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— Salut, commissaire.
— Ah, je m’inquiétais !
— Je te manque tant que
ça ?
— Disons que j’aimerais bien qu’on se
revoie…
— Ça, ça ne risque pas. Remarque, si,
je crois bien que je t’ai vu, l’autre jour, dans une Renault grise.
T’es un peu plus frisé que l’année dernière, non ?
— Tu as surtout vu ma photo dans le
journal…
— Non mais sérieusement, je crois
bien que c’était toi. Bref, je t’appelle pas pour te parler de tes
cheveux. Tu sais, j’ai réfléchi à ce que tu m’as dit l’autre jour,
je crois que t’as raison, je fais courir des risques à des gens, je
suis un danger pour la société.
— Voilà une saine réflexion, je te
félicite. Il ne te reste plus qu’à venir te rendre.
— Sans rire, je suis passé pas loin
de la catastrophe.
— À Thionville ?
— Ouais.
— J’étais presque sûr que c’était
toi. Il paraît que tu conduisais d’une main…
— La grenade, oui, je sais, c’est pas
très malin. En même temps, je pouvais pas faire grand-chose
d’autre. Etencore, j’ai eu de la chance de tomber sur des types pas
très affûtés, parce que si je m’étais retrouvé en face de toi et
tes mecs, j’étais bon.
— C’est sûr, je t’aurais pas laissé
te sauver comme ça.
— Je sais bien. Je vais arrêter, je
crois.
— Comment ça, arrêter ?
Tout ?
— Ouais, tout. C’est un bon
avertissement, là. Mais j’avais pas assez préparé, c’est de ma
faute, je déconne.
— Attends, attends, si tu arrêtes, je
fais comment pour t’attraper, moi ?
— Ah oui, c’est vrai. Mais même si je
continue, tu me trouveras pas, de toute façon.
— Ça, c’est toi qui le dis. Si je ne
te trouve pas, je démissionne.
— Ah non, ce serait dommage. En tout
cas, si tu veux me tomber dessus, sois vachement discret, parce que
je les repère à l’instinct, les flics. Et je cours
vite !
— Je ferai de mon mieux. Non, ce qui
m’embêterait vraiment, c’est que tu sortes un calibre.
— Alors ça, aucun risque. Je sors
jamais armé, jamais. Sauf quand je travaille. Tu le dis bien à tes
gars, s’il te plaît, j’ai pas envie de me faire tirer comme un
lapin.
— Pas de problème, tu as ma parole.
Je peux te trouver où, alors ?
— Oh, je suis à Paris…
— Tu fais quoi ?
— Rien de spécial, je fais du sport,
les boutiques, je vais au cinéma, en boîte. L’Apocalypse,
l’Élysée-Matignon, l’Aventure…
— Arrête, tu ne traînes plus beaucoup
dans ces endroits-là…
— T’es bien placé pour le savoir,
hein ? C’est vrai que c’est plus ce que c’était, c’est fou ce
qu’ils laissent entrer comme poulets.
— Et tu as des nouvelles de
Thalie ?
— Non, aucune, j’ai complètement
coupé les ponts, je veux pas l’embêter. J’ai coupé les ponts avec
tout le monde, d’ailleurs. C’est pour ça que je t’appelle. Ça fait
du bien, de discuter un peu.
— Si je peux rendre service… Tu es
où, là ?
— Dans une cabine. Tu es en train
d’essayer de remonter l’appel ?
— Je peux pas, d’ici.
— C’est dommage, il y a trois flics à
cinq mètres de moi, sur le trottoir. Mais je les intéresse pas
beaucoup, apparemment.
— S’ils savaient ce que tu
trimballes…
— Je trimballe rien du tout, j’ai
jamais plus de quelques billets sur moi.
— Les bijoux, ils sont
où ?
— Les bijoux, je veux pas te donner
de faux espoirs, il n’y en a plus, je fourgue tout le plus vite
possible.
— Ça doit te faire pas mal de
liquidités…
— Ça va, oui, merci. Mais n’espère
pas mettre la main dessus. Par contre, si tu veux, je peux te faire
un prêt ? Sans intérêts. Je plaisante pas.
— Ça me ferait pas de mal, mais c’est
un peu contre l’éthique. Cela dit, si tu veux faire un don à la
police, c’est pas de refus.
— Vous avez besoin d’acheter du
matériel un peu plus perfectionné pour me trouver ?
— Exactement.
— Hum, je sais pas, faut que je
réfléchisse. Bon, je vais te laisser.
— N’hésite pas à donner des nouvelles
de temps en temps, un coup de fil ou une petite carte pour me dire
où tu es, ça fait toujours plaisir.
— Tu peux compter sur moi.
— D’un autre côté, si c’est pour
faire le mystérieux et ne rien me dire du tout, c’est pas la
peine.
— Il faut me comprendre, aussi. Tu
sais ce qui serait bien ? Que je sois encore dehors quand tu
prends ta retraite.
— On écrirait un bouquin de
souvenirs ?
— Voilà, par exemple. Et on irait
boire des petits cafésde temps en temps, tous les deux, en vieux
copains.
— Écoute, je te le souhaite. Moi, pas
le flic. Le flic, il te lâchera pas.
— Merci commissaire.
Salut !