CHAPITRE XX
Corran Horn suivait la file de prisonniers en traînant les pieds. Il affichait le même regard qu’eux, terne et sans espoir, obéissant avec résignation aux ordres qu’on lui donnait. En aucun cas les gardes en uniforme de commandos n’auraient pu remarquer chez lui quelque chose d’inhabituel.
Après une semaine de détention, le Rogue avait décidé de faire sa première tentative d’évasion. Il avait brièvement exposé son plan à Jan, et trouvé utiles les remarques du vieil homme. Mais il continuait à ignorer ses conseils de prudence.
La perspective de se faire tuer déprimait Corran, mais pas autant qu’il l’aurait cru. Il sentait qu’il serait exécuté si on le capturait. Pourtant, il restait optimiste, car il n’imaginait pas que Ysanne puisse garder des gens qui ne lui servaient à rien ; donc, s’il était toujours vivant, c’est qu’elle avait encore besoin de lui.
Ensuite, et c’était assez étrange, les fuyards qui étaient repris revenaient avec l’air de squelettes noircis par le feu. La seule manière de les identifier eût été de recourir à la génétique. L’hypothèse qu’Isard ait choisi des prisonniers au hasard pour faire un exemple et décourager toute velléité d’évasion n’était pas non plus à écarter.
Pour aussi rassurante que fût l’attention de Jan, elle était également embarrassante. Corran avait compris la technique d’Isard : en rendant le vieil homme responsable des prisonniers, elle exerçait sur lui une sorte de chantage. Chaque fois que l’un d’eux s’en allait ou mourait, une petite partie de lui disparaissait avec. En prenant ses propres responsabilités, le pilote espérait alléger un peu ce fardeau.
À soixante-dix pas de l’entrée, ils passèrent devant les latrines.
À deux cents pas, Corran traversa ce qui avait dû être l’écoutille d’un vaisseau. La rumeur disait que Lusankya datait d’avant la Guerre des Clones, et utilisait les pièces d’anciens appareils détruits.
Les prisonniers arrivèrent dans une longue caverne rectangulaire d’où partaient cinq tunnels, tous terminés par une porte verrouillée. Les boyaux étaient assez larges pour laisser passer de petits droïds, mais les portes restaient fermées.
La salle contenait plusieurs tas d’énormes rochers. Avec de lourdes masses, les hommes travaillaient à en faire des blocs plus petits, qui seraient traités par d’autres prisonniers. Un troisième groupe passait au tamis les graviers ainsi obtenus, renvoyant les plus gros au poste précédent. Le produit final était charrié jusqu’à un tapis roulant qui disparaissait dans une bouche d’acier.
Personne ne savait vraiment ce qui se trouvait au-delà. On supposait que le tapis menait à un haut-fourneau où les cailloux seraient fondus, ou à un conteneur où ils seraient transformés en béton armé.
Corran vida son seau dans la benne fixée au tapis roulant. Revenant vers Urlor, il fit un rapide inventaire des gardes qui les surveillaient : une escouade complète de commandos, soit un garde pour une dizaine de prisonniers. Huit au total, dont six portaient des carabines blasters. Les deux autres étaient équipés d’un Toile-E et postés à l’intérieur de l’écoutille, rendant suicidaire toute tentative de fuite.
Urlor lança une pleine pelletée de cailloux vers le seau de Corran.
— Ne fais pas ça, souffla-t-il. Attends d’en apprendre davantage.
— C’est ce que je suis en train de faire : je m’informe, riposta le pilote.
— Tu risquerais ta vie sur un coup de tête ? intervint Jan, qui l’observait aussi.
— Escadron Rogue, rappelez-vous ! crâna Corran.
— Corellien, plutôt ! lâcha le vieil homme. Vous n’avez aucune considération pour le destin.
— Pourquoi respecter ce qu’il vaut mieux braver ? Faites-moi confiance, je dois essayer.
— Que la Force soit avec toi, s’inclina Urlor en jetant une dernière pelletée dans le seau.
— Merci.
Corran commença le difficile chemin vers le tapis roulant. Son plan était simple : il jetterait son seau, puis sauterait sur le tapis pour arriver jusqu’à la bouche. Là-bas, il semblait y avoir suffisamment d’ombre pour le dissimuler. S’il pouvait ensuite descendre par le conduit ou trouver un autre passage, il serait libre.
— Toi, là-bas !
Corran se tourna vers le garde qui venait de l’interpeller.
— Moi ?
— Approche.
Méfiant, il s’exécuta.
— Monsieur ?
— Pas de questions, prisonnier ! grogna le commando. Tu es nouveau, tu as besoin d’une leçon.
Sans crier gare, il abattit sa carabine-blaster, qui atteignit le pilote au-dessus de l’oreille droite.
La douleur l’emporta sur la panique. Corran empoigna son seau et le jeta à la figure du garde, qui bascula en arrière. Sa vision s’éclaircit et les secondes parurent se transformer en heures. Il entendit le sifflement d’un blaster ; un éclair bleu passa devant lui. Les prisonniers se jetèrent à terre. Tous, sauf un : Jan. Les yeux pleins de terreur et de fierté, le vieil homme fit signe à Corran, qui répondit par un hochement de tête.
La détonation atteignit le pilote à la poitrine. En un instant, ses nerfs brûlèrent, le faisant se tordre de douleur. Ses muscles se contractèrent. L’impact contre le sol lui fit probablement mal, mais ses nerfs n’assuraient plus le transport des données vers le cerveau.
Il ne put savoir précisément ce qu’il ressentait.
Sauf que ça n’est pas agréable.
Il vit Jan s’accroupir près de lui.
— Je vais demander de l’aide, déclara le vieil homme.
Le Rogue voulut faire un signe de tête, ou au moins cligner des yeux pour signifier qu’il avait compris… En vain.
L’équipe médicale alertée par les gardes arriva rapidement, portant un brancard équipé d’un moteur à répulsion. Après y avoir installé leur collègue, les infirmiers y étendirent Corran.
La tête en bas, il ne vit pas grand-chose.
— Il sentit que les Impériaux montaient dans un ascenseur et entendit trois bips, qu’il supposa correspondre au nombre d’étages.
Quand la cabine s’immobilisa, le brancard traversa des corridors à l’aspect plus moderne et mieux entretenus que le reste du bâtiment, si l’état du sol était une indication valable.
Les infirmiers jetèrent littéralement le détenu dans une pièce où planait l’odeur familière du bacta. Corran perçut des bribes de conversation entre les médecins et le droïd qui allait s’occuper du garde, mais un sifflement, dans son oreille droite, l’empêcha de comprendre.
Puis il entendit un bruit de pas : celui de vrais commandos disciplinés. Ça n’avait rien d’extraordinaire en soi, mais s’ils avaient été dans la pièce, ils auraient marché sur Corran. Tout chamboulé qu’il soit, le pilote était à peu près certain qu’il s’en serait aperçu. Seule alternative possible : ils se trouvaient dans une pièce au-dessous de lui.
Ce que ça signifiait demeurait pour l’instant hors de portée de sa compréhension.