CHAPITRE IV
La tenue de prisonnier de Tycho ressemblait suffisamment à une combinaison de vol pour que Wedge puisse l’imaginer de nouveau libre.
Le commandant Antilles tremblait de colère et de gêne.
Tycho leva la tête et sourit. Un peu plus grand que Wedge, c’était un bel homme aux yeux bleus pétillants. Il ouvrit les bras en signe de bienvenue, donnant l’impression que ses liens ne le gênaient pas.
Il attendit patiemment qu’un garde ouvre la barrière de transpacier qui le séparait de Nawara Ven et de Wedge, puis entra dans la pièce en traînant les pieds.
Antilles se leva et se dirigea vers son ami. Mais le garde brandit un bâton Stokhli.
— Ne vous approchez pas du prisonnier, commandant, l’avertit-il.
Wedge sentit une main sur son bras et se retourna, pour se retrouver face au Twi’lek qui les avait accompagnés jusqu’au centre de détention.
— Commandant, nous ne sommes pas autorisés à avoir des contacts physiques avec Tycho, intervint-il.
Personne ne peut toucher les prisonniers, c’est une question de sécurité.
— Très bien, grogna Wedge.
— Vous avez accompli votre tâche. Je vous demande maintenant de nous laisser seuls avec mon client, lança Nawara Ven au garde.
— Je ne serai pas loin, grommela l’homme. S’il se produit quoi que ce soit de bizarre, vous resterez avec ce traître pendant un bon bout de temps.
Wedge se laissa tomber sur l’une des quatre chaises qui entouraient la table.
— Comment vas-tu ? Ce type te cause des ennuis ? Si c’est le cas, je m’occuperai de lui, promit-il.
Tycho s’assit face à lui et haussa les épaules.
— Volevy n’est pas si mauvais, mais il n’aime pas que la situation lui échappe. Les autres sont pires ; si je n’étais pas seul dans ma cellule, je crois que j’aurais déjà été jugé et exécuté.
— Quoi ? s’insurgea Wedge. Que veux-tu dire ?
— Ça me semble évident. Rappelez-vous que je suis accusé de meurtre et de trahison. Certains gardes y voient une occasion de prouver leur patriotisme. Quant aux prisonniers, quelques-uns pensent pouvoir obtenir leur pardon en épargnant à la Nouvelle République le coût d’un procès. Je ne pensais pas que ça te surprendrait.
— C’est ta réaction qui me surprend. À ta place je serais scandalisé et en colère.
— C’est parce que tu n’as jamais été détenu dans un des centres de l’Empire, soupira Tycho. La colère ne me ferait pas sortir d’ici plus vite, elle ne m’attirerait que des ennuis.
— Mais tu n’es pas irrité d’être emprisonné injustement ? s’étonna Wedge.
— Si.
— Alors, pourquoi ne le montres-tu pas ? Tu ne peux pas garder ça pour toi : ça te rendra dingue.
— Wedge, tu as toujours été mon ami et tu m’as soutenu sans poser de questions. Mais l’emprisonnement n’est pas pire qu’une assignation à domicile. Bien sûr, je ne peux pas piloter ni arpenter les rues de Coruscant ; à part ça, rien n’a vraiment changé.
« Depuis que les Impériaux m’ont capturé, je suis prisonnier. Je ne leur ai jamais vraiment échappé. Ils ont réussi à faire peser des soupçons sur moi. Je suis outragé, mais la seule chose qui pourrait me rendre ma liberté serait la destruction de l’Empire.
— Et sinon ?
Tycho esquissa un sourire.
— Tu as échafaudé un plan pour libérer Coruscant. Faire sortir un ami de prison ne devrait pas être si dur.
— N’ajoutons pas un complot aux charges qui pèsent déjà sur vous, intervint Nawara Ven.
— Comme vous voudrez, maître. Comment se présente ma défense ?
— Bien et mal. (Le Twi’lek s’assit au bout de la table et une petite unité R2 vert et blanc roula jusqu’à lui.) Notre plus grand avantage est sans doute que Whistler ait rejoint l’équipe de défense.
— On m’accuse d’avoir tué Corran. Whistler était son partenaire, pourquoi prendrait-il ma défense ? s’étonna Tycho.
Le droïd bipa une réponse.
— Il connaissait vraiment bien Corran, traduisit Wedge avec un sourire.
— Assez pour savoir qu’il se trompait à votre sujet, capitaine Celchu, approuva Nawara Ven. S’il pensait à tort que vous étiez un traître, ça signifie que quelqu’un d’autre l’a tué.
« Avoir Whistler dans l’équipe nous sera très utile en raison des circuits et des programmes dont il est équipé. Ils lui permettent d’accéder à nombre de jurisprudences, y compris celles des Impériaux.
— J’espère que les mauvaises nouvelles n’annulent pas les bonnes, soupira Tycho, gigotant dans sa chaise.
— Corran a rapporté au commandant Antilles qu’il vous avait vu converser avec Kirtan Loor aux Quartiers Généraux, annonça Nawara Ven. Vous avez dit que vous parliez avec… (il jeta un coup d’œil à son bloc-notes électronique) un Duros nommé Lai Nootka.
— C’est exact, confirma Tycho. Il pilotait un vaisseau de marchandises appelé Plaisir des Étoiles, et je négociais avec lui des pièces de rechange pour les chasseurs Z-95 que j’avais achetés.
— Il semble que lui et son vaisseau soient introuvables. Apparemment l’accusation peut fournir de nombreuses preuves du fait que Kirtan Loor se trouvait bien sur Coruscant, que Corran l’aurait reconnu et que, vous sachant découvert, vous deviez prendre les mesures nécessaires pour vous protéger.
— Si le seul moyen de te sortir de là est de retrouver Nootka, nous le retrouverons, promit Wedge. (Il se frotta les yeux.) Cela dit, nous avons deux cent quarante-sept corps non identifiés en provenance de Duros ; il est possible que l’Empire l’ait capturé et exécuté, puis s’en soit débarrassé de façon à ce que nous ne le découvrions jamais. Nous pouvons toujours essayer de localiser son vaisseau. Il doit y avoir dans ce registre une fiche concernant votre rencontre.
— Tu es plus nerveux que moi, ironisa Tycho.
— Je ne crois pas que tu réalises ce qui est en jeu. Ton procès va aller très vite. Il servira à montrer que la Nouvelle République peut être aussi dure envers les humains que l’Empire l’a été envers les non humains.
« Si Nawara n’était pas déjà avocat, je te chercherais le meilleur défenseur non humain que je puisse dégoter. Les juges vont se sentir tenus de ne pas paraître cléments. Je veux qu’ils s’interrogent sur la manière dont ton inculpation sera perçue.
— Capitaine, vous voudriez peut-être rechercher un avocat plus compétent, s’inquiéta le Twi’lek.
— Non, Nawara, c’est vous que je veux. J’ai lu votre dossier et je vous connais. Je n’ai pas besoin de quelqu’un qui coure après la gloire.
— Il a raison, approuva Wedge. Nous avons besoin de vous. L’escadron est avec Tycho. Que vous le représentiez nous aide à ne pas nous sentir impuissants. Voyez-vous un inconvénient à assurer sa défense ?
— J’ai plaidé de nombreuses affaires criminelles, mais les enjeux n’étaient pas aussi importants ni l’opposition aussi rude, répondit le Twi’lek après un instant d’hésitation. M3 connaît tous les règlements. L’avoir à mes côtés à la cour m’aidera à maîtriser les différences entre loi civile et militaire. Mais vous auriez avantage à être représenté par quelqu’un qui n’ait pas besoin de s’appuyer sur un droïd.
« De plus, quand le meurtre a été commis, j’arrivais à peine sur Coruscant et je n’ai donc pas une parfaite connaissance de la situation. (Il pressa un bouton sur son bloc-notes.) Le représentant de l’accusation est le commandant Halla Ettyk. Âgée de trente-quatre ans, originaire d’Alderaan, elle jouit d’une certaine réputation.
« Elle se trouvait sur Coruscant pour témoigner dans une affaire quand sa planète a été détruite. Elle a alors rejoint la Rébellion et a fait partie de l’équipe de contre-espionnage du général Cracken.
« Elle ne semble pas avoir exercé ces sept dernières années, mais il est peu probable que ça ait diminué ses talents. Capitaine, vous ne la connaissez pas et n’avez pas été en conflit avec elle ou sa famille ?
— Non, désolé.
— Qu’en est-il du tribunal ? interrogea Wedge. La citation à comparaître que j’ai reçue hier indiquait que le général Salm, l’amiral Ackbar et le général Crix Madine composeraient la cour. Salm n’a jamais aimé Tycho. Ne pouvez-vous le faire destituer ?
— Ce serait difficile, admit Nawara. S’il ne se récuse pas de son propre chef, c’est qu’il estime n’avoir aucun conflit d’intérêt avec Tycho. Mieux vaut ne pas nous le mettre à dos.
« D’autre part Salm était présent à la première bataille de Borleias, et il a vu Tycho se porter au secours des pilotes avec une navette non armée. Il doit faire la part des choses, et nous ne manquerons pas de lui rappeler cet épisode.
— Je peux tenter ma chance avec Salm, affirma Tycho. Que pensez-vous des autres ?
— Ackbar a accepté que vous serviez comme second dans l’Escadron Rogue, et il est demeuré neutre au sujet de cette accusation, déclara le Twi’lek avec un haussement d’épaules.
« Crix Madine a quitté les rangs de l’Empire en même temps que vous. Compte tenu de son travail, qui consiste à planifier les missions secrètes pour l’Empire, j’imagine qu’il a rencontré Cœur de Glace et qu’il est au courant de ses activités. Il vous connaît de réputation et, étant corellien comme le commandant Antilles, il apprécie l’audace et la bravoure.
— Vous oubliez que Corran aussi était corellien, interrompit Wedge.
— Non commandant, je n’ai pas oublié. Je compte là-dessus pour pousser le général Madine à rechercher les véritables responsables de sa mort.
— Alors c’est notre seule stratégie, s’enquit le commandant Antilles : Tycho victime d’un coup monté ?
— La vérité est toujours la meilleure défense. Leurs preuves sont incohérentes ; nous pouvons donc entretenir le doute dans l’esprit de quelques personnes. Ce procès s’adressera autant à l’opinion publique qu’aux juges. Chacun sait que l’Empire était rongé de complots. L’évocation de Kirtan Loor et de Lusankya nous permettra de faire allusion à Ysanne Isard. Je peux même la rendre responsable de l’attentat.
« Si nous amenons l’opinion publique à voir en Tycho la victime d’une intrigue, un héros de la Rébellion détruit par un Empire amer et vengeur, nous maîtriserons les répercussions de ce procès.
L’explication de Nawara parut logique à Wedge, mais il n’aimait pas ce qu’elle impliquait.
Combattre des ennemis qui ripostaient était une chose, gagner une affaire à la Cour en était une autre, fort proche de la politique.
— Qu’arrivera-t-il si Tycho est reconnu coupable ?
— Difficile à dire. Il n’existe pas de voies d’appel clairement définies. À moins que les juges ne révisent leur opinion, il sera coincé.
— Qu’entendez-vous par là ? interrogea l’accusé, fronçant les sourcils.
— Il est question de meurtre et de trahison, capitaine. Étant donné l’humeur du peuple et la nature du crime qu’on vous attribue, si nous perdons, la Nouvelle République vous condamnera à mort.