CHAPITRE XIV

C’est probablement dans un lieu comme celui-ci que l’Escadron Rogue a préparé la conquête du Centre Impérial, songea Kirtan Loor. Baissant la tête sous une série de tuyaux moisis, il suivit son guide vers les entrailles rouillées du Centre. Il avait été conduit bien plus loin qu’il ne le croyait possible dans cette ville aussi grande qu’une planète, parcourant ainsi plusieurs kilomètres dans un labyrinthe chaud et humide.

L’agent spécial qui le précédait tourna à droite, vers une ouverture ovale taillée dans le mur du tunnel d’accès. L’espace bas et large où il pénétra puait la rouille, l’eau stagnante et le moisi. Une faible lumière ajoutait à l’éclairage temporaire que ses camarades avaient installé pour leur collection hétéroclite d’airspeeders. Ces engins cabossés et dépareillés avaient été soigneusement démontés et transformés en une demi-douzaine de bombes volantes, destinées à être lancées sur différents entrepôts de bacta.

Un des agents, affichant un sourire satisfait, s’avança vers Loor.

— Comme vous pouvez le voir, nous sommes prêts à partir à tout moment, annonça-t-il.

Le plan était assez simple. Les speeder-ferries commerciaux étaient monnaie courante aux abords du Centre Impérial ; ils transportaient des airspeeders et des landspeeders jusqu’aux hangars d’entretien. Les techniciens les conduisaient souvent à travers la ville au moyen d’un faisceau tracteur et d’un simple relais. Utiliser un speeder-ferry pour tracter un véhicule jusqu’à l’endroit approprié, puis le faire téléguider vers l’intérieur du bâtiment était le moyen le plus simple d’expédier les bombes.

L’agent leva les yeux avec l’air d’attendre quelque chose.

— Quand va-t-on nous donner le signal du départ ? demanda-t-il.

Loor jeta un œil à son chronomètre.

— Selon la rumeur, Mon Mothma devrait dévoiler le plan de distribution du bacta décidé par le Conseil Provisoire dans quatorze heures. Je n’ai pas encore déterminé si nous devons agir tout de suite ou attendre quelques jours.

« Contactez-moi sur une fréquence sûre trois heures avant le début du discours de Mon Mothma, ordonna-t-il. Prévoyez que l’action sera lancée pendant son allocution. Quand vous m’appellerez, je vous informerai de la décision qui aura été prise. Si vous ne parveniez pas à me joindre, l’initiative vous en incomberait.

— Très bien, monsieur. (L’employé désigna les airspeeders.) Si vous voulez inspecter notre travail…

— Vous avez toujours été efficace, capitaine. Je ne vois aucune raison de douter de vous maintenant.

— Merci, monsieur. Je vais vous faire raccompagner.

Loor suivit un des hommes vers une autre issue du bunker souterrain, qu’il trouva moins odieuse et que l’utilisation d’un turbo-ascenseur rendit moins longue.

Après avoir pris congé de l’employé, il s’enfonça dans la ville, vérifiant constamment qu’il n’était pas suivi.

L’idée de détruire les réserves de bacta des Rebelles lui plaisait, mais pas pour les raisons que lui auraient prêtées la plupart d’entre eux. Il ne prenait aucun plaisir à envisager la mort de millions de gens. Aussi bizarre que cela puisse paraître, leurs vies ne représentaient rien pour lui. Il ne les connaissait pas, et même s’ils étaient nombreux, Kirtan Loor n’avait jamais été très ému par les chiffres.

Détruire le bacta, c’était simplement remporter une victoire sur la Rébellion. Il savait que ses efforts ne rétabliraient pas l’Empire.

De toute façon, ce n’était pas le but que s’était fixé Ysanne Isard lorsqu’elle l’avait affecté au Centre Impérial en tant que dirigeant du mouvement pro-Palpatine. Ce qu’il faisait affaiblirait la Rébellion et permettrait aux autres forces de l’achever. Du même coup, il affermirait sa position au sein de la hiérarchie impériale.

Désireux de regagner son antre et de se débarrasser de la puanteur du Centre Impérial, Loor tira un comlink de sa poche et réclama qu’un de ses gardes vienne le chercher avec un airspeeder. Quelques instants plus tard, l’appareil arriva.

Assis à l’intérieur, un humain assez petit à la chevelure blanche pointa un pistolaser sur Loor.

— Montez, ordonna-t-il, ou mes hommes se chargeront de vous pousser.

Faute d’autre option, l’agent impérial se résolut à obtempérer et se tassa sur l’un des strapontins. La porte se referma derrière lui, le laissant seul avec l’inconnu dans la pénombre du véhicule. Il agrippa les poignées de sécurité.

— Ai-je intérêt à les utiliser, Moff Vorru ? s’enquit-il.

Fliry Vorru hocha la tête.

— Oui, agent Loor, accrochez-vous. Je ne dis pas que ça va forcément être rude, mais le Centre Impérial est un endroit plein de surprises.

— J’ai remarqué.

Vorru posa le pistolaser sur le tableau de bord.

— Je ne suis plus Moff, tout au plus colonel de la milice populaire du Centre Impérial, précisa-t-il.

— Bel uniforme, railla Loor. Je suis sûr qu’il vous mettra en valeur lors des conférences que vous donnerez pour annoncer ma capture. Une opération intéressante pour vous…

— Ça se pourrait. (Vorru bâilla avec ostentation.) La question est de savoir si c’est nécessaire ou non.

— Pardon ?

— Vous me posez un problème, agent Loor. Votre Front Palpatine est une des raisons pour lesquelles ma milice a été créée. Tant que vous représenterez une menace, le Conseil Provisoire aura besoin de moi. Sans vous, il ne nous restera que d’insignifiants fraudeurs et d’autres petits criminels.

— Que vous tenez en ce moment sous votre contrôle, compléta Loor.

— Vous me surestimez.

— Vraiment ? Vous m’avez pourtant trouvé assez vite.

— Pur hasard. J’étais en train de consolider mon emprise sur le marché noir du bacta, et je surveillais un certain Nartlo qui utilisait une source que je ne parvenais pas à isoler. Mes hommes ont repéré les vôtres lorsqu’ils sont venus le voir hier soir.

« Ils ont maintenu leur surveillance, ce qui les a conduits jusqu’à ce véhicule et leur a permis de remonter jusqu’à vous. Depuis que vous avez retourné Zekka Thyne contre moi, je me suis fait fort d’en apprendre davantage à votre sujet et, surprise, vous voilà.

— J’espère que je ne vous déçois pas.

— Il est encore trop tôt pour le dire. En temps normal, je ne vous aurais pas capturé si vite. Mais Nartlo a dit qu’il vous avait communiqué l’emplacement des dépôts de bacta de la République. Il prétendait que vous étiez un simple négociant. J’ai tenté de déterminer s’il me mentait, mais vous aviez tout prévu.

— Alors, vous avez utilisé du skirtopanol.

— Oui, et les convulsions ont été assez abominables.

— Des convulsions ? Nous lui avions administré une dose de lotiramine en lui affirmant que ça le protégerait du Krytos. J’ai donné des instructions fermes pour les doses. Il a dû prendre quatre fois la quantité indiquée pour avoir des convulsions. Est-il mort ?

— Hémorragie cérébrale.

— Il nous était utile, c’est pourquoi nous ne l’avons pas tué. La lotiramine aurait rendu l’interrogatoire difficile pour les Rebelles, et certaines des informations que Nartlo détenait au sujet de mon plan les auraient conduits sur de fausses pistes.

— Même s’il prétendait qu’aucun assaut sur les réserves de bacta n’était prévu, c’est bien ce que vous prépariez, non ? interrogea Vorru.

— J’aurais cru que le général Cracken recourrait à des méthodes d’interrogatoire plus professionnelles, lâcha Loor.

— C’est ce qu’il fera, si vous ne choisissez pas de coopérer. Faute de réponse de votre part, je dirai à Cracken que j’ai découvert un complot contre les centres. Il transférera le bacta dans d’autres endroits ; vous aurez perdu, et j’aurai gagné.

— Quelle est l’autre possibilité ?

— Vous travaillerez pour moi, dorénavant. Vous attaquerez les cibles que je vous indiquerai, quand je vous le demanderai. Je ne suis pas si hostile que ça à votre petite guerre contre la Rébellion.

Bien sûr, j’aurais dû y penser, songea Loor.

— Vous avez l’intention de succéder au prince Xizor, déduisit-il.

— Xizor a eu une trop grande confiance en lui et n’a pas su observer les gens.

— Ainsi, vous seriez en position de prendre le pouvoir si la Rébellion faiblissait.

— Mais je n’ai aucun désir de voir la Rébellion échouer. Je veux seulement que ses dirigeants échouent. Ysanne Isard a peut-être introduit le Krytos dans le Centre Impérial, mais les Rebelles ont riposté avec une menace bien plus mortelle : moi. Ils ont cru que je pouvais mettre un terme aux problèmes créés par le Milieu, mais ils ont oublié que l’Empereur lui-même me considérait comme son rival à une certaine époque. S’ils l’ont oublié, ce n’est pas mon cas. Maintenant, Palpatine est mort, et je suis ici, sur son territoire.

« La question qui se pose, agent Loor, est de savoir comment vous voulez détruire la Rébellion. Voulez-vous la pulvériser ou bien la paralyser jusqu’à ce qu’elle pourrisse d’elle-même et meure ? Ce qui prendra sa place, je vous l’assure, sera à votre goût.

Mon refus de coopérer engendrera ma mort, alors le choix est évident.

De toute façon, tout comme Ysanne Isard, Fliry Vorru ne vivra pas éternellement.

— Qu’attendez-vous de moi ? demanda Loor.

— Je veux que vous attaquiez l’un des six entrepôts : celui juste au sud du district sénatorial. Mes hommes ont déjà réussi à dérober une grande partie du bacta qu’il contenait. Votre attaque servira à nous couvrir, et nous pourrons ainsi profiter de la hausse des prix du marché noir. Puis je vous indiquerai de nouvelles cibles.

— Considérez que c’est chose faite. Ce soir, pendant le discours de Mon Mothma ?

— Ah ! Vous avez le goût de l’ironie, le félicita Vorru. Splendide. Cette alliance devrait être des plus profitables pour nous. Je pense pouvoir prédire que travailler avec vous, agent Loor, sera un plaisir constant.