CHAPITRE I

L’Escadron Rogue était venu pleurer la disparition d’un de ses membres, mort une semaine auparavant. Le commandant Wedge Antilles aurait préféré une cérémonie réservée aux intimes de Corran Horn pour leur permettre de partager le souvenir du défunt. Mais c’était impossible : la mort de Corran était survenue pendant la libération de Corruscant, ce qui faisait de lui le héros d’une compagnie de héros. Même s’il eût préféré une commémoration plus discrète, ça ne correspondait pas à son image posthume.

Si Wedge se doutait que les choses ne se passeraient pas comme il le voulait, il n’avait pas prévu qu’elles échapperaient totalement à son contrôle.

Il s’attendait à ce que nombre de dignitaires viennent sur le tertre de pseudo-granit qui marquait l’endroit où Corran était décédé, lors de l’effondrement d’un bâtiment.

Il avait même prévu que la foule remplirait les balcons et les allées des tours environnantes et, au pire les aéro-transporteurs. Mais ce qu’il avait imaginé n’était rien comparé à la manière dont les bureaucrates avaient organisé la cérémonie.

Ils avaient associé le chagrin causé par la mort de Corran au deuil de la Nouvelle République tout entière. Le défunt était certes un héros, mais il était aussi une victime. En cela, il représentait toutes les victimes de l’Empire. Peu leur importait qu’il eût refusé d’être considéré comme tel. Ils avaient fait de lui un symbole, car la Nouvelle République en avait cruellement besoin.

L’Escadron Rogue lui-même était devenu un symbole.

Sa composition avait été revue : on lui avait adjoint Asyr Sei’lar, une Bothane et Inyri Forge, la sœur d’un pilote défunt. Wedge les avait accueillies avec plaisir, même si elles lui avaient été imposées pour des raisons politiques. Portha, un Trandoshan, avait aussi rejoint l’équipe, devenant membre du détachement de sécurité nouvellement créé.

La cérémonie prenait des proportions démesurées ; on dut ajouter des tribunes et les coder par couleurs correspondant aux différents niveaux d’accès autorisés.

On avait placé des holocaméras à plusieurs endroits afin d’enregistrer la cérémonie et de la retransmettre sur un maximum de planètes. Malgré la crainte du virus Krytos, très contagieux, le public affluait.

Wedge jeta un regard vers la tribune officielle, puis vers l’Escadron Rogue. Ses hommes se comportaient bien, en dépit du soleil cuisant et de la chaleur excessive pour la saison.

Des amis de Corran étaient venus rejoindre sur l’estrade les membres de l’Escadron Rogue : Iella Wessiri, une mince femme brune qui avait été sa partenaire dans la CorSec, se tenait près de Mirax Terrik.

Être la fille d’un contrebandier notoire de Coruscant ne l’avait pas empêchée de lier amitié avec Corran. En larmes, elle avait avoué à Wedge qu’ils prévoyaient de célébrer ensemble la libération de la planète. Il semblait évident qu’elle était très amoureuse de Corran, et Wedge fut ému par le chagrin qui se lisait sur son visage.

Il ne manque que Tycho, se désola-t-il. Le capitaine Tycho Celchu était un membre de longue date de l’Escadron, où il avait servi comme second. À la demande de Wedge, il avait rejoint clandestinement la mission visant à conquérir Coruscant, dont il avait contribué à anéantir le système de défense.

Ce fut la dernière d’une série d’actions héroïques menées durant sa carrière de Rebelle…

Malheureusement, les services secrets de l’Alliance avaient des preuves attestant que Tycho travaillait pour l’Empire. Ils le rendirent responsable de la mort de Corran et de celle de Bror Jace, un autre pilote de l’Escadron Rogue qui avait péri au début de la campagne.

Wedge n’avait pas été informé de la teneur exacte de ces preuves, mais il ne doutait pas une seconde de l’innocence de Celchu.

Malgré sa libération, Coruscant n’était pas un monde agréable ou stable. Une épidémie, causée par le virus Krytos, décimait les habitants non humains de la planète, et elle s’était étendue aux extraterrestres de la Rébellion.

Le simple fait de venir sur la planète était un acte de bravoure. Le bacta permettait de soigner la maladie, mais les réserves étaient insuffisantes.

Cette situation avait engendré du ressentiment contre les humains, du fait de leur apparente immunité.

La cérémonie avait pris de l’ampleur, car la population de Coruscant avait besoin d’être unifiée et distraite de sa souffrance, fût-ce pour quelques instants. Qu’humains et non humains travaillent ensemble au sein de l’escadron montrait la force de l’unité qui avait permis à la Rébellion de s’imposer. La réunion de dignitaires de divers mondes, venus pleurer la mort d’un humain, était une reconnaissance de la dette que les Rebelles avaient envers sa race.

Les intervenants exhortaient leurs compagnons à travailler ensemble pour construire un futur qui justifierait les sacrifices consentis par Corran et par les autres.

Ils élevaient le débat à un niveau philosophique ou métaphysique, dans le but d’apaiser l’inquiétude des citoyens.

C’était assurément un noble message, mais Wedge sentait qu’il n’était pas approprié à Corran.

Le commandant tirait sur les manches de sa veste quand un officier du protocole Bothan lui fit signe.

Le commandant Antilles monta sur le podium.

Il balaya la foule du regard, puis fixa le tas de pseudo-granit.

— Corran Horn ne repose pas en paix dans cette tombe. (Il s’interrompit, laissant le silence rappeler à chacun le but véritable de la cérémonie.) Corran n’était à l’aise que lorsqu’il se battait. Il ne repose pas en paix, parce qu’il reste encore de nombreux combats à livrer. Nous avons pris Coruscant, mais quiconque imagine que l’Empire est mort se trompe, comme l’était le Grand Moff Tarkin en croyant que la destruction d’Alderaan paralyserait la Rébellion.

Wedge redressa la tête.

— Horn n’abandonnait jamais, quels que fussent les obstacles. Plus d’une fois, il a pris la responsabilité de faire face à une menace pour sauver l’escadron ou la Rébellion. Au mépris de sa propre sécurité, il s’est attaqué à des forces implacables et, à force de volonté, d’intelligence et de courage, il en a triomphé.

« Tous ceux qui l’ont connu gardent dans leur cœur des dizaines d’exemples de son courage, de son altruisme, de sa capacité à reconnaître ses torts et à se corriger. Il n’était pas parfait, mais il donnait le meilleur de lui-même et ne se laissait jamais aller à l’égoïsme. Il se fixait juste des buts et s’y tenait.

Wedge secoua doucement la tête.

— Certains ont parlé de construire un futur qui ferait honneur à Corran et à tous ceux qui sont tombés face à l’Empire. Mais il faut encore combattre. Nous devons lutter contre l’impatience qui nous donne l’air de regretter l’Empire. Il y avait peut-être plus de nourriture autrefois ; vous étiez protégés de la misère, mais à quel prix ? Votre sentiment de sécurité se muait en peur chaque fois que vous aperceviez des soldats impériaux.

« Avec la libération de Coruscant, la peur peut disparaître. Mais si vous oubliez qu’elle a existé un jour, et si vous décidez que les choses n’allaient pas si mal sous l’Empire, vous serez sur la bonne voie pour l’inviter à revenir.

Il ouvrit les bras, comme pour étreindre tous ceux qui étaient rassemblés autour du monument.

— Vous devez faire la même chose que Corran : combattre tout ce qui donnerait à l’Empire une chance de reprendre le dessus. Si vous troquez votre vigilance contre de la complaisance, la liberté contre la sécurité, un futur sans crainte contre le confort, vous condamnerez d’autres braves à mourir, victimes du mal.

« Le choix vous appartient. Corran Horn ne reposera pas en paix tant qu’il restera des combats à livrer. Il a fait tout ce qu’il pouvait pour vaincre l’Empire ; maintenant, c’est à votre tour de continuer la lutte.

Wedge descendit du podium, salué par quelques applaudissements polis.

Il espérait que son discours serait exaltant, mais les gens rassemblés autour du mémorial étaient des dignitaires et des fonctionnaires des quatre coins de la Nouvelle République. Ils n’aspiraient qu’à la stabilité et à l’ordre, pas à combattre encore et toujours. Ils se devaient d’applaudir par égard envers le défunt, mais Wedge ne doutait pas qu’ils le considéraient comme un guerrier politiquement naïf.

Il pouvait seulement croire que d’autres avaient pris son message à cœur…

Les citoyens de la Nouvelle République trouvaient leurs politiciens aussi distants que les Impériaux. Forts de leur liberté fraîchement acquise, ils étaient capables de dire à leurs dirigeants ce qu’ils pensaient, et seraient vite tentés de protester si les choses ne prenaient pas bientôt la direction qu’ils voulaient.

Une rébellion contre la Rébellion engendrerait l’anarchie ou le retour de l’Empire. L’un comme l’autre serait un désastre.

Combattre pour le progrès, contre les forces réactionnaires, était le seul moyen de garantir à la Nouvelle République une chance de s’épanouir.

Wedge le désirait de tout son cœur.

Il espérait que les politiciens uniraient leurs efforts pour établir une réelle stabilité et rendre possible un véritable futur.

Plus loin, près de la tombe, un garde d’honneur brandit le drapeau de l’escadron, puis recula et salua.

Ce geste marquant la fin de la cérémonie, les visiteurs commencèrent à se diriger vers la sortie.

Un Bothan à la fourrure crème et aux yeux violets approcha de Wedge.

— Vous avez été assez éloquent, commandant Antilles. (Il fit un signe de la main vers les gens qui partaient.) Je ne doute pas que quelques cœurs aient été touchés par votre discours.

— Mais pas le vôtre, conseiller Fey’la ?

Le Bothan eut un petit rire saccadé.

— Si j’étais aussi facilement influençable, on pourrait me convaincre de toute sorte d’idioties.

— Comme la culpabilité de Tycho Celchu ? demanda amèrement Wedge.

— Non, je suis prêt à croire que le procès n’était pas nécessaire, répliqua le conseiller. L’amiral Ackbar ne vous a-t-il pas décidé à abandonner votre pétition auprès du Conseil Provisoire ?

— Non. (Wedge croisa les bras.) Je croyais que vous aviez organisé un scrutin dans le but de m’ôter toute chance de m’adresser au Conseil.

— Refuser à l’homme qui a libéré Coruscant la possibilité de présenter une pétition ? Vous entrez dans le royaume de la stratégie, où je suis un maître, commandant. Je vous pensais assez sage pour le savoir. Votre action échouera, il le faut. Le capitaine Celchu sera jugé pour meurtre et trahison.

— Même s’il est innocent ?

— C’est la Cour militaire qui en décidera. (Fey’la décrocha à Wedge un sourire glacé.) Une suggestion, commandant.

— Oui ?

— Ne gaspillez pas votre superbe éloquence pour le Conseil Provisoire. Gardez-la pour le tribunal qui jugera le capitaine Tycho Celchu. Bien entendu, vous n’obtiendrez pas sa liberté, nul n’est à ce point éloquent, mais peut-être lui gagnerez-vous un peu de clémence quand viendra le moment de prononcer la sentence.