CHAPITRE XXII
Les coudes posés sur le clavier de son terminal, Iella se prit la tête entre les mains. La vague d’agitation prévue était arrivée, mais elle avait reflué beaucoup trop tôt, et la fatigue, accompagnée d’une peur mal définie, lui avait succédé. La jeune femme se sentait faiblir, mais elle refusait de se laisser aller.
Elle avait commencé une enquête méthodique pour retrouver le capitaine duros, Lai Nootka. Grâce à ses sources d’information rebelles et impériales, elle était parvenue à en dresser une sorte de profil.
L’enregistrement le plus complet venait d’une planète nommée Garqi, où Nootka et son équipe avaient été emprisonnés par l’Empire durant plusieurs mois pour avoir fait de la contrebande en faveur de l’Alliance. La présence du Duros était attestée, et le préfet Barris, ennemi impérial de Nootka, avait payé chèrement sa prise de bec avec l’Alliance.
C’est sur Garqi que Corran a rencontré Nootka, songea Iella.
Son enquête avait pris plusieurs directions. Elle avait entrepris de chercher les enregistrements correspondant aux divers noms d’emprunt de Nootka et aux codes d’identification du Plaisir des Étoiles qu’elle avait répertoriés. Elle avait remarqué que le Duros effectuait une mission pour l’Alliance au moment où Tycho disait l’avoir rencontré sur Coruscant.
Iella avait également étudié la personnalité de Lai Nootka. Les Duros étaient des individus grands et élancés, à la peau bleue, qui affichaient, selon les humains, une expression permanente de sévérité. Ils étaient solitaires et peu enclins à se mêler d’affaires qui ne les concernaient pas. Pour la plupart, ils demeuraient neutres à l’égard de la Rébellion, quelques audacieux prenant quand même le risque de traiter avec l’Alliance.
Tel était le cas de Lai Nootka.
La plus grande victoire d’Iella avait été de récupérer des informations sur un groupe de jeunes Duros dont Nootka avait utilisé les noms pour créer ses fausses identités et celles de son vaisseau. Afin de retrouver le procédé utilisé, Iella avait inventé de nouveaux alias d’après le raisonnement qui lui semblait le plus probable.
Elle les avait insérés dans l’ordinateur impérial, espérant obtenir un résultat rapide.
La machine avait refusé une grande partie de ces noms, mais elle en avait quand même retenu un. Quatre jours avant la rencontre de Tycho avec Nootka, un transporteur corellien de type Gymsnor-3, appelé l’Enfant Nova, avait fait son entrée dans le système de Coruscant. Un certain Hes Glillto avait prétendu en être le capitaine. Mais on n’avait jamais enregistré le départ de ce vaisseau, ce qui ne surprit pas Iella.
Les entrées et sorties des appareils figuraient dans un registre tenu par le lieutenant Virar Needa, du Satellite Orbital de Transfert d’Énergie Solaire 1127. Bien qu’elle relève de leurs compétences, les officiers du SOTES se chargeaient rarement de cette tâche. De plus, l’arrivée de ce vaisseau avait été enregistrée après la prise de Coruscant par l’Alliance et l’incarcération de Tycho Celchu.
Le fait qu’aucun enregistrement ne mentionne le départ de l’Enfant Nova ne prouvait rien, sinon que le vaisseau avait pu partir durant le sommeil de Needa. Mais cette hypothèse ne satisfaisait pas Iella, convaincue que si ni Hes Glillto ni son vaisseau ne figuraient sur les registres, c’était parce que ceux-ci avaient tout simplement été purgés.
Quiconque possédant un accès à ces fichiers aurait pu y injecter de fausses informations destinées à prouver que Tycho était un agent impérial.
Ou Tycho lui-même aurait pu falsifier les dossiers pour se donner l’air d’être victime d’un coup monté.
Iella secoua la tête. Pour la plupart, les renseignements qu’elle détenait étaient intéressants, mais totalement inexploitables. Elle n’était pas en mesure de prouver que Lai Nootka et Hes Glillto ne faisaient qu’une seule et même personne. De plus, même si l’Enfant Nova était arrivé sur Coruscant quelques jours avant la rencontre que Corran avait surprise, on ne pouvait exclure la possibilité que le vaisseau soit reparti avant ce fameux rendez-vous.
Iella soupira. Diric lui avait parlé de ses conversations avec Tycho. Plus que jamais, il semblait convaincu de l’innocence du capitaine, et son opinion avait une influence considérable sur le jugement de son épouse. Pourtant, s’il s’avérait que Tycho était bien responsable de la mort de Corran, elle n’accepterait pas de le voir s’en sortir facilement.
Je dois bien ça à Corran, songea-t-elle.
Un ululement familier la ramena à la réalité et fit apparaître un sourire sur son visage.
— Whistler ! s’exclama-t-elle.
La petite unité R2 vert et blanc émit un bip joyeux. Elle était suivie de près par le droïd de protocole de l’Escadron Rogue.
— Bonjour, maîtresse, dit celui-ci.
— Bonjour ? répéta Iella, l’air dubitatif.
Elle jeta un coup d’œil à l’horloge située dans le coin supérieur droit de son écran.
— Je ne peux pas le croire ! Ça fait huit heures que je suis ici ! Diric va me tuer, gémit-elle.
— J’espère que non, maîtresse, répliqua M3. Ce serait un crime et…
— C’est une expression, M3. Je voulais dire qu’il serait mécontent.
— Ah ! Je vois.
Iella tapota affectueusement la tête de Whistler.
— Que faites-vous tous les deux dans le centre informatique ? demanda-t-elle.
— Nous pouvons le lui dire, Whistler, assura le droïd. Vous voulez connaître la vérité, maîtresse ?
— Oui, et j’ai l’impression de m’en éloigner chaque jour davantage. Qu’avez-vous découvert ?
— Whistler, branche-toi là-dessus et montre-lui, suggéra M3 en désignant un des ports du terminal.
« Nous avons fini le travail que nous avait demandé maître Ven avant de partir, expliqua le droïd. Ce faisant, nous avons relevé des allusions récurrentes à la prise de Coruscant.
— Lesquelles ?
— On prétend que Ysanne Isard nous aurait laissé ce monde parce qu’il était infecté par le Krytos. Si l’on admet que cette épidémie a créé de fortes tensions au sein de la Nouvelle République, cette hypothèse semble tout à fait probable.
— Je ne suis pas certaine de vous suivre ; pouvez-vous être plus précis ? demanda Iella, les sourcils froncés.
— Certainement. Whistler, montre-lui.
Les données figurant sur le terminal disparurent sous un graphique faisant état de l’évolution du virus. À en croire cette représentation, l’épidémie s’était d’abord étendue rapidement, puis stabilisée au cours des dix derniers jours.
— L’affection a cessé de se développer grâce au traitement au bacta, remarqua Iella.
— Exactement. Et le graphique qui dénombre les victimes présente une courbe similaire, précisa M3.
— J’imagine. C’est horrible.
— Whistler va maintenant nous montrer une projection de ce que nous aurions connu si l’Alliance avait pris la planète six jours plus tard. (Un autre schéma s’afficha à l’écran.) Les victimes auraient alors représenté quatre-vingt-cinq pour cent des populations infectées.
— Tous les non humains auraient disparu de Coruscant, souffla la jeune femme, bouche bée.
— C’est ça. Il semble que le virus n’ait pas bénéficié de la période d’incubation nécessaire à son développement complet. Si l’Alliance était arrivée une semaine plus tard, les ravages auraient été bien plus importants.
— Nous aurions perdu toute chance de pouvoir sauver la planète, murmura Iella. Les non humains auraient fui en masse et contaminé leurs mondes d’origine. Sans leur aide, l’Alliance se serait effondrée…
— C’est tout à fait probable, maîtresse, confirma M3.
— Alors, si les Impériaux ont tout fait pour retarder notre victoire, c’était pour nous empêcher de prendre la planète à temps. Peu importait à Cœur de Glace de savoir si nous allions l’emporter ; la seule chose qui l’intéressait, c’était quand. Puisque Tycho nous a permis de faire tomber les défenses, nous ne pouvons pas supposer qu’il travaillait pour elle.
M3 hocha la tête et Whistler bipa triomphalement.
— Sauf, bien sûr, si c’est ce qu’elle veut que nous croyions, ajouta Iella. Vous avez fait du bon travail, tous les deux. Malheureusement, c’est à peu près aussi inutile que ce que j’ai trouvé sur Lai Nootka. Je peux émettre des hypothèses, mais sans rien prouver.
« J’aimerais croire que Tycho est victime d’un coup monté, mais je ne vois aucune raison pour qu’Isard déploie autant de moyens afin de discréditer une personne ayant si peu de pouvoir au sein de l’Alliance.
La petite unité R2 émit une série de bips.
— Oui, je vais le lui dire, répondit M3. (Il se tourna vers Iella.) Il pense que discréditer Tycho peut se répercuter sur l’Escadron Rogue. Si le capitaine Celchu était reconnu coupable, cela affecterait le commandant Antilles, et ça pourrait amener une enquête sur la première attaque de Borleias. Si on lui en faisait porter la responsabilité, le général bothan s’en trouverait absous. C’est une simple question de diplomatie.
— Jusque-là, je vous suis, affirma Iella. Mais pour Isard, ce serait prendre un bien grand risque. Il doit y avoir autre chose.
— En effet, maîtresse Wessiri. Whistler dit qu’elle peut avoir fait ça par cruauté.
Cette idée fit frissonner la jeune femme.
— Tu tiens peut-être quelque chose, Whistler. Isard est tout à fait capable d’utiliser un innocent de cette manière. Bien sûr, ça ne disculpe pas Tycho, mais ça me permettra de creuser jusqu’à ce que je trouve la vérité.