CHAPITRE XXI
Wedge activa son comlink.
— De quoi as-tu besoin, Mirax ? demanda-t-il.
— On approche du spatioport de Kala’uun. Je pensais que tu voudrais venir sur le pont. La vue vaut vraiment le coup d’œil.
— J’arrive. (Il jeta un coup d’œil vers le cargo et fit signe à son unité R5.) Tiens bon, Mynock, on y est presque. Garde un scanner braqué sur ces caisses, veux-tu ?
Le droïd émit un bip affirmatif, puis échangea quelques sons avec son homologue verpine affecté à la maintenance du Pulsar.
Quelques instants plus tard, le chef des Rogues parvint sur le pont et se laissa tomber sur un siège près de Mirax.
— J’avais oublié à quel point c’était impressionnant, murmura-t-il.
La surface tourmentée de Ryloth s’étendait devant eux comme les tessons d’un vase de terre cuite brisé. Au centre du panorama se dressait une imposante montagne, percée à la base par un énorme tunnel.
La planète tournant sur son axe une seule fois par an, le même côté de Ryloth faisait toujours face au soleil. Kala’uun se dressait près de la ligne de séparation, là où la nuit et le jour se rencontraient.
En raison de son orbite elliptique, la planète avait des saisons, même si les humains ne parvenaient pas à différencier l’été de l’hiver, car ils étaient aussi chauds l’un que l’autre.
— Ouais, impressionnant… et joliment traître, grommela Mirax. Liât, regarde les courants à l’entrée du tunnel.
Le pilote sullustéen lui décocha un regard furieux.
— Je sais que tu ne peux pas rater les rochers, je veux juste m’assurer que nous les évitions, continua-t-elle sur le ton de la plaisanterie. Pas d’orage de chaleur aujourd’hui, on dirait, mais les courants peuvent être trompeurs.
Liât Tevv fit descendre le Pulsar au niveau du canyon menant au tunnel. Pendant que le vaisseau approchait de l’accès, le pilote alluma les projecteurs de l’appareil, emplissant le tunnel d’ombres irrégulières. Une herse se dressa doucement devant eux. Lorsqu’ils l’eurent dépassée, Wedge poussa un soupir de soulagement, se disant qu’elle était épaisse d’au moins trente mètres et qu’il faudrait la bousculer sérieusement avant qu’elle n’admette des visiteurs importuns. Mirax se tourna vers lui.
— J’ai l’impression que la herse sert autant à garder les gens à l’intérieur qu’à empêcher une intrusion, souffla-t-elle.
Il s’était écoulé trois ans depuis le premier voyage de Wedge à Kala’uun. L’Escadron Rogue, alors à la poursuite d’un Twi’lek, était arrivé là par hasard. Cette fois, les circonstances s’annonçaient nettement plus favorables. Cela dit, pour s’assurer qu’aucune rancune n’existait contre lui, le commandant avait fait bon usage des talents de M3 en le plaçant au milieu d’une pléthore de cadeaux destinés aux Twi’leks.
— Kala’uun est le seul endroit où mon père ne se faisait pas l’effet d’un bandit, soupira Mirax. Les Twi’leks sont d’âpres négociateurs.
— J’espère que Nawara montrera ce même talent pour la défense de Tycho, souhaita Wedge.
— Je l’espère aussi… je crois. Tu es persuadé que Tycho n’est pas responsable de la mort de Corran. Je ne peux en être aussi sûre, mais j’aimerais le croire, parce que Tycho m’a aidée à sauver Corran à Borleias.
— Sans compter que c’est grâce à lui si l’Escadron Rogue et moi n’avons pas péri sur Coruscant.
— Je n’ai pas oublié.
Wedge tapota la joue de Mirax, essuyant une larme.
— La tristesse n’affecte en rien ta personnalité, assura-t-il.
— Merci, fit la jeune femme. C’est juste que ça me semble un peu ridicule quelquefois. Nous n’étions même pas ensemble, et nous ne nous connaissions pas vraiment. Si nous avions été plus proches, j’aurais des raisons d’être si triste.
— Tout est là, Mirax : vous étiez plus proches que tu ne l’imagines. Vous aviez des qualités semblables. Vos pères étaient des ennemis jurés. Pourquoi ? Parce qu’ils se ressemblaient beaucoup aussi. En d’autres circonstances, le vieux Booster et Hal Horn auraient sûrement pu être amis, comme Corran et toi.
— Tu as sans doute raison, je devrais pouvoir m’en sortir… Si seulement je parvenais à accepter sa mort… On n’a jamais retrouvé son corps, après tout. Je sais que c’est stupide de croire qu’il a pu survivre, avec le bâtiment qui s’est écroulé sur lui. Mais selon mon père, tant qu’on n’a pas vu son cadavre, on ne doit pas considérer que quelqu’un est mort. Une fois, il a…
— Et ça lui a coûté son œil, termina Wedge. Je me souviens de cette histoire ; elle explique beaucoup de choses.
— Que veux-tu dire ?
— Biggs, Porkins, mes parents… je n’ai jamais vu leurs cadavres. En partie à cause de l’histoire de ton père, et par obstination naturelle, je m’attends à tout moment à les voir surgir dans mon bureau.
Le visage de Mirax s’éclaira.
— Ou tu crois les apercevoir au milieu d’une foule, murmura-t-elle. Une partie de nous ne peut pas admettre qu’ils sont morts. Peut-être cela les retient-il à la vie par un fil. (Une pause.) Bon sang, écoute-moi : je délire.
— Ne t’inquiète pas, je peux comprendre. Et je ne pense pas que ta théorie soit si farfelue que ça. Nous ne pouvons pas les ramener à la vie, mais garder leur souvenir dans nos cœurs les empêche de s’éteindre tout à fait.
Le Sullustéen grommela quelque chose à l’attention de Mirax, qui la précipita sur son siège de commande. Elle écrasa plusieurs boutons au-dessus de sa tête.
— Train d’atterrissage sorti, annonça-t-elle. Moteurs à répulsion en position. Coupe les gaz et pose-toi doucement.
Quand la manœuvre fut terminée, la jeune femme appuya sur un bouton, et Wedge sentit un courant d’air chaud tandis que la passerelle du vaisseau s’ouvrait.
— Après vous, commandant Antilles.
— Merci, capitaine Terrik.
En raison de l’aspect diplomatique de leur mission, on avait donné aux deux représentants de la Nouvelle République des vêtements identiques à ceux de leurs homonymes sur Ryloth. À cause de la chaleur oppressante qui régnait sur la planète, les autochtones tendaient à agrémenter leur tenue d’une large cape à capuche. Ce qu’ils portaient en dessous était fonction de leurs attributions.
Wedge descendit la passerelle et regarda autour de lui. Le spatioport de Kala’uun était logé dans une immense grotte, au cœur de la montagne. Dans la paroi s’ouvraient les cavernes des clans Twi’leks, à la fois habitation et lieu de travail de cent individus.
Le Courage de Sullust se posa à tribord du Pulsar. Nawara en descendit et s’avança vers Antilles. Il portait le même uniforme que lui, à la différence près que son pagne, sa cartouchière et sa cape étaient pourpres, alors que ceux du chef des Rogues étaient verts.
— Vous êtes prêt, commandant ? demanda-t-il.
— Je vous suis, maître Ven. On dirait que voilà notre comité de bienvenue. Le clan Shak est-il toujours le leader ici ?
Un des tentacules crâniens du Twi’lek courut le long de sa colonne vertébrale. Son extrémité s’agita, ce qui équivalait à un hochement de tête humain.
— Koh’shak est toujours maître du spatioport. Il semblerait, d’après les couleurs arborées par l’individu à sa droite, qu’un membre du clan Olan soit également venu nous accueillir, fit Nawara.
— Cazne’olan ? hasarda Wedge.
— Possible. Le clan Olan et le mien ne sont pas très amis. Pas d’animosité réelle, juste une absence d’atomes crochus. Sa présence ici est un bon ou un très mauvais signe.
Wedge prit soin de rester derrière Nawara lorsqu’ils se retrouvèrent face à leurs hôtes. Le Rebelle twi’lek s’inclina profondément, et il l’imita. Son geste était relativement maladroit, mais il avait pour seul but de reproduire celui de son compagnon.
Les deux Rogues se redressèrent ; leurs hôtes s’inclinèrent à leur tour. Koh’shak était un homme corpulent vêtu d’écarlate. Un bijou portant l’emblème de son clan, ainsi que celui de ses attributions, fermait sa cape. Passant rapidement sa tenue en revue, Wedge aperçut deux pistolasers Sevari glissés dans une large bande d’étoffe autour de sa poitrine.
Cazne’olan portait une robe jaune vif couverte d’une cape et ornée d’une écharpe bleue. Il arborait des insignes plus petits que son collègue, mais plus raffinés.
— Au nom des clans Kala’uun, commença Koh’shak, je vous souhaite la bienvenue, Nawar’aven.
— Au nom de mon clan, je suis honoré d’être reçu à Kala’uun, répliqua Nawara. (Il se tourna vers Wedge.) Et heureux de vous présenter mon supérieur, le commandant…
— Il est inutile de présenter Wedgan’tilles, coupa Cazne’olan, qui venait de se glisser entre Koh’shak et Nawara. Nous nous rappelons très bien son dernier passage ici.
— Ravi de vous revoir, fit Wedge, serrant la main du Twi’lek.
— De même, répondit celui-ci. Vous avez beaucoup appris depuis notre dernière rencontre, notamment sur nos tenues vestimentaires.
— Commandant Antilles, s’excusa son compagnon, je n’ai pas réalisé…
— Vous n’étiez pas censé savoir, Nawa…
Wedge s’interrompit. À la manière dont les deux Twi’leks s’adressaient à leur compatriote, il n’était pas certain du nom de son clan.
Dans le doute, suis les coutumes indigènes, songea-t-il.
— … Nawar’aven, dit-il enfin. C’est une aventure qu’a vécue l’Escadron Rogue avant que vous ne l’intégriez. Nous nous contenterons de dire qu’elle s’est terminée à la satisfaction de toutes les parties intéressées.
— C’est exact, Wedgan’tilles, confirma Koh’shak. Et aujourd’hui, vous êtes venu chercher une satisfaction différente.
— Ça n’est pas faux, admit le Rogue. (Il désigna les vaisseaux de l’Alliance.) Nous vous avons apporté quelques présents provenant des différents mondes de la Nouvelle République.
Quand il se retourna, il aperçut Nawara et Cazne’olan en pleine conversation. Mais il ne put entendre ce que disaient les deux Twi’leks.
— Je suis certain que ce que vous nous avez amené est impressionnant. Pouvons-nous commencer les négociations ? demanda Koh’shak.
Wedge trouva la formulation quelque peu abrupte, et l’expression qu’il lut sur le visage de Nawara le conforta dans l’idée que quelque chose clochait. Avant qu’il puisse trouver une réponse, l’avocat lui saisit le bras.
— Le commandant Antilles apprécie votre promptitude à satisfaire ses désirs, annonça-t-il, mais nous avons fait un long trajet pour arriver jusqu’ici. Le commandant choisit d’invoquer Twi’janii.
Koh’shak ouvrit de grands yeux étonnés.
— J’accueille avec plaisir Wedgan’tilles et je lui aurais accordé Twi’janii sans aucune réserve, lança-t-il, si je n’avais pas senti qu’il trouvait notre climat oppressant.
— Ouvre les yeux, Koh’shak, intervint Cazne’olan en désignant Wedge : c’est un guerrier.
— J’apprécie votre diligence, reprit Koh’shak, quelque peu froissé. Wedgan’tilles, vous et vos hommes devez vous considérer comme nos invités. Nous veillerons en premier lieu à votre bien-être. Les affaires viendront après.
— C’est très aimable à vous, remercia Wedge, bien que convaincu du contraire.
Je ne sais pas ce qu’il entend par notre « bien-être », songea-t-il, mais je suis certain qu’il trouvera le sien dans nos accords, et je ne m’attends pas à ce que nous en retirions un quelconque plaisir.