CHAPITRE XXIX

Le désespoir l’emporta sur la colère qu’il aurait dû éprouver.

Kirtan Loor savait que ses jours étaient désormais comptés. Il sentait que s’il était encore en vie, c’était parce qu’Isard prenait un malin plaisir à le voir redouter le lendemain.

Même s’il la craignait, Loor admirait la manière dont elle avait réussi à les manipuler, lui, le seigneur de guerre Zsinj et la Nouvelle République. L’Escadron Rogue serait aussi tombé dans son piège s’il n’avait pas été en retard.

Vingt-quatre heures après le guet-apens d’Alderaan, Zsinj avait envoyé un message sur Coruscant, grâce à ce qui restait du système de communication holographique de l’Empire. Il y indiquait que ses hommes et lui avaient attaqué le convoi parce que, selon ses sources, le bacta était altéré et aurait aggravé l’action du Krytos.

Il y disait aussi que l’Escadron Rogue se trouvait sur les lieux, conscient que le bacta était corrompu, et qu’il avait la ferme intention de le distribuer sur le marché afin de « se débarrasser de la racaille de non humains » que l’Empire avait laissée derrière lui.

Il prétendait n’avoir pas eu d’autre choix que de détruire l’escadron et le convoi, puis il suppliait les gens de rejeter le gouvernement de la Nouvelle République.

Le seul problème avec ce message, c’était qu’il suivait de six heures à peine le premier rapport sur l’attaque du convoi. Ce compte rendu établi par le gouvernement incluait des images holographiques commentées par plusieurs membres de l’escadron. Cela prouvait que Zsinj mentait, ôtant du même coup toute crédibilité au reste de ses dires.

Loor secoua la tête. Il était évident qu’Isard avait informé Zsinj de l’arrivée du convoi. Mais le seigneur de guerre avait certainement averti la jeune femme trop tard de son initiative d’envoyer un faux Escadron Rogue pour éliminer le convoi. Autrement dit, il ne s’attendait pas à voir apparaître l’original sur les lieux. Loor, quant à lui, avait prévenu Isard seize heures avant l’attaque.

La perte du bacta ruinait les espoirs du peuple de Coruscant. À cela s’était ajouté un rapport des autorités indiquant qu’il y aurait moins de ryll que prévu. Les réserves précédentes, censées durer deux mois, avaient été épuisées au bout de sept semaines en raison d’une demande croissante.

Loor trouvait ironique que le gouvernement rebelle en soit encore à combattre le fantôme de l’Empereur. C’était l’Empire qui poussait les gens à mettre sa parole en doute.

Enseigner la vérité est un travail de longue haleine. Et Isard a très vite compris qu’elle ne pouvait plus me faire confiance.

En transmettant le message dès qu’il l’avait eu, il aurait pu discréditer Zsinj, causant la perte du bacta et la destruction de l’Escadron Rogue.

Mais il avait échoué et Isard, il le savait, ne méprisait rien davantage que les perdants.

Elle se débarrasserait de lui dès qu’il ne lui serait plus d’aucune utilité.

Je dois trouver quelque chose avant qu’elle ne décide de m’éliminer, songea-t-il.

 

Gavin Darklighter s’éclaircit la voix et tapa à la porte ouverte du bureau d’Antilles.

Wedge leva vers lui des yeux hagards.

— Que puis-je faire pour vous, Gavin ? s’enquit-il.

— J’aimerais vous parler en privé, si possible, répondit le cadet des Rogues.

Wedge fit signe à son visiteur de s’asseoir en face de lui.

— De quoi s’agit-il, Gavin ?

Le jeune homme s’installa et regarda longuement ses mains, ne sachant par où commencer.

— Monsieur, avec les autres pilotes, nous avons… discuté de la situation. Beaucoup ont été très choqués de voir que la réalité dépassait en horreur tout ce qu’ils imaginaient.

— Je sais. J’ai contribué au rapport sur l’attaque du convoi. Le seigneur de guerre Zsinj s’est fait un devoir de détruire jusqu’au dernier transporteur.

— J’ai parlé avec les autres, reprit Gavin, et ils ont dit que vous étiez demeuré assez silencieux quant à cette histoire : la mort de Mirax, et tout ça… Je l’appréciais, même si je ne la connaissais pas depuis aussi longtemps que vous. Mais je me rappelle le jour où vous êtes venu me parler de Lujayne Forge, quand les Impériaux l’ont tuée ; vous m’avez dit qu’il était bon d’être soutenu, et j’ai pensé…

— Vous avez pensé que ça m’aiderait d’exprimer mes sentiments ?

— Eh bien, vos meilleurs amis ne sont pas là. Le capitaine Celchu est en prison, la princesse Leia s’est évanouie dans la nature et vous étiez très proche de Mirax, alors…

Wedge soupira.

— J’apprécie votre attention plus que vous ne le pensez, Gavin. Je suppose que je suis encore sous le choc. Il ne restait aucune trace d’elle ni du Pulsar, ce qui me donne à penser qu’elle a commis une erreur de navigation et s’est retrouvée dans un autre lieu.

— Nous voudrions tous le croire, monsieur.

— C’est ridicule, bien sûr, mais ça explique pourquoi je me refuse à accepter sa mort. On dirait que l’Empire se fait fort de tuer mes amis les uns après les autres. Mourir en détruisant l’Étoile Noire avait un sens, mais en accompagnant un convoi de bacta… Même si ça a poussé le Conseil Provisoire à prendre une décision concernant Zsinj, ces vies ont été gaspillées, et je suis las de cette hécatombe.

— Allons-nous rechercher Zsinj ? s’enquit Gavin.

Wedge tapota sur son bloc-notes électronique.

— J’étais en train d’étudier les possibilités dont nous disposons pour le combattre. Je n’ai pas beaucoup de détails, et de toute façon, je ne pourrais pas vous les révéler, mais la perte du convoi a fait de Zsinj une cible privilégiée. L’amiral Ackbar veut les données le plus vite possible. Je ferais donc bien de m’y remettre.

— Si vous le dites, monsieur.

— Gavin, j’apprécie que vous soyez venu ici me parler de Mirax. Je ne suis pas sûr d’être prêt à l’évoquer pour l’instant, mais je prends note de votre proposition.

— Oui, monsieur. Si vous changez d’avis…

— Vous serez la première personne que j’appellerai, c’est promis. Maintenant, allez vous reposer… et c’est aussi valable pour le reste de l’escadron. Si nous devons poursuivre Zsinj, je veux que nous soyons tous au maximum de nos capacités.

 

— Je vous en prie, Asyr Sei’lar, entrez, dit Borsk Fey’la, debout derrière son bureau. Je suis heureux de recevoir la visite du tout nouvel atout de l’Escadron Rogue.

— Je suis flattée qu’un membre du Conseil Provisoire m’ait remarquée, répondit la Bothane en s’inclinant.

— Remarquée ? Mais ma chère, le contraire est impossible. En plus de vos performances au sein de l’escadron, vous étiez éblouissante à la fête donnée par Dan’kre l’autre soir. S’il vous plaît, asseyez-vous.

En la voyant bouger avec toute la grâce et la force de la jeunesse, Borsk Fey’la se surprit à rêver. S’il avait eu quelques années de moins, il aurait pu courtiser Asyr…

— Je voudrais vous faire part de l’admiration et de la reconnaissance du peuple de Bothawui. Vous êtes bien partie pour avoir un jour votre place dans la légende des héros bothans, comme Peshk Vri’syk qui vous a précédée dans l’escadron. Vous avez libéré Coruscant et faites maintenant partie de la plus célèbre unité de chasseurs de la galaxie. Vos parents sont très fiers de vous, et d’autres se réjouissent que leurs enfants vous prennent pour modèle.

— Merci, conseiller. Mais je pense qu’ils pourraient trouver de meilleurs exemples.

— Peut-être… Moi, je ne devrais pas être préoccupé par votre liaison avec ce… Galen.

Borsk Fey’la avait volontairement écorché le nom de l’humain. Il vit la fourrure de sa compatriote se hérisser.

— Son nom est Gavin, Gavin Darklighter, rectifia sèchement Asyr. Son cousin est un des hommes qui ont péri en détruisant la première Étoile Noire.

— Et nos martyrs sont morts pour permettre à l’Alliance de détruire la seconde, ajouta Fey’la. (Il leva la main en signe d’apaisement.) Pardonnez-moi si cette mention de votre vie privée vous a offusquée. C’était tout à fait involontaire. Je comprends que des liens puissent se créer entre des personnes ayant combattu côte à côte, mais ça n’est pas le cas de tout le monde.

— Merci, conseiller. Certains membres de la communauté bothane se comportent comme des Impériaux face aux étrangers.

— Ça n’est pas bien du tout. Si vous le permettez, peut-être pourrais-je vous aider à résoudre ce problème. J’ai été jeune et je sais le mal que peuvent faire certains regards. J’userai de mon influence pour que les choses évoluent.

— Ce serait très aimable à vous.

— Heureux de vous rendre service. C’est bien ce que j’envisageais en vous invitant ici, mais sur un point différent.

— Lequel ? s’enquit Asyr qui soutenait son regard sans broncher.

— Vous avez participé à la mission dans la zone d’Alderaan, pour autant que je me souvienne ?

— Oui. J’ai piloté un appareil pour le commandant Antilles et j’ai pu me montrer si efficace parce qu’il m’a couverte.

— Je vois. L’heure de votre arrivée est devenue le sujet de conversation favori des esprits chagrins. Vous étiez en retard, et le convoi a été détruit.

— Si nous avions été à l’heure, nous aurions été abattus aussi.

— Certes, et il est bon que ce ne soit pas le cas. Toutefois, les analyses pratiquées sur des échantillons de bacta rapportés ont prouvé qu’il était corrompu. Ça confirme les dires de Zsinj.

— Pardonnez-moi, monsieur, mais ces échantillons ont essuyé des explosions, encaissé des tirs de lasers et ils se sont mêlés aux débris. Ça n’est donc pas vraiment une surprise.

— En des circonstances normales, je serais de votre avis.

— Que voyez-vous d’inhabituel dans celles-ci ?

— Il est évident que Zsinj a été informé de l’horaire de vol du convoi. Puisque la faction Xucphra avait décidé d’envoyer du bacta à la Nouvelle République, on peut supposer que sa rivale, la faction Zaltin, lui ait fait part de ce chargement. Toutefois, nous ne pouvons exclure l’implication de membres du gouvernement.

— Vous n’êtes pas sérieux.

— Je ne pense pas que ce soit vrai, mais d’autres personnes envisagent cette possibilité. Et je crains que vous ne soyez impliquée dans cette histoire en raison de votre appartenance à l’Escadron Rogue. Je veux juste vous épargner un désastre.

— Désastre ? répéta Asyr.

— L’Escadron Rogue sera envoyé à la poursuite de Zsinj. Ça peut signifier que certains officiers envisagent de se débarrasser de votre unité. Je ne dis pas que ça se produira, mais je veux pouvoir l’éviter.

— De quelle façon ? demanda la Bothane.

— Je voudrais que vous établissiez un rapport indiquant que le retard de l’escadron était dû à une erreur humaine.

— Ça renforcerait l’hypothèse d’un complot, objecta Asyr.

— Si je devais l’utiliser dans ce sens, oui, mais je ne ferais jamais une chose pareille, assura Fey’la.

La jeune femme haussa un sourcil incrédule.

— Vous connaissez l’adage bothan, lança-t-elle : « jamais » signifie simplement que l’occasion ne s’est pas encore présentée.

— Dans ce cas, je dois rectifier : je ne l’utiliserai jamais, sauf si je l’estime nécessaire pour combattre les excès des humains. Vous connaissez, et le Krytos en est un bon exemple, leur propension à la cruauté.

« Ceux de l’Alliance ne se sont pas encore retournés contre nous, ni contre l’Escadron Rogue, mais ça ne signifie pas que ça n’arrivera jamais. Vous êtes une Bothane, née avec des responsabilités et des obligations. Rédiger ce rapport en fait partie.

— Je comprends, monsieur.

— Bien. Je le veux sur mon bureau dans soixante-douze heures. Ne me décevez pas.

— Non, monsieur. (Asyr se leva et inclina la tête.) Je connais le prix de l’échec, et je n’ai aucune intention de contracter cette dette.