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Le lendemain, quand Thalie ouvre les yeux,
elle est seule dans le lit. Seule dans la chambre. (Bruno se lève
toujours tôt : la Légion, la prison, ça laisse des habitudes
solides.) Il revient un quart d’heure plus tard, frais et souriant,
un sac dans chaque main : il est sorti lui acheter des
T-shirts, un chemisier, un pantalon, des culottes et des
soutiens-gorge (tout est à la bonne taille, pile), une brosse à
dents, une brosse à cheveux, quelques crèmes. Elle est touchée,
émue même – plus émue, se dit-elle, qu’elle ne devrait
l’être.
Ils passent la matinée au lit, sortent
déjeuner du côté d’Alésia puis se promènent dans le quartier, Chris
semble s’intéresser aux vêtements, pousse Thalie à entrer dans les
boutiques et à choisir ce qu’elle veut. Ils reviennent à l’Orléans
Palace dans l’après-midi, le lit a été fait, ils le défont. Le
soir, alors qu’ils sont allongés l’un en face de l’autre, Chris sur
le flanc droit, Thalie sur le flanc gauche, il la regarde
longuement dans les yeux et se décide :
— Il faut que je te parle. Je vais te
dire quelque chose, et ensuite, tu fais ce que tu veux.
Il lui explique qu’il ne s’appelle pas
Christophe Desbourges mais Bruno Sulak, qu’il a déserté de la
Légion un peu malgré lui, qu’il a été arrêté après le braquage d’un
supermarché près de Montpellier et qu’il a fait presque un an et
demi de prison avant de s’évader, il y a un mois. Il est donc en
cavale. Elle se doutait qu’il ne faisait pas dans la cocotte, mais
tout de même, ça déroute, tout à coup. Pourtant, elle n’est pas
choquée, ni effrayée, et ne réalise pas tout à fait l’importance ni
les conséquences de ce qu’il vient de lui avouer. Il n’est pas
encore célèbre dans les médias, elle n’a jamais entendu parler de
Bruno Sulak, pour elle c’est d’abord un garçon qui la trouble,
l’attire, avec qui elle couche depuis vingt-quatre heures. Un
déserteur, un voleur, un évadé qu’on poursuit. Elle se sent comme
dans un film, une parenthèse de fiction.
Ils restent quatre jours à l’hôtel, la
plupart du temps couchés, ne sortant que pour aller manger, dans de
bons restaurants (Bruno ne nage pas dans les billets de banque, il
n’a fait qu’un braquage depuis son évasion (c’est raisonnable), n’a
pas le sens de l’économie et distribue même pas mal d’argent autour
de lui (par la suite, Thalie le verra souvent donner une liasse à
des amis qui en auront besoin, comme on offre une cigarette), mais
il lui reste quand même dans les poches de quoi bien vivre), boire
un Coca en terrasse, voir un film au Gaumont Sud (aujourd’hui le
Gaumont Alésia, autrefois le Montrouge Palace) ou acheter des robes
à Thalie, qui n’en a pas besoin et tente de refuser, en vain.
Tout cela ne correspond pas à l’idée que
Thalie se faisait de la cavale. Bruno (qu’elle appelle encore Chris
les deux premiers jours) paraît tout à fait tranquille, ne se cache
pas plus que le Lion de Denfert et croise des flics dans les rues
sans même détourner la tête. Ils ont certainement d’autres chats à
traquer, plus importants. Bruno aime bien leur demander son
chemin.
Un soir, dans leur chambre de l’Orléans
Palace, il téléphone à sa mère, Marcelle, pour lui parler de
Thalie, qui écoute amusée sur le lit, et désarçonnée. Il la décrit,
une grande et belle brune aux yeux bleus, lui dit qu’il se sent
bien avec elle, qu’il n’a jamais rien éprouvé de ce genre, cette
sensation d’harmonie, de fusion, qu’ils rient et discutent sans
arrêt, il lui parle même du plaisir qu’ils ont à coucher ensemble,
de cet accord parfait. Thalie en reste muette un long moment après
qu’il a raccroché. Le lendemain matin, il lui annonce qu’il va la
ramener dans le Sud, chez ses parents. Elle est un peu déçue mais
ne le montre pas.
Quand ils arrivent devant la maison de
Bédarrides, fatigués par la route, elle lui propose d’entrer pour
lui présenter ses parents, il n’hésite pas une seconde – ce qui,
intérieurement, réjouit Thalie. Seule sa mère est là, ce n’est
peut-être pas plus mal. Elle fait la connaissance de Christophe,
photographe, heureuse de voir sa fille en compagnie d’un jeune
homme si sympathique, poli et bien mis (ça change des chevelus
habituels), impressionnée par sa bonne éducation et sa
gentillesse.
— Ses photos sont très belles, dit
Thalie, mais il sait faire plein d’autres choses. Il est doué pour
tout, c’est presque énervant.
Bruno ne reste qu’une demi-heure, le temps
d’un thé et de trois gâteaux secs, puis embrasse Thalie et remonte
dans sa BMW en lui disant :
— Je te tiens au courant.