CHAPITRE XII
Nawara Ven eut un sursaut qui se répercuta jusque dans les extrémités de ses lekku.
Si je ne parviens pas à me contrôler plus que ça, Tycho est perdu, songea-t-il.
Il se sentait très nerveux. Le procès était organisé, (fomenté, eût été, d’après lui, un terme plus approprié), dans l’ancienne Cour de justice impériale, dont le décor strict lui rappelait celui du Palais.
Et l’endroit ne lui semblait pas propre à susciter la compassion.
L’amiral Ackbar avait accédé à la requête du Twi’lek : le procès ne serait pas retransmis en direct. Cette question avait fait l’objet d’une séance à huis clos du Conseil Provisoire. Borsk Fey’la prétendait qu’une justice rendue dans l’ombre ne ferait que perpétuer la politique de l’Empire. En réponse, Nawara avait souligné qu’un procès public ne constituerait qu’un simulacre de justice. Ils avaient fini par s’entendre sur des résumés filmés.
Ça n’est pas grand-chose, mais c’est déjà un début. Si je fiche tout en l’air, les gens le sauront un peu plus tard.
Face à lui, le commandant Halla Ettyk se dirigea vers la table de l’accusation. Grande et élancée, elle était coiffée à la manière de la princesse Leia et dotée d’une forte mâchoire. Son regard s’enflamma lorsqu’elle se tourna vers Nawara, puis vers le tribunal.
— Si la Cour le permet, nous allons faire entrer le premier témoin, annonça-t-elle.
Ackbar acquiesça.
— Je vous en prie, commandant, dit-il.
— L’accusation appelle à la barre le lieutenant Pash Cracken.
Nawara tapota sur son carnet électronique pour retrouver la déposition que le lieutenant avait faite quelque temps auparavant. Il promena son regard sur le texte rylothéen pour dissimuler sa surprise. Il s’attendait réellement à ce qu’Ettyk commence par appeler Iella Wessiii ou le général Cracken, dans le but d’établir une relation entre Tycho et les services secrets impériaux.
Au lieu de cela, avec Pash, elle semblait vouloir prouver que Tycho avait à la fois un mobile et les moyens de tuer Corran.
J’aurais dû le prévoir, se reprocha Nawara.
— Avec ça, notre défense est par terre, grommela-t-il.
Pendant que le lieutenant prenait place à la barre des témoins et prêtait serment, Tycho se pencha vers lui.
— Que voulez-vous dire ? s’enquit-il.
— Pash a de nombreuses preuves laissant croire que vous avez tué Corran. Je pourrais faire douter le jury en démontrant que d’autres que vous pourraient également être suspectés, mais le tribunal va se montrer sévère.
— Vous allez me sortir de là, affirma Tycho avec un sourire confiant.
— Je l’espère…
Ettyk se leva de la table de l’accusation avec la souplesse d’un félin à l’affût.
— Lieutenant Cracken, commença-t-elle, votre passé militaire a déjà été mentionné dans le compte rendu de ce procès ; je ne vais donc pas revenir sur vos nombreuses actions au sein de l’Alliance. Toutefois, je voudrais rappeler les événements de la nuit où Coruscant nous est revenue. Pouvez-vous nous en parler ?
— Oui.
— Bien. Où étiez-vous à ce moment-là ?
— Sur Coruscant.
— Et y étiez-vous dans le cadre d’une mission confiée à l’Escadron Rogue ?
— Oui.
— Cette mission obligeait-elle le capitaine Celchu à se trouver également sur Coruscant ?
— J’ai eu seulement connaissance des ordres qui m’ont été donnés, affirma Pash. Je ne sais rien de ceux du capitaine Celchu.
— Au moment où vous avez quitté votre base pour Coruscant, où pensiez-vous qu’il se trouvait ?
— Objection ! intervint Nawara. La question est hors de propos, et l’accusation n’a apporté aucune preuve montrant que le témoin pouvait y répondre.
— Retenue, trancha l’amiral Ackbar. Les suppositions du lieutenant Pash sont sans intérêt, commandant Ettyk.
— Bien, amiral.
— Maître Ven, poursuivit le Calamarien, vous n’avez pas à justifier vos objections. Nous les prendrons comme elles viendront, entendu ?
— Je tiens compte de l’avertissement de la Cour, s’inclina Nawara, qui retourna s’asseoir et se força à respirer calmement.
Tu ne vas pas gagner cette affaire avec le premier témoin, songea-t-il. Sois prudent.
— Lieutenant Cracken, les membres de l’escadron se sont rassemblés ici, sur Coruscant, n’est-ce pas ? reprit Halla Ettyk.
— Oui.
— Et le capitaine Celchu ne se trouvait pas parmi eux, exact ?
— Non, il n’était pas là.
— Mais vous avez eu de ses nouvelles.
— Oui.
— Grâce au rapport faisant état d’une attaque de la base de Noquivzor par Zsinj, qui aurait touché l’Escadron Rogue ? Tycho comptait au nombre des disparus.
— Oui.
— Qui a établi ce rapport ?
— Le commandant Antilles.
— Après en avoir pris connaissance, qu’avez-vous pensé du capitaine Celchu ?
— Qu’il était mort, admit le témoin. Il était considéré comme « disparu en mission », ce qui revenait au même ; mais nous n’en avions aucune preuve formelle.
— D’autres rumeurs couraient au sujet du capitaine Celchu ?
— Oui.
— Qui les propageait ?
— Le lieutenant Horn.
— Que disait-il exactement ?
— Objection : ce ne sont que des ouï-dire, coupa Nawara.
— C’est sans danger pour l’accusé, amiral. La déclaration que s’apprête à faire le lieutenant Cracken va à l’encontre des intérêts du lieutenant Horn.
— Quoi ? s’indigna le Twi’lek. Comment ce qu’a dit Corran au sujet du défendeur pourrait-il lui nuire ?
— Le lieutenant Horn était fier de ses talents d’observateur, expliqua Ettyk avec un sourire. Lorsqu’il a relaté ce qu’il avait vu, il s’est auto-déprécié. Étant donné sa position au sein de l’Escadron Rogue, ça allait à l’encontre de ses intérêts.
— Amiral, ceci est un grossier détournement de procédure, protesta Nawara.
— Vous ne pourrez pas taire cette histoire ; elle est incluse dans le rapport établi par le commandant Antilles sur l’opération de Coruscant, déclara Ettyk.
— Si vous tenez absolument à évoquer cette histoire, amenez les éléments requis et appelez vos témoins dans l’ordre, exigea Nawara.
Vous gagnerez peut-être à mentionner ces faits, mais je ne vais pas vous faciliter les choses.
Ackbar s’entretint quelques instants avec le général Madine.
— L’objection est rejetée, trancha-t-il enfin.
— Amiral, ça justifierait que je fasse appel, lança l’avocat de la défense.
— C’est possible, maître Ven, mais la décision est maintenue. Lieutenant Cracken, vous allez dire à la Cour tout ce que vous vous rappelez sur les propos de Corran Horn.
— Corran a dit qu’il avait vu Tycho sur Coruscant le jour même où le seigneur de guerre Zsinj a attaqué Noquivzor, affirma le témoin.
— Et selon lui, que faisait Corran lorsqu’il l’a vu ?
— Le lieutenant Celchu s’entretenait avec quelqu’un dans une taverne.
— Qui ?
— Objection, intervint encore Nawara. La question appelle une conclusion non justifiée.
— S’il vous plaît, commandant, précisez, demanda Ackbar.
— Oui, amiral, capitula la représentante de l’accusation. Qui le lieutenant Horn a-t-il dit avoir vu converser avec le capitaine Celchu ?
— Il a parlé de Kirtan Loor, mais…
— C’est suffisant, lieutenant, merci.
— Mais…, insista Pash.
L’amiral Ackbar dévisagea le témoin.
— Je suis certain que maître Ven vous permettra de terminer lors de son contre-interrogatoire, assura-t-il.
— Bien, monsieur.
— Maintenant, je veux que vous vous rappeliez le moment où vous avez revu le capitaine Celchu après l’annonce de sa mort, reprit Ettyk.
— C’était il y a trois semaines. Il s’est manifesté et nous a secourus alors que des commandos tentaient de nous tuer.
— Sa présence vous a-t-elle conduit à réévaluer les dires du lieutenant Horn ?
— Non, je ne pense pas.
— Non ? On vous avait dit que le capitaine Celchu était mort, puis vous l’avez revu. Cela ne vous a-t-il pas poussé à remettre en cause les dires de Horn ?
— Nous étions très occupés à ce moment-là. La situation semblait désespérée. J’avais des ordres ; je ne m’occupais pas de choses qui ne me concernaient pas.
— Pas même un peu ? Même quand vos consignes impliquaient d’empêcher qu’un traître ne transmette des informations à l’Empire ?
— C’était normal pour une opération secrète.
— Mais vous deviez vous demander s’il n’y avait pas effectivement un agent double, n’est-ce pas ?
— Non.
— Vraiment ? Vous êtes un ami du capitaine Celchu ?
Pash hésita.
— Nous appartenons au même escadron. Je le connais et je sais ce qu’il vaut. Il m’a sauvé la vie.
— Et vous pensez lui devoir quelque chose ? Vous ne voulez pas témoigner contre lui ici, c’est ça ?
La réponse fut ferme.
— Non.
— Et j’ai dû vous y contraindre au moyen d’une assignation à comparaître, est-ce exact ?
— Oui.
— Je requiers la permission de considérer ce témoin comme hostile, annonça Ettyk.
— Ça n’est pas bon signe, grimaça Nawara.
— Pourquoi ? demanda Tycho à voix basse.
— En témoignage direct, les questions sont censées être ouvertes et non directives. Dans un contre-interrogatoire, vous devez amener le témoin à donner les réponses que vous attendez. Une personne obligée de répondre à des questions donne toujours l’impression de dissimuler quelque chose. Pash essaie de faciliter mon travail, mais il ne fait que le rendre plus difficile.
Ackbar fit un signe à la partie civile.
— La permission de considérer le lieutenant Cracken comme hostile est accordée.
— Merci, amiral. Vous êtes un homme intelligent, lieutenant. Vous avez suivi une formation à l’Académie Militaire Impériale sous une fausse identité que votre père avait créée pour vous, est-ce exact ?
— Oui.
— Et l’opération qui vous a amené sur Coruscant impliquait que vous y arriviez sous une fausse identité ?
— Oui.
— Vous savez donc ce que c’est d’opérer à couvert dans un environnement hostile, comme le ferait un espion ?
— Oui.
— Serait-il naturel pour un homme intelligent comme vous d’utiliser ce qu’il a appris pour vérifier qu’il est capable de repérer un espion dans son entourage ?
— C’est possible.
— C’était le cas, lieutenant ? Vous vous êtes certainement amusé à évaluer des gens et mesurer la confiance que vous pouviez leur accorder.
— Oui.
— Et le capitaine Celchu figurait a fortiori sur votre liste d’individus suspects ?
— Sur une échelle de un à l’infini, il occupait la cinquième position.
— Mais plus haut que n’importe qui d’autre au sein de l’escadron ?
— Vous détournez mes propos.
— Je demande que cette réponse soit rayée du procès verbal, intervint Nawara : elle est sans rapport avec la question.
— Accordé. Contentez-vous de répondre aux questions, lieutenant, ordonna Ackbar.
— Vous aviez attribué au capitaine Celchu le rang le plus haut ? répéta Ettyk.
— Oui, confirma le témoin à contrecœur.
— Merci. Une nuit, il y a deux semaines, vous prépariez une mission ayant pour but d’aider à la prise de Coruscant.
— Oui.
— Quelle était cette mission ?
— Cinq d’entre nous devaient couvrir l’escadron pendant qu’il tentait de faire tomber les défenses de la planète.
— Et pour ce faire, vous aviez besoin de chasseurs ?
— Oui.
— D’où venaient-ils ?
— Le capitaine Celchu en avait fait l’acquisition durant son séjour sur Coruscant.
— Il avait même accompli une mission ici, exact ?
— Oui : celle au cours de laquelle il nous a sauvés.
— Cette nuit-là vous avez assisté à une conversation entre le capitaine Celchu et Corran Horn ?
— Oui. Cependant, je n’y ai pas pris part.
— Mais vous l’avez bel et bien surprise ?
— Oui.
— Avez-vous entendu le capitaine Celchu dire au lieutenant Horn qu’il avait révisé son appareil ?
— Oui.
— Et avez-vous entendu le lieutenant Horn menacer le capitaine Celchu de révéler sa trahison à leur retour de mission ?
— Oui, répondit le témoin d’un ton las.
— Quelle a été la réponse du capitaine Celchu à cette menace ?
— Il a dit qu’il n’avait rien à craindre de Corran.
— Comme s’il savait qu’il n’y aurait pas d’enquête ?
Nawara se dressa d’un bond.
— Objection, ce ne sont que des spéculations.
— Accordée.
Ettyk se retourna et fit signe au Twi’lek.
— Le témoin est à vous, dit-elle.
Nawara hésita un instant. Tout ce qu’Ettyk avait obtenu de Pash était de lui faire dire qu’il avait vu Tycho et Corran se quereller. Sans le vaisseau, elle ne détenait aucune preuve de sabotage.
Ce que Nawara pouvait faire durant son contre-interrogatoire était de demander à Pash l’explication fournie par Tycho concernant le jour où Corran l’avait vu parler avec Kirtan Loor. Le lieutenant Celchu affirmait avoir rencontré un commerçant Duros, Lai Nootka, et non Kirtan Loor.
Nawara savait qu’Ettyk s’opposerait à ce que le témoin reprenne l’explication de Tycho.
Faute de pouvoir appeler Lai Nootka ou Tycho à la barre, il n’y avait aucun moyen de l’éviter.
— Maître Ven ?
— Désolé, amiral ; je n’ai aucune question à poser à ce témoin, pour l’instant.
— Très bien. Témoin suivant, commandant Ettyk.
— L’État appelle à la barre Erisi Dlarit.