CHAPITRE XXXI

Nawara Ven essuya d’une griffe les traces laissées sur la table par son verre de bière.

Je ne devrais pas être ici, songea-t-il. C’est de la folie.

Il n’aurait effectivement pas dû se trouver dans une taverne… Surtout celle-ci, qui avait tout pour rappeler l’antre de Jabba le Hutt.

L’accusation avait plaidé, mettant le Twi’lek dans une position difficile. Même si la plupart des preuves présentées étaient indirectes, elles n’en demeuraient pas moins nombreuses.

Nawara disposait de témoins attestant de l’honorabilité de l’accusé, mais rien qui puisse réfuter les faits sur lesquels se basait l’accusation. Voilà pourquoi il se trouvait là.

Deux heures plus tôt, il avait reçu un message lui proposant cette rencontre. Il aurait pu l’ignorer, mais la signature était celle d’Hes Glillto, le nom utilisé par Lai Nootka lors de son dernier séjour sur Coruscant.

Il n’est pas très glorieux, pour un avocat, d’en être réduit à accepter des rencontres secrètes pour étayer sa défense.

Si la personne qui lui avait donné rendez-vous était réellement Lai Nootka, la théorie de l’accusation s’écroulerait comme un château de cartes. Le Duros prouverait qu’il avait rencontré Tycho la nuit où Corran affirmait l’avoir vu avec Kirtan Loor. Ça démontrerait que l’accusé n’avait rien à craindre de Corran, et donc aucune raison de le tuer. Mais Nawara n’était pas certain que Lai Nootka se présenterait ; il envisageait toujours l’éventualité d’un canular.

Il leva son verre pour le vider. Avant de pouvoir avaler une gorgée, il vit une silhouette grande et mince entrer dans la taverne. Elle était enveloppée d’une cape.

Le Twi’lek se redressa quand la silhouette parvint à son niveau. Il lui tendit la main.

— Nawara Ven, annonça-t-il.

Deux mains humaines aux longs doigts émergèrent de la cape pour se poser à plat sur la table.

— Je sais qui vous êtes, répliqua la silhouette.

— Et vous, vous n’êtes pas Lai Nootka. Allez-vous me conduire jusqu’à lui ?

— Non. Je suis navré de vous infliger une telle déception, mais le Duros ne viendra pas. Il est mort.

— Quoi ? Pouvez-vous le prouver ?

— Non. (La voix était grave mais ferme.) Mais je peux prouver que votre client n’a pas rencontré Kirtan Loor la nuit où Corran Horn l’a vu.

Nawara demeurait perplexe.

— Vous m’avez menti et vous espérez que je vous fasse confiance ? Comment pouvez-vous prouver une chose pareille ?

L’homme baissa légèrement sa capuche, Nawara sentit son cœur bondir dans sa poitrine.

On dirait le fantôme du Grand Moff Tarkin…

— Parce que je suis Kirtan Loor et que je n’ai jamais rencontré Tycho Celchu, pas plus cette nuit-là qu’une autre.

— Pouvez-vous attester de l’endroit où vous vous trouviez ?

— Oui, j’ai suffisamment de preuves. Et aussi les noms des espions impériaux au sein de la Nouvelle République : de quoi satisfaire le général Cracken.

Ça semble trop beau pour être vrai, songea le Twi’lek.

— Vous mentez, lança-t-il. Vous ne pouvez pas être Loor.

— Je témoignerai en faveur de votre client, à condition que la Nouvelle République m’accorde l’immunité pour les actions accomplies au nom de l’Empire. Ses dirigeants devront me payer un million de crédits, me procurer une nouvelle identité et me faire sortir de Coruscant. Alors, je leur dirai tout ce qu’ils veulent savoir. Chaque agent double de la Nouvelle République sera démasqué. C’est aussi simple que ça.

— Mais…

L’esprit de Nawara était en ébullition. Les conséquences des allégations de Loor semblaient énormes.

— Comment pouvons-nous être sûrs que… ? bafouilla-t-il.

L’agent impérial saisit la main de l’avocat et enfonça une des griffes du Twi’lek dans la sienne. Une goutte écarlate perla sur sa paume. Nawara entendit le bruit d’une étoffe qu’on déchire, et vit Loor lui tendre un morceau de sa tunique souillé de sang.

— Amenez ça au commandant Ettyk. Donnez-lui une copie de mon dossier, puis demandez-lui de faire une comparaison d’ADN. Mais qu’elle utilise une copie du fichier : si elle se servait de l’original, on saurait que vous enquêtez sur moi. Une fois que vous serez sûr, vous négocierez en mon nom. C’est à prendre ou à laisser.

« Dès que vous aurez conclu l’arrangement, vous donnerez une conférence de presse. À un moment, vous direz : « Je suis tout à fait confiant, persuadé que nous gagnerons. » Je ne crois pas avoir entendu une telle chose sortir de votre bouche pendant le procès, ce sera donc notre signal.

— Non, je ne crois pas avoir dit ça, confirma le Twi’lek. Et je sais que je ne l’ai pas pensé.

— Quand vous m’aurez donné le signal, je vous enverrai un autre message pour convenir d’un point de rendez-vous. Iella Wessiri et vous viendrez me chercher ; je ne veux voir personne d’autre. Vous ne pouvez pas me trahir et elle ne le fera pas. La moindre anomalie, et personne ne profitera de mes informations.

— Compris.

— Bien. Je vous donne cinq heures.

— Cinq heures ! Ce n’est pas beaucoup, protesta Nawara surtout lorsqu’on commence à minuit. Il me faut plus de temps.

— Pas question. C’est tout ce dont je dispose moi-même. J’ai un planning à respecter. S’il y a un problème, tout le monde le regrettera. Je peux offrir la liberté à votre client, et Coruscant à la Nouvelle République, en échange d’un prix très modique. Assurez-vous que tout se déroule comme prévu.