regarderaient d’abord dans les fissures avec l’espoir d’y trouver des limaces, puis, privés de leur proie favorite, ils se rabattraient sur les lambeaux de chair laissés par les victimes.

— Bonne chasse ! leur souhaita-t-il. Régalez-vous. D’ici à ce que j’aie terminé, il y aura encore de la nourriture pour vous. Je vais vous laisser festoyer sur mes ennemis. Dans ce monde qu’ils appellent le leur, nous nous épanouirons ensemble.