CHAPITRE XVII

Wedge se sentait plus entravé par le fait de porter un uniforme de parade et de se trouver à la barre qu’il ne l’avait jamais été au cours de ses raids contre l’Empire.

— Commandant Antilles, comment avez-vous été amené à vous trouver sur Coruscant avant que nos forces n’en aient pris possession, interrogea Halla Ettyk ?

— Mon escadron et moi avons été envoyés là-bas comme éclaireurs. Nous devions déterminer si l’Alliance pouvait envisager la prise de la planète.

— Je vois. Quel était le niveau de sécurité de cette mission ?

— Le plus haut. Si notre venue était ébruitée, nous étions morts.

— Quel rôle le capitaine Celchu a-t-il joué dans la préparation de cette opération ?

— Aucun.

— Pourquoi ?

— Objection, intervint Nawara, cette question pousse à l’interprétation.

— Conseiller Ven, ne vous opposez pas à des questions auxquelles le supérieur du capitaine Celchu pourrait répondre. Objection rejetée, dit Ackbar. Répondez, commandant.

— Le général Cracken voyait Tycho comme une menace pour la sécurité de l’opération, expliqua Wedge à contrecœur.

— Alors comment a-t-il fini par arriver sur Coruscant ? s’enquit le procureur.

Wedge hésita. Ça ne va pas faire bon effet.

— Je n’aime pas les missions secrètes, avoua-t-il. On dirait que les choses que vous ignorez sont toujours celles qui vous mettent dans l’embarras. Si l’un de nos hommes s’était fait prendre, il eût été logique que les Impériaux déduisent qu’il y en avait d’autres et se mettent à les chercher. Je voulais être accompagné sur Coruscant par quelqu’un en qui je puisse avoir confiance dans les situations difficiles.

— Vous n’avez donc choisi qu’un homme en qui les services secrets de l’Alliance n’avaient pas confiance.

— Mais je l’ai fait pour une bonne raison, commandant Ettyk : Tycho était déjà venu sur Coruscant et connaissait l’endroit.

— Pourtant, il y a été capturé ?

— Oui.

— Et emprisonné dans le lieu où l’Empire forme ses agents secrets ?

— C’est ce qu’on m’a rapporté.

— Commandant Antilles, pourquoi avez-vous éprouvé le besoin d’opérer seul sur Coruscant ?

— La situation se serait dégradée si l’opération avait été découverte.

— Aviez-vous des raisons de croire qu’elle pourrait être compromise ?

— Je ne suis pas certain de comprendre la question, lâcha Wedge.

— Quelles raisons aviez-vous de craindre que l’opération soit mise en danger par les services secrets impériaux ? reformula Halla.

— Ce risque existe toujours. Sans doute notre destination justifiait-elle une telle hypothèse.

— Et vous saviez, comme vous nous l’avez dit, que le capitaine Celchu avait été capturé sur Coruscant ?

Où veut-elle en venir ? s’interrogea Wedge.

— Oui.

— Je crois que l’Escadron Rogue avait récemment connu d’autres incidents de genre. Et on avait aussi parlé de trahison ?

— Je ne suis pas sûr de vous suivre.

— S’il vous plaît, racontez à la Cour la première mission sur Borleias.

— Ce fut un désastre total. Nous avons perdu de nombreux hommes sans réussir à prendre la planète.

— Et il y a eu une enquête à votre retour, reprit Halla, pour déterminer si l’ennemi n’avait pas été informé de votre mission ?

— Oui, mais Tycho n’a jamais été soupçonné.

— Je sais. Toutefois, la mission Coruscant avait été organisée depuis Noquivzor, tout comme celle vers Borleias, exact ?

— Oui.

— Donc, il était probable que la personne qui avait trahi la mission de Borleias fasse de même pour celle de Coruscant ?

— Oui.

— D’où votre précaution ?

— Oui.

— Et pourtant, vous avez affirmé n’avoir aucun motif de soupçonner le capitaine Celchu ? N’avez-vous pas trouvé quelque peu suspectes les conditions de la mort de Bror Jace ?

— Pardon ?

— Je crois, commandant Antilles, que vous étiez présent dans la salle d’audience lors du témoignage du capitaine Uwlla Iillor concernant la capture ratée de Bror Jace. Au moment de sa mort, n’avez-vous pas envisagé que des informations sur son voyage sur Thyferra aient pu être divulguées à l’Empire ?

— Non.

— Pas du tout ? insista Halla.

— Certainement pas en pensant que Tycho pouvait être à l’origine d’une fuite, s’entêta Wedge.

— Qui a obtenu la permission et organisé le déplacement de Bror Jace vers Thyferra ?

— Tycho, sur mon ordre.

— Aviez-vous visé son plan de vol ?

— Non, répondit Wedge après une hésitation.

— Étiez-vous seulement informé de ce plan ?

— Non.

— À votre connaissance, quelqu’un d’autre que le capitaine Celchu ou Bror Jace le connaissait-il ?

— Non, admit Wedge.

— Le capitaine Iillor a témoigné que son vaisseau, l’Aspic Noir, avait reçu des ordres spécifiques concernant l’heure et le lieu où récupérer Bror Jace. D’après vous, comment cette information a-t-elle été obtenue ?

— Par un espion, je suppose. Je ne sais pas. Ça n’est pas vraiment ma spécialité.

— Il vous serait donc difficile de reconnaître un agent secret ennemi ?

— Vous excellez à déformer mes paroles. Je sais que Tycho ne travaillait pas pour l’Empire.

— Vous avez pu en être persuadé, commandant Antilles. Mais quand Corran vous a rapporté qu’il l’avait vu parler avec un agent de l’Empire, vous ne vous êtes pas demandé si ce qu’on disait sur Tycho n’était pas vrai ?

Wedge ferma les yeux. Quand Corran était venu le voir, il avait été incapable de dissimuler son trouble…

Par réflexe, je lui ai dit : « C’est impossible », se souvint-il. Mais un instant, je me suis autorisé à croire ce qu’il avait dit. Même si j’ai refusé de l’admettre, je n’ai jamais pu prouver que ses allégations étaient entièrement fausses.

— Oui, admit-il, s’empêchant de regarder Tycho. J’ai réfléchi à ce que disait le lieutenant Horn, mais j’ai rejeté cette hypothèse.

— Pour quels motifs ?

— Je savais que Tycho n’était pas un espion.

— Vous ignoriez que Zekka Thyne travaillait pour l’Empire ?

— Non, mais je ne lui ai jamais vraiment fait confiance.

— Sur quoi était fondée cette opinion ?

— Sur son histoire et…

Wedge s’interrompit.

— Et ? s’enquit Halla.

— Et son comportement…

— D’autres facteurs ne sont-ils pas intervenus dans votre jugement ?

— Objection ! Question non pertinente, Votre Honneur, intervint Nawara Ven.

— Commandant, tout ça me semble quelque peu éloigné de votre point de départ, fit remarquer Ackbar à l’attention de Halla.

— Au contraire, Votre Honneur. Je me rapproche de mon but.

— Continuez, mais attention : je ferai rayer cette partie du procès-verbal si vous tardez trop à en venir aux faits.

— Oui, monsieur.

— L’objection est rejetée, conclut le Calamarien.

— Commandant, d’autres facteurs sont-ils entrés en ligne de compte dans l’opinion que vous vous êtes faite de Thyne ? répéta Ettyk.

— Pas vraiment.

— L’opinion du lieutenant Horn à ce sujet ne comptait-elle pas à vos yeux ?

— Oui, même si l’hostilité de Thyne envers Corran était encore plus révélatrice.

— Mais vous sentiez que votre propre observation du personnage corroborait les dires de Horn ?

— Oui.

— Donc, quand Thyne s’est révélé être une taupe au service de l’Empire, que vous n’aviez pas détectée et au sujet de qui Corran vous avait mis en garde, n’avez-vous pas reconsidéré la position du lieutenant à propos de Tycho Celchu ?

— Pour être franc, tant d’événements se sont produits quand nous avons découvert que Thyne était un traître, que je n’avais plus qu’une chose en tête : accomplir ma mission. Nous venions de recevoir l’ordre de faire tomber les défenses pour permettre à notre flotte d’entrer. Tycho m’a transmis cette information. S’il avait été un agent impérial, il aurait pu la garder pour lui et nous tendre un piège.

— Vous n’êtes donc pas d’avis que l’Empire nous a laissé un monde infecté par le Krytos dans le but de nous détruire ?

— Je n’ai aucune idée, commandant Ettyk, de ce que Ysanne Isard avait en tête au moment où nous avons pris Coruscant.

— Je vois. (Halla échangea un disque de données avec Iella.) Mais vous n’excluez pas cette possibilité ?

— Je ne peux effectivement pas l’écarter.

— Et vous ne pouvez pas non plus exclure celle que Tycho Celchu ait travaillé pour l’Empire en livrant Coruscant à la Nouvelle République ?

— Si, je le peux. Je connais Tycho. Je sais qu’il n’est pas un espion et je lui fais confiance.

— Comme vous aviez confiance en Thyne jusqu’à ce qu’il soit découvert ?

— Non, ça n’était pas le cas.

— Peut-être pas pour vous, commandant, mais ça l’était pour un homme, Corran Horn, et il est mort.

 

À l’extérieur de la salle d’audience, Wedge s’adossa contre le mur de pierre glacé.

J’ai voulu venir pour aider Tycho, mais j’ai échoué. Il donna un coup de poing dans le mur. Tas de merde !

Il se releva, car une femme s’approchait de lui, tendant un comlink et faisant signe à un holo-caméraman ithorien.

— Ici Zaree Lolvanci, de l’holojoumal kuati. Je me trouve aux côtés d’un héros de l’Alliance, le commandant Wedge Antilles.

« Commandant, quel effet cela vous fait-il de savoir que votre témoignage accable le capitaine Celchu ?

Avant que Wedge ait rassemblé ses esprits pour répondre, quelqu’un se glissa entre la journaliste et lui.

Le commandant sentit qu’on lui serrait les bras et entendit une voix répondre à sa place.

— Le seul intérêt du commandant Antilles dans cette affaire est de voir aboutir la justice. Il est tout à fait serein, et sûr que le capitaine Celchu sera innocenté quand la défense plaidera. Jusque-là, toute spéculation sur l’issue de ce procès me semble prématurée et potentiellement préjudiciable. Ce sera tout.

Wedge se laissa guider jusqu’à un poste de sécurité par Diric Wessiri qui le fit s’asseoir sur un banc et s’installa à côté de lui.

— Odieuses personnes que ces journalistes, n’est-ce pas, commandant Antilles ?

— Ils ne font pas très bonne impression de prime abord, reconnut Wedge.

— Et ça ne s’arrange pas par la suite. Comment tenez-vous le choc ?

— Je pense que je m’en remettrai. Il me faut juste un peu de temps. (Wedge étudia son interlocuteur, un homme maigre à la peau cendreuse mais au regard intense et intelligent.) Merci de m’avoir sauvé.

— Ravi d’avoir pu vous être utile. Iella craignait que quelque chose de ce genre n’arrive. C’est elle qui m’a envoyé auprès de vous.

— Je croyais qu’elle était heureuse de la tournure que prennent les événements, fit remarquer Wedge. Le commandant Ettyk m’a dévoré tout cru.

— Non, elle n’est pas heureuse. (Diric tapota une de ses poches.) J’ai un badge d’accès au parking privé. Nous pouvons prendre mon airspeeder et quitter cet endroit. Iella a dit qu’elle aimerait nous rejoindre plus tard pour déjeuner, si vous le voulez.

— Je doute d’être une compagnie agréable. (Wedge se retourna vers la salle d’audience.) Je voulais, par mon témoignage, mettre fin à la persécution de Tycho, mais tout ce que j’ai réussi à faire, c’est donner l’impression que je le considérais aussi comme un espion.

— Pas du tout. D’abord, les juges vous connaissent et savent à quel point témoigner vous a été difficile. Le commandant Ettyk n’a fait qu’établir que Tycho est venu sur Coruscant à votre demande, et que vous envisagiez la possibilité d’une trahison.

— Bien sûr, mais elle a aussi insinué que je ne savais pas repérer un espion.

Diric haussa un sourcil.

— Pourquoi le sauriez-vous ? Comme vous l’avez dit, ça n’est pas votre rôle. Entre vous et moi, je ne crois pas non plus que Tycho soit un espion.

— Merci.

— Pas de quoi. Dans sa prison, j’ai eu nombre de conversations avec le capitaine Celchu, et je l’ai trouvé tout à fait sympathique. Si c’est un espion, alors nous sommes tous suspects.

« J’ai déjà assisté à beaucoup de procès, et vous n’avez pas fait pire que bien d’autres témoins. Vous espériez faire pencher la balance par votre seule intervention. Malheureusement, le procès de Tycho n’est pas une Étoile Noire. Il ne se réglera pas aussi facilement. Mais Nawara Ven sait où il va, et il fera du bon travail.

— J’aimerais vous croire, soupira Wedge, mais je me sens comme sur Yavin, quand Luke m’a demandé de sortir de la tranchée. Il avait raison : je n’avais rien d’autre à faire, mais abandonner à ce stade me désespérait.

— Je comprends, cela dit, l’Étoile Noire a quand même été détruite.

— Oui, mais Biggs Darklighter en est mort. Si j’étais resté, peut-être…

— Peut-être seriez-vous mort à sa place, acheva Diric, secouant la tête d’un air réprobateur. Et vous pensez sans doute que si vous aviez volé la nuit de la prise de Coruscant, Corran serait toujours parmi nous ?

Je n’y avais pas pensé, mais cette idée a déjà dû m’effleurer.

— Ce n’est pas que j’aie envie de mourir, vous savez.

— Je comprends, Wedge. J’ai déjà rencontré le sentiment de culpabilité typique des survivants. Il m’est même arrivé de l’éprouver. Nous avons tous des amis dont nous pensons qu’ils sont morts prématurément, et nous nous demandons ce que nous aurions pu faire pour l’empêcher. Mais il n’y a pas de réponse à cette question. Pour moi, c’est une source de réflexion ; pour ma femme et vous, c’est une cause de frustration et de regret.

« C’est pour ça qu’Iella travaille si dur, pour découvrir qui a causé la mort de Corran. Elle a détesté ce que vous avez subi à la barre, parce que vous êtes son ami, mais sa loyauté envers Corran l’obligeait à y assister.

— Oui, j’imagine. Je peux comprendre la frustration qu’elle éprouve, et je dois aussi me demander s’il existait un moyen d’empêcher la mort de Corran.

— Il y en avait certainement un, Wedge, mais vous ne pouviez pas y recourir. Et si le capitaine Celchu était un espion, ni le général Cracken, ni Winter ni Iella ne s’en sont aperçus.

— Mais Corran…

— Même si je l’estimais, il n’avait pas toujours raison, assura Diric.

— C’est ce qu’a révélé Whistler.

— Et personne ne le connaissait mieux. Conservez votre foi en Corran ; il le mérite.

— Encore une fois, merci.

— Vous n’avez pas besoin de me remercier. Alors, voudriez-vous que je vous emmène quelque part ? Nous pouvons aller déjeuner ou boire quelque chose, et Iella nous rejoindra plus tard.

Wedge réfléchit et secoua la tête.

— Il doit y avoir deux autres heures d’audience aujourd’hui ? demanda-t-il.

— Oui, Winter a été appelée après vous.

Il doit être dur pour Iella de voir témoigner Winter. Elles sont très proches. Et comme Winter est avec Tycho…

— Iella va avoir besoin de vous, déclara Wedge. Le témoignage de Winter sera pour elle une épreuve encore plus rude que le mien.

— Mais vous ne devriez pas rester seul en ce moment.

— Je ne le serai pas. Je vais marcher un peu, passer par le Musée Galactique, puis m’arrêter à la Galerie Criminelle voir quelques vieux amis. Je reviendrai ici à la fin de l’audience et je vous rappellerai votre offre. J’ai le sentiment qu’après une telle journée, Iella ne voudra pas être seule non plus. Peu importe comment ça se terminera, je la considère comme une amie et je veux m’assurer qu’elle n’en doute pas.