CHAPITRE IX

Wedge grimaça. Il était un héros, unique survivant des deux attaques de l’Étoile Noire, conquérant de Coruscant et leader de l’escadron le plus redouté de la galaxie. Malgré ça, il se sentait nerveux comme un gamin devant la porte d’Iella Wessiri.

En revenant des quartiers généraux de l’escadron, il s’était persuadé de ne pas lui proposer un rendez-vous. La jeune femme était stable et attentive, dotée d’un certain sens de l’humour et d’une loyauté à toute épreuve. Hélas, cela en faisait quelqu’un de zélé pour chercher des preuves contre Tycho. Mais elle était si sincère dans sa démarche que Wedge ne pouvait le lui reprocher.

Il appuya sur la sonnette.

Durant les dix années précédentes, depuis la mort de ses parents, il avait consacré très peu de temps aux relations amoureuses. Malgré l’existence de pilotes femmes, il n’avait pas trouvé de compagne à l’inverse de Yan Solo ou de Tycho Celchu. Il n’aurait su expliquer pourquoi et ne s’en inquiétait pas. Ses responsabilités au sein de la Rébellion rendaient vain tout projet à long terme. De plus, éviter les rapports intimes diminuait le risque de souffrir.

La porte s’entrouvrit ; la nervosité de Wedge s’évanouit devant le sourire d’Iella.

— Wedge, en voilà une surprise.

— Une bonne surprise, j’espère. (Il hésita.) J’aurais dû appeler avant de venir, mais je suis sorti pour dîner et j’ai pensé… En fait, je déteste manger seul…

— Entre, proposa Iella, amusée.

Il la suivit dans un corridor jusqu’à un petit salon. La porte se referma automatiquement derrière lui, plongeant la pièce dans une semi-pénombre.

Un homme était assis dans un fauteuil, la finesse de ses traits accentuant son aspect sinistre. Ses épaules et ses genoux saillaient comme des bosses sous l’étoffe de sa combinaison. Sa chevelure était rare et grisonnante. Sans la lueur de vie qui brillait dans ses yeux, Wedge l’aurait sans doute pris pour quelque travailleur sorti du tombeau qu’étaient les mines de Coruscant.

— Commandant Wedge Antilles, voici Diric Werissi, mon époux, annonça Iella.

Époux ! Wedge dissimula sa surprise en faisant quelques pas en avant et tendit la main.

— Enchanté, monsieur, bredouilla-t-il.

Diric lui serra faiblement la main.

— Tout le plaisir est pour moi, commandant, répondit-il. Vos exploits sont l’orgueil de votre patrie et de vos compagnons.

— La gloire n’était pas notre objectif, monsieur.

— Quoi qu’il en soit… (Diric sourit et laissa retomber sa main sur ses genoux.) Pardonnez-moi, commandant. En d’autres circonstances, je vous aurais suivi dans une polémique passionnée. Mais pour l’heure, je suis un peu fatigué.

— Je comprends.

Iella s’avança vers son mari et posa doucement une main sur son épaule.

— Les Impériaux ont capturé Diric lors d’une rafle il y a environ un an, expliqua-t-elle. Ils l’ont interrogé, ont effacé son identité et l’ont emprisonné. Il y a six mois, ils se sont servis de lui comme cobaye dans le cadre d’un projet de recherche biologique.

« Les hommes du général Cracken l’ont mis en quarantaine et lui ont fait rédiger un rapport. Il y a seulement vingt-quatre heures que je sais qu’il est vivant et ils l’ont ramené ici au début de l’après-midi.

— Je devrais vous laisser, dit Wedge.

— Non. (Le vieil homme leva la main et caressa celle d’Iella.) Je suis resté longtemps parmi les Impériaux et les esclaves. Il est bon de côtoyer des gens normaux pour m’y réaccoutumer.

— Je ne crois pas que vous trouveriez ma vie normale, avança Wedge, gêné.

— Ni la mienne, ironisa Iella.

— Quelle chance ! La normalité peut-être assez ennuyeuse. Et sachez, commandant, que je ne vous en voudrais pas si quelque chose s’était passé entre ma femme et vous. J’ai été tenu pour mort durant un an, et je n’éprouve aucune rancœur envers ceux qui ont continué à vivre.

— Appelez-moi Wedge. Rien de ce que j’ai pu faire ne vaut ce que vous avez enduré, alors aucun titre n’est de mise ici. Quant à Iella, elle est intelligente et il est formidable de travailler avec elle. De plus, elle fait preuve d’une loyauté absolue envers ses amis.

« Elle est tout à fait le genre de femme auprès de qui je me verrais vieillir. Mais sa fidélité envers vous n’a jamais été remise en question. Vous êtes sans aucun doute l’un des hommes les plus chanceux de cette planète.

Pendant qu’il parlait, Wedge imagina tout ce qu’il aurait pu partager avec Iella si Diric n’était pas réapparu. Elle avait choisi cet homme parce qu’il représentait un refuge pour elle. Quoi qu’il arrive, il serait toujours là pour partager ses joies et ses déceptions.

Et Wedge réalisa qu’il n’aurait pas pu lui apporter la même chose.

— Je suis heureux qu’Iella ait trouvé des amis aussi généreux et honorables, fit Diric. Je me sens comblé.

— Et heureux d’être libre, je suppose.

— En effet, même si la captivité n’est pas si brutale qu’on l’imagine. On peut contrôler votre corps, mais jamais votre esprit. Je savais que je sortirais un jour.

— C’est aussi ce que dit Tycho, murmura Wedge.

— Qui ?

— L’homme qui a tué Corran, intervint Iella.

— Qu’on accuse d’avoir tué Corran, corrigea Wedge. Votre épouse travaille pour l’accusation.

— Je cherche la vérité, figurez-vous, répliqua la jeune femme. De nombreuses preuves incitent à le reconnaître coupable, mais très peu poussent à l’innocenter.

— Je ne suis pas venu ici pour discuter de cette affaire, éluda Wedge.

— Vous pensez donc que Tycho est innocent ? interrogea Diric, fronçant les sourcils.

— Non : je le sais. Tout comme vous, il est une victime de l’Empire.

— Tycho a été capturé par les Impériaux, expliqua Iella. Il travaillait pour eux depuis sa supposée évasion, même si Wedge prétend qu’il est victime d’un coup monté.

— Et tu penses qu’il a tort ? demanda son époux.

— Nous avons trouvé beaucoup de preuves indiquant que Tycho était un agent impérial d’une grande habileté, répondit la jeune femme après un instant d’hésitation.

— Mais les preuves sont incohérentes, protesta Wedge.

— Ce Tycho doit être quelqu’un pour mériter une telle estime de votre part, nota Diric.

— Je ressens pour lui la même chose qu’Iella ressent envers Corran, d’où notre désaccord.

— C’est un problème, en effet. Pourtant le capitaine Celchu a l’air d’un être fascinant, ajouta Diric, sur un ton mélancolique.

Iella se redressa d’un bond.

— N’y pense même pas, Diric, lâcha-t-elle.

— Quel est le problème ? s’enquit Wedge.

— Il va s’en mêler, lança Iella, agacée.

— M’en mêler ? (L’homme eut une quinte de toux.) Vous voyez, Wedge, ma vocation est de rechercher des gens fascinants. Je les étudie, j’essaie de les comprendre et je partage avec les autres ce que j’en ai retiré.

— Sur Corellia, il a trouvé une femme impliquée dans une affaire « fascinante », ajouta amèrement Iella. Il a fait sa connaissance et a décrété qu’elle était innocente.

— L’était-elle ? interrogea Wedge.

Diric hocha solennellement la tête.

— Il est resté avec Corran et moi, posant des questions qui nous poussaient à voir les limites de notre enquête. La femme était victime d’une machination. À la fin, nous avons eu les vrais responsables.

(Iella regarda son époux avec une moue de désapprobation.) Mais c’était différent : ça se passait sur Coruscant, et tu n’étais pas faible comme un Ewok à cette époque. Tu as besoin de te rétablir.

— C’est ce que je vais faire, chérie.

Le soupir d’Iella montra qu’elle avait compris : elle ne pourrait empêcher son époux de rencontrer Tycho.

— Avoir un hobby accélérera sans doute ton rétablissement, ironisa-t-elle. (Elle se tourna vers Wedge et avoua :) Les loisirs de cet homme sont mon cauchemar.

— Antilles, n’aviez-vous pas parlé de dîner ? interrompit Diric.

— Effectivement. (Wedge désigna le plafond du doigt.) Il y a au trentième étage une petite taverne qui, paraît-il, propose des légumes exotiques et… (La sonnerie du comlink pincé sur le col de sa veste l’interrompit.) Excusez-moi.

Il détacha l’appareil.

— Antilles, j’écoute.

— Wedge, c’est Mirax.

— Enfin levée ? (Il fit un signe de tête à Iella.) C’est Mirax, chuchota-t-il.

— Demande-lui si elle veut venir dîner avec nous.

— Mirax, je suis chez Iella et elle veut savoir si…

— J’ai entendu, mais ce sera pour une autre fois, répondit la jeune femme. J’ai un problème. Je suis sur le Pulsar et j’ai besoin que tu viennes… seul.

— Que se passe-t-il ? s’enquit Wedge.

— Tu sais que je ramène souvent des objets rares pour des gens ?

— Oui.

— Eh bien, à la station, j’ai récupéré quelque chose d’exceptionnel, et si je ne m’en débarrasse pas comme il faut, c’est toute la Nouvelle République qui en sera ébranlée. Très peu de gens seront en vie pour reconstruire un futur.