CHAPITRE III

Il sembla à Wedge que l’humeur du Conseil Provisoire était aussi sombre que la pièce où ses membres se réunissaient, et aussi âpre que l’odeur de bacta qui flottait dans l’air.

Sian Tevv, le représentant sullustéen du Conseil Provisoire, avait été exposé au Krytos. Bien qu’il n’y eût aucune preuve qu’il ait été infecté, il avait été soumis à un traitement au bacta et montrait encore une certaine sensibilité à la lumière. Le Conseil lui avait accordé un éclairage réduit ; il avait aussi permis aux autres membres non humains du Conseil de faire circuler un léger nuage de bacta dans la pièce. Personne ne semblait apprécier l’humidité ambiante, sauf peut-être l’amiral Ackbar, qui affichait un air sombre pour d’autres raisons.

Wedge savait que sa pétition était vouée à l’échec ; Borsk Fey’la le lui avait fait comprendre lors de la cérémonie, ainsi que plusieurs autres membres du Conseil comme l’amiral Ackbar ou la princesse Leia Organa. Il savait que la seule raison pour laquelle on lui laissait une chance de s’adresser au Conseil, était son statut de libérateur de Coruscant.

Le Conseil avait disposé trois grandes tables en formation demi-hexagonale, avec Mon Mothma au milieu, flanquée de la princesse Leia et de Doman Beruss de Corellia. Ackbar et Fey’la occupaient les extrémités.

Wedge se tenait devant le Conseil, comme s’il était accusé. C’est exactement ce que Tycho devra affronter si je ne réussis pas aujourd’hui.

Mon Mothma se pencha vers lui.

— Je dois vous présenter un homme qui est déjà apparu devant ce Conseil, et qui a beaucoup contribué au succès de la Nouvelle République. Le commandant Antilles pouvant en arriver à évoquer des points hautement sensibles, cette séance se déroulera à huis clos ; son contenu devra demeurer secret, sous peine de poursuites criminelles.

— Avoir des « affaires » avant même qu’une justice soit établie, voilà ce que j’appelle la civilisation ! plaisanta Doman Beruss.

Mon Mothma elle-même sourit de la remarque, puis reprit son expression solennelle.

— S’il vous plaît, commandant, exprimez-vous.

Wedge inspira profondément et se lança.

— Je suis ici aujourd’hui pour vous éviter de commettre une énorme injustice. Le capitaine Tycho Celchu a été arrêté et va être jugé pour meurtre et trahison. Mais les preuves à son encontre, pour autant que je sache, sont des plus discutables.

« Tycho est un héros de la Rébellion. Sans ses efforts, nous ne serions pas ici maintenant. Celui qu’on l’accuse d’avoir tué est un homme dont il a sauvé la vie à plusieurs reprises. Il est innocent, et le faire comparaître en justice après tout ce qu’il a enduré serait digne de la cruauté de l’Empire.

— J’apprécie votre franchise, enchaîna Mon Mothma, secouant doucement la tête. Et je ne doute pas que vous croyiez tout ce que vous avez dit. Avant que nous puissions prendre une décision, il est nécessaire de mieux connaître les circonstances de l’affaire.

Elle désigna un homme aux yeux verts.

— Si vous le voulez bien, général Cracken, faites en sorte que le Conseil tienne compte de ce que nous venons d’entendre au sujet du capitaine Celchu…

Cracken s’avança vers Wedge.

— J’espère que le commandant Antilles me pardonnera de le contredire sur quelques points. Certaines informations ont été glanées récemment et, vu la complexité de l’affaire, je n’ai pas eu l’occasion d’attirer votre attention sur elles.

— Jolie embuscade, murmura Wedge.

— Vous vous méprenez sur mes intentions, commandant. (Cracken s’éclaircit la voix.) Tycho Celchu est natif d’Alderaan. Il est diplômé de l’Académie navale de l’Empire et il a été pilote de chasseur Tie. Suite à la destruction de sa planète d’origine, il a quitté les rangs de l’Empire pour se joindre à la Rébellion.

« Il s’est rallié à nous juste après l’évacuation de Yavin 4 et s’est distingué par ses actions sur Hoth. Il vous a accompagnés lors de l’attaque de l’Étoile Noire, à Endor, et il fait partie des rares pilotes qui en soient revenus vivants.

« Il y a un peu moins de deux ans, Celchu s’est porté volontaire pour une mission secrète de reconnaissance sur Coruscant. Sur le chemin du retour, il a été capturé et emmené à Lusankya, l’établissement pénitentiaire de Ysanne Isard. On sait très peu de choses sur cette prison, sinon que les gens qui en ressortent ont systématiquement subi un lavage de cerveau. Ils deviennent ainsi des agents impériaux, et tuent chaque fois que Ysanne Isard le leur ordonne.

« Parmi ceux qui y ont séjourné, Tycho est le seul a en avoir gardé un souvenir. Avant lui, d’anciens détenus ont avoué qu’ils avaient séjourné dans cet endroit, mais seulement après avoir accompli leur forfait et avoir été capturés par nos forces.

— Je suis sûr que le général ne me tiendra pas rigueur de souligner que Tycho ne s’est pas échappé de Lusankya, risqua Wedge. Isard l’a transféré à la colonie pénitentiaire d’Akrit’tar, d’où il a fui pour revenir vers nous.

— Merci, commandant, j’y venais.

L’expression de Cracken ne trahissait ni irritation ni amusement, ce qui laissa Wedge supposer que les choses n’iraient pas en s’arrangeant pour Tycho.

— Après son retour, le capitaine Celchu a fait un compte rendu de mission révélant qu’il ne se rappelait quasiment rien sur son séjour à Lusankya. Nous n’avons pas prouvé qu’il a subi un lavage de cerveau. De toute façon, nous n’avons jamais pu en détecter chez aucun des envoyés de Ysanne Isard.

« Cela nous a conduits à la difficile obligation d’imaginer le pire. Malheureusement, nous avons la preuve que Celchu a trahi l’Escadron Rogue. Il avait accès au code de commande du chasseur que Corran pilotait au moment de sa mort. De plus, on l’a vu se diriger vers l’appareil juste avant le départ.

« Les deux hommes ont eu une altercation avant le décollage. Horn a menacé de révéler sa trahison, alors Celchu l’a tué. Nous avons découvert que Ysanne Isard voulait que nous prenions la planète, et que nous contractions ainsi le virus. Il était donc logique de n’éliminer Horn qu’une fois sa mission accomplie. Et sa mort n’est pas la seule à laquelle nous pouvons faire allusion.

— Quoi ? Vous ne voulez pas parler de Bror Jace quand même ? s’exclama Wedge.

— Si !

— C’est ridicule. C’est l’Empire qui l’a tué.

Cracken secoua la tête.

— Je l’admets, mais la manière dont les Impériaux l’ont eu était pour le moins inhabituelle. D’abord, nous avons cru qu’il s’était fait piéger par un croiseur interdicteur à la poursuite de contrebandiers. Mais nous avons dû réviser notre opinion, suite à la défection de ce croiseur, le Vipère Noire.

« Le capitaine Iillor a spécifié dans son rapport que l’appareil était programmé pour se diriger vers des coordonnées précises, afin d’intercepter Bror Jace lorsqu’il partirait pour Thyferra. Il était un peu en retard, mais se trouvait quand même exactement là où on l’attendait. Les Impériaux ont tenté de le capturer. Hélas, son vaisseau a explosé durant la bataille.

« Les arrangements concernant le séjour de Jace chez lui, y compris son itinéraire, ont été pris par le capitaine Celchu.

— Sur mon ordre, protesta Wedge.

— Oui, commandant, sur votre ordre, ce qui ne signifie pas que Ysanne Isard n’aurait pas pu corrompre suffisamment Celchu pour l’amener à trahir un de vos hommes.

— Encore une fois, il n’existe pas de preuves formelles.

— Nous avons plus. (Le chef des services secrets de l’Alliance haussa les épaules.) Horn vous a dit qu’il avait vu Celchu, ici sur Coruscant, s’entretenir avec un agent de l’Empire nommé Kirtan Loor. Horn a travaillé avec cet homme sur Corellia ; il y a donc très peu de chances pour qu’il se soit mépris en l’identifiant.

« Pour en revenir au séjour de Celchu ici, en admettant que vous lui ayez ordonné de venir, nous avons découvert un certain nombre de comptes bancaires sur lesquels ont été effectués des versements d’environ quinze millions de crédits au total… Ce qui signifie que Tycho était payé par l’Empire.

— Quoi ?

Wedge n’en croyait pas ses oreilles. Il lui semblait impossible que Tycho ait été un agent à la solde de l’Empire.

— S’il était un des espions en sommeil d’Isard, pourquoi l’aurait-elle payé ?

— Commandant, durant des années j’ai essayé de sonder l’esprit d’Isard, sans jamais y parvenir. Mais à mon avis, ces comptes étaient destinés à nous permettre de confondre Tycho.

— Isard n’y avait aucun intérêt, ce qui rend sans fondement les charges contre Tycho. Si elle veut un procès, vous savez que l’engager sera à son avantage. C’est une raison supplémentaire pour ne pas le faire.

— À moins qu’elle ne nous fournisse plus de preuves que nécessaire pour nous convaincre que Celchu est manipulé, dit Borsk Fey’la en tapotant sur la table. Si nous sommes persuadés de son innocence, nous pourrons le disculper et lui confier de nouveau un poste de confiance…

Wedge haïssait le raisonnement sibyllin de Borsk. Soit Tycho était innocent et on cherchait à le faire paraître coupable, soit il était coupable et on le faisait passer pour un innocent pris dans une machination.

Tout le monde s’accordait à reconnaître que quelque chose clochait. Établir la vérité n’allait pas être une tâche facile, et quelle que soit l’issue de l’affaire, Tycho finirait par être mis au ban de la société. Il ne méritait pas ça. Pour Wedge, il était aisé de distinguer les faits de la fiction. Mais c’était uniquement à cause de sa profonde foi en l’innocence de son ami. Tycho et lui avaient combattu côte à côte dans quelques-unes des plus terribles batailles qu’ait connues la galaxie.

— Je ne crois toujours pas que les preuves rassemblées par les hommes du général Cracken soient irréfutables. (Il sonda du regard les membres du Conseil.) Je sais que nous voulons tous une justice rapide dans le cas où Tycho serait coupable. Mais le juger maintenant sur de telles accusations ne pourrait que le blesser et nuire à la Nouvelle République.

— Nous respectons votre point de vue, commandant, intervint Doman Beruss. Mais nous ne pouvons y adhérer pleinement. Les preuves seraient suffisantes pour organiser un procès dans n’importe quelle juridiction de la galaxie.

Wedge fronça les sourcils. Il sentait une barrière se créer entre lui et le Conseil. Il devait faire quelque chose pour amener ses membres à ouvrir les yeux.

— Je pense qu’il serait souhaitable d’attendre que les choses se décantent, avant d’ouvrir le procès. C’est le moindre des égards que vous deviez à quelqu’un comme Tycho Celchu, à mon avis.

— Menacez-vous de vous servir de votre statut de héros pour vous opposer à nous ? s’insurgea Borsk Fey’la.

Ce fut Ackbar qui répondit pour Wedge.

— Il ne fait rien de la sorte. Le capitaine Celchu affrontant une cour martiale, Antilles sait que tenir de tels propos en public violerait le serment qu’il a prêté en devenant officier.

— Je demande pardon à l’amiral Ackbar, grogna Wedge, mais j’envisageais bel et bien de rendre publics mes sentiments sur cette affaire. Et si exprimer mon opinion au sujet d’une injustice est interdit par l’armée de l’Alliance, je peux toujours présenter ma démission.

Cette annonce eut l’effet d’une bombe, mais pas comme il l’attendait. Tandis qu’Ackbar affichait un air déçu, Borsk Fey’la sourit victorieusement. Les autres membres du Conseil prirent une mine horrifiée. S’ils savaient que son discours contre le traitement infligé à Celchu attirerait l’attention, la démission d’Antilles serait encore plus remarquée.

Leia prit la parole.

— Président, je propose une suspension de séance d’une heure. Je voudrais m’entretenir avec le commandant Antilles.

— Bien, allez-y.

Mon Mothma se leva et jeta à Wedge un regard où se mêlaient fierté et frustration, colère et sympathie. Le général Cracken quitta la pièce et ferma les portes derrière lui, laissant le commandant seul avec la princesse Leia.

— Si vous voulez me persuader de sauver ma carrière, j’apprécie votre effort, mais je maintiens tout de même ce que j’ai dit. Vous ne sauriez me faire changer d’avis.

Leia secoua doucement la tête.

— Je m’en doute et je n’essaierai donc pas. Mais sachez que je crois aussi en l’innocence de Tycho. Je connais Winter depuis toujours, et elle l’adore. Si elle ne se rappelle rien de compromettant à son sujet, je ne crois pas qu’il y ait autre chose à découvrir. Nous savons tous les deux que le procès sera difficile et injuste.

— Alors aidez-moi à convaincre les autres de l’annuler ou de le reporter.

— Je le ferais si je pouvais, mais cela m’est impossible. J’ai réclamé une suspension de séance pour vous dire ce qui allait se passer, une fois qu’on aura estimé qu’on vous a suffisamment écouté et qu’il est temps de passer à autre chose.

Elle se mordit la lèvre inférieure.

— Mon Mothma vous remerciera d’être venu, mais elle vous rappellera que Tycho est jugé par une cour militaire. Le Conseil Provisoire n’est pas habilité à intervenir sur la manière dont l’armée traite les violations de son code de justice. Jusqu’à ce qu’il y ait eu condamnation et qu’une peine soit prononcée, ses membres ne peuvent rien.

— Mais il doit bien y avoir un moyen de faire appel contre une décision, s’emporta Wedge. (Il hésita.) Le conseiller Beruss a parlé de l’absence d’une juridiction… Ça devrait suffire à empêcher cette action, non ?

— En théorie, oui, se désola Leia. Mais nous n’avons pas encore pris de décision concernant la structure d’un tel organe, et encore moins son domaine de juridiction. La formation d’un gouvernement est un processus douloureux, qui fait de nombreuses victimes.

— Et Tycho sera l’une d’elles, déclara amèrement Wedge.

— Malheureusement, c’est possible, admit Leia. Vous ne réalisez pas à quel point la Nouvelle République est encore fragile. Avec Krytos, Isard a réussi à créer des tensions entre humains et non humains. Certains d’entre nous ont été accusés d’avoir encouragé des gens à rentrer chez eux pour propager le virus. On a également dit que nous ne faisions pas les efforts nécessaires pour obtenir du bacta.

« En réalité, nous sommes en train d’épuiser les réserves de l’armée. Au cas où Isard attaquerait, nous pourrions être laminés. Le prix du bacta a grimpé comme jamais. Pour aggraver les choses, les rebelles ashem de Thyferra ont réussi à entraver la production, de sorte que les réserves sont limitées à un moment où la demande crève le plafond.

— Je n’imaginais pas…, bredouilla Wedge.

— Bien sûr que non, acquiesça Leia. Personne ne sait, en dehors du Conseil. La situation est si épouvantable que je vais tenter d’établir des relations avec les Hapiens et leur demander de l’aide. Ceci est hautement confidentiel ; en cas de fuite, je nierai vous en avoir parlé.

— C’est déjà oublié, promit Wedge.

— Pour être franche, reprit la princesse, il existe une possibilité que nous puissions obtenir assez de bacta pour sauver beaucoup de malades, mais pas tous. Même si nous en guérissons la plus grande partie, le nombre de victimes se montera quand même à des millions… de non humains. Le ressentiment à l’égard de l’Alliance s’accroîtra jusqu’à ce qu’elle s’effondre. Alors, quelqu’un comme Isard ou le seigneur de guerre Zsinj viendra ramasser les morceaux.

Elle haussa les épaules.

— Ça ne devrait rien avoir à faire avec Tycho, mais il est humain et on l’accuse d’un crime odieux contre un Rebelle qui est maintenant un héros. Si nous ne le jugeons pas rapidement, on nous soupçonnera de le favoriser à cause de sa race. Une accusation sans fondement, mais il est capital que nous évitions toute forme de favoritisme.

— Alors Tycho sera offert en sacrifice pour sauver l’Alliance ?

— J’aurais préféré inculper Ysanne Isard pour avoir créé et propagé Krytos. Mais elle a disparu. Nous pourrions sans doute ramasser une poignée de bureaucrates impériaux et les juger pour leurs activités passées, mais ils fuiraient et nous perdrions toute chance de gouverner la galaxie.

Cette réponse laissa Wedge stupéfait. Utiliser l’ennemi pour administrer les territoires du nouveau gouvernement lui parut illogique. Mais il réalisa que l’armée de l’Alliance avait toujours accueilli en son sein les déserteurs de l’autre camp.

— Vous avez raison, mettre en place un gouvernement n’est pas facile.

— C’est pourtant ce que nous devons faire.

La logique de ses arguments était implacable, mais Wedge se braqua.

— Démissionner est peut-être ce que je dois faire, répliqua-t-il.

— Non, vous ne le devez pas. Et vous ne le ferez pas.

— Pourquoi pas ? La guerre est terminée. Il doit bien y avoir une demi-douzaine de dépôts de carburant que je pourrais acheter et exploiter sur Coruscant ou Corellia.

Il savait qu’il se montrait un peu trop susceptible, mais céder reviendrait à abandonner Tycho.

— Vous ne démissionnerez pas, très cher, à cause des responsabilités qui vous conduisent à menacer de le faire. (Leia lui sourit.) Les hommes de Cracken ont fait plus que de se pencher sur les activités de Tycho.

« Il se trouve que le seigneur de guerre Zsinj a intercepté un convoi de bacta thyferrien et dérobé une cargaison assez importante. Un Rebelle ashem faisait partie de ce convoi ; il nous a indiqué l’endroit où la marchandise est stockée. Le bacta sauvera un grand nombre de vies, mais envoyer nos hommes le chercher requiert l’aide de quelqu’un d’efficace. L’Escadron Rogue ouvrira la route.

— Démissionner et condamner des millions de gens ou regarder un ami se faire détruire, je n’ai pas beaucoup de choix, remarqua Wedge.

— En effet, votre position n’est guère enviable.

— Choisir n’est pas si difficile, mais vivre avec les conséquences de ma décision le sera. Vous direz au Conseil que je ne présenterai pas ma démission.

— Je prétendrai que c’était un moyen de nous faire part de votre inquiétude pour le capitaine Celchu. D’après Cracken, vous partirez d’ici une semaine. Que la Force soit avec vous.

— Je la garderai pour Tycho. (Wedge plissa les yeux.) Qu’importe l’accueil que nous réserve Zsinj, ce que Tycho devra affronter est un million de fois pire.