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Thalie est rentrée chez ses parents, avec
Charly (qu’elle leur laissera ensuite, définitivement, quand elle
repartira – ils ont plus de bol, dans le registre des cadeaux, que
Marcelle et Stanislas avec Mika le singe). Ils ne lui posent pas de
questions sur Bruno, mais semblent bien abattus. D’abord parce
qu’ils l’aiment beaucoup, ce jeune homme, ensuite parce qu’ils sont
inquiets pour leur fille. Elle essaie de faire bonne figure pour
les tranquilliser, ce n’est pas facile. Elle a au moins obtenu d’un
jeune et beau flic qu’elle connaît, parce qu’il venait parfois au
Winston, où elle travaillait, et l’avait un peu draguée, qu’il
convainque son supérieur de ne pas les interroger, ils n’ont rien à
voir là-dedans (personne n’est censé savoir qu’ils ont volé
au-dessus de Paris avec le gangster). Avec le commissaire
d’Avignon, c’est moins rose. Elle ne l’aime pas, c’est un type
brutal et cynique, qui lui fait le même coup que ses collègues
parisiens à Pauline : il lui montre une déposition signée de
la main de Bruno (autant que de celle du pape) dans laquelle il
reconnaît le braquage du supermarché Casino d’Orange, en septembre
1980. (Les flics du coin ont réussi à établir qu’elle avait
rencontré Bruno dans la région cet été-là, des témoins d’une
loyauté fluctuante ont dit l’avoir vue avec lui (il a eu raison de
couper les ponts depuis avec certains de ses amis marseillais),
elle est même soupçonnée, sur des bases qu’on ne peut pas attribuer
qu’au flair des flics, d’avoir aidé d’une façon ou d’une autre à
l’évasion de S., et sera jugée pour ça avec Bruno et Drago.) Si,
dans la déposition truquée, Bruno n’évoque évidemment pas la
présence de Thalie, elle est tout de même étonnée qu’il ait avoué
ce supermarché-là, c’était leur premier ensemble, à deux, mais elle
est encore trop naïve pour s’attendre à ce genre de sournoiserie,
et puis elle n’est pas bien à ce moment-là, elle est soucieuse et
déprimée, ne sait même pas si elle pourra revoir l’homme qu’elle
aime avant des années, elle ne fait pas attention, elle dit que
oui, elle était au courant. Elle ne sait rien de plus, elle pensait
qu’il avait arrêté depuis, mais oui, il lui en avait vaguement
parlé. Le commissaire s’empresse de lui faire signer cette
déclaration anodine, avant de lui apprendre avec un sourire de porc
sauvage que c’était une ruse. (Plus tard, devant la juge
d’instruction, elle se rétractera, s’indignera du procédé
(« Ils ont triché, menti ! »), sans grand
effet.)
Grâce à un couple d’un certain âge qu’elle
a également rencontré à l’époque du Winston, deux bonnes personnes
qui ont beaucoup d’affection pour elle et tiennent à l’aider,
Thalie retrouve du travail (ils sont propriétaires de plusieurs
établissements de nuit dans la région et lui confient la
responsabilité d’un bar-boîte) et du plaisir : ils possèdent
un bateau ancré à Marseille et l’emmènent souvent le dimanche faire
un tour en mer. Se distraire lui fait du bien, travailler lui fait
du bien, mais les journées sont longues et il faudrait bien plus
que cela pour estomper sa peine, sa détresse, et l’empêcher de
penser à Bruno jour et nuit. Son seul espoir, c’est qu’il s’évade.
Mais cet espoir s’accompagne inévitablement d’une vraie peur,
froide.
En avril, il l’appelle chez ses parents
depuis Montpellier, dont il a retrouvé la maison d’arrêt près de
deux ans après son concours de pompes avec Yves, et où aura bientôt
lieu le procès pour l’évasion de S. – qui devrait marquer le début
d’une très longue série. Elle lui raconte sa gaffe avec la fausse
déposition pour le Casino d’Orange, elle s’en veut, elle est
désolée, mais il la console et la rassure, il se débrouillera, ils
ne se laisseront pas ligoter par de si basses méthodes. Ça ira.
Dix-sept ou dix-huit supermarchés, qu’est-ce que ça change ?
Pas plus que dix-sept ou dix-huit coups sur la tête. Il lui dit
qu’il l’aime, qu’elle doit être patiente, ne pas l’oublier (pas de
danger), mais bien sûr, il ne prononce pas un mot au sujet d’une
éventuelle évasion, il se sait écouté.
Début mai, un avocat de stature imposante
pénètre en robe dans le palais de justice de Montpellier, accolé à
la vieille prison. Il a les traits bruts, le visage carré, le
regard noir. Les juges ne doivent pas trop jouer les gros bras avec
lui, ses clients n’ont sans doute pas à regretter de l’avoir
choisi. Il ressemble un peu au type qu’on a vu dans LeProfessionnel, comment il s’appelle ?
Steve. Il monte l’escalier. Sous sa robe, il cache deux gros
flingues et une grenade. Bruno, que tout le monde aime bien et qui
ne manque pas d’alliés improvisés, a pu lui faire passer les dates
et horaires de ses rendez-vous chez le juge d’instruction. Steve en
robe noire s’approche du bureau où a lieu l’entrevue.
Il y a quand même pas mal de monde dans
les couloirs. Deux flics armés devant la porte, surtout, l’air peu
tendre. Il va devoir sortir les flingues maintenant, et on ne peut
pas prévoir leur réaction, un Pat Garrett du dimanche peut se
cacher sous chaque uniforme. Entreprenant et courageux, Steve n’est
pas pour autant un trompe-la-mort (il n’est pas idiot), la
fusillade n’est pas son truc, il ne s’amuserait pas à dégainer face
à deux gâchettes faciles. Il fait demi-tour, avec l’impression
d’abandonner son ami derrière la porte, mais il n’a pas le choix.
Il faudra trouver une occasion plus propice.