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Depuis deux mois, la duchesse de Chevreuse s'était réconciliée avec la reine et Mazarin. Et pourtant Marie de Rohan avait participé à tous les complots contre la royauté depuis trente ans. Un engagement payé fort cher : ruinée, abandonnée de son mari, vieillie et flétrie, la duchesse ne ressemblait plus à la femme magnifique qui séduisait les hommes en leur laissant toucher sa cuisse, comme elle s'en vantait. Revenue de son exil bruxellois, elle avait humblement demandé pardon à son ancienne amie la reine et juré d'être, désormais, loyale à la Couronne. Docile, elle avait rencontré Mazarin à l'automne et proféré les mêmes promesses de fidélité. À cette occasion pourtant, toujours saisie par le démon des cabales, Marie de Rohan avait proposé au cardinal de lui offrir la tête du coadjuteur !
Paul de Gondi, abandonné de sa maîtresse Mme de Guémené, qui avait de plus en plus souvent des saillies de dévotion comme le dira Gédeon Tallemant dans ses Historiettes, était, lui, devenu l'amant de la fille de la duchesse : Charlotte de Chevreuse.
— Par ma fille, avait assuré Marie de Rohan à Mazarin, je peux manœuvrer le coadjuteur à mon gré. Réconciliez-vous avec lui, offrez-lui le chapeau de cardinal et il deviendra l'un de vos fidèles. Je m'y engage. Avec Gondi près de vous, c'est tout le peuple de Paris qui vous aimera.
C'était tentant, mais Mazarin connaissait trop la duplicité de la Chevreuse pour la croire. Il avait donc préféré se débarrasser du coadjuteur par le procès. Mais quand le ministre constata que Gondi s'était sorti du piège, il reconsidéra sa position. Et laissa l'affaire s'enliser dans la procédure, ce qui avait pour avantage d'exaspérer Condé. Une attitude qui faillit provoquer un désastre.
*
Le 29 décembre, le procès ayant repris, Beaufort et Gondi vinrent au Palais accompagnés d'un corps de trois cents gentilshommes et entourés d'une foule à leur dévotion. En face, les hommes de Condé étaient encore plus nombreux.
Nous nous faisions civilités, raconta le coadjuteur dans ses mémoires, mais nous étions dans la défiance et il n'y avait personne qui n'eût un poignard dans la poche. Cette arme, poursuivit-il, était à la vérité peu convenable à ma profession. Comme le manche de sa lame sortait de sa poche, un capitaine des gardes du Prince lança d'ailleurs : Voilà le bréviaire de M. le coadjuteur !
Heureusement, il n'y eut pas d'échauffourée. Condé refusait d'aller plus loin dans la provocation de crainte de perdre le procès, et le coadjuteur était persuadé d'emporter la partie.
Car sous l'égide de la duchesse de Chevreuse, un renversement d'alliance s'opérait. Gondi avait écouté les propositions du ministre lui promettant la paix et le chapeau de cardinal. N'ayant jamais été si fort, le coadjuteur pouvait accepter sans se renier. Comme il le rapporta dans ses Mémoires : En fait de calomnies, tout ce qui ne nuit pas sert à celui qui est attaqué.
Quant à Mazarin, il était pressé de conclure tant le Prince devenait insupportable. Ne l'accusait-il pas, maintenant, d'être l'auteur de l'attentat contre lui, puisque Paul de Gondi en était innocent ? De plus Louis de Bourbon exigeait l'Amirauté avec une insistance forcenée et s'était attiré l'inimitié de la reine en défendant l'un de ses fidèles ayant commis une incroyable grossièreté.
Jarzé, jeune fat qui avait défié Beaufort aux Tuileries, persuadé d'être aimé de la reine, avait glissé une lettre d'amour sur son lit. Celle-ci l'avait très mal pris, et devant la Cour, lui avait déclaré avec un immense mépris :
— Monsieur de Jarzé, vous êtes bien ridicule. On m'a dit que vous faites l'amoureux. Vous me faites pitié, il faudrait vous envoyer aux petites maisons1 !
Humilié, le soupirant avait quitté la Cour. Plus tard, Condé avait exigé la réintégration de son gentilhomme. Pour éviter une nouvelle querelle, la reine avait cédé en jurant intérieurement de faire payer au Prince son audace. Elle avait donc poussé, elle aussi, à la réconciliation avec le coadjuteur.
En janvier 1650, Paul de Gondi, déguisé en cavalier et accompagné de la duchesse de Chevreuse, vint secrètement au Palais-Royal. Après plusieurs discussions en présence de la reine, du cardinal et de Monsieur, les cinq comploteurs convinrent que la paix ne pourrait revenir dans le royaume qu'après l'arrestation du prince de Condé.
*
Louis rentra à Mercy pour fêter Noël avec sa famille.
C'est là qu'il reçut, par courrier, une invitation au prochain mariage d'Anaïs Moulin Lecomte et de M. de Richebourg, lieutenant du prévôt de maréchaux de Rouen.
C'est aussi à Mercy qu'il apprit, cette fois par une visite de Mathieu Molé en personne, son voisin seigneur de Champlâtreux, les bouleversements survenus à Paris, le 19 janvier.
Le premier président, accompagné de son fils Champlâtreux, venait prendre quelques jours de repos après la fin d'année difficile qu'il avait connue, expliqua-t-il à Louis quand ce dernier le reçut dans sa bibliothèque, en présence de Julie.
Il raconta d'abord quelques faits insignifiants, parla de sa petite-fille Marie-René2 qu'il aimait tant, des affaires du Palais et du procès de Gondi qui se terminait.
Fronsac l'écouta en silence, devinant que si un personnage aussi considérable que le premier président du parlement de Paris franchissant son seuil, même en tant que voisin, c'est qu'il était advenu quelque chose de considérable le concernant personnellement. Il attendait donc avec un soupçon d'inquiétude les véritables raisons de cette visite.
Molé en ayant terminé des faits divers lissa longuement sa barbe avant d'adopter un ton solennel.
— Sachez maintenant, monsieur Fronsac, que je viens aussi de la part de Son Éminence. Le cardinal m'a demandé de vous annoncer personnellement la nouvelle…
— Laquelle ? frémit Fronsac.
— Vous le savez, monseigneur a l'habitude de dire : « Je dissimule, je biaise, j'adoucis, j'accommode tout autant qu'il m'est possible mais, dans un besoin pressant, je ferai voir de quoi je suis capable », fit Molé avec un sourire contraint. Hier soir, le prince de Condé, son frère Conti et son beau-frère, monsieur de Longueville, ont été conviés pour un conseil organisé par Son Éminence en vue d'arrêter l'auteur de l'attentat du 11 décembre. Le Prince est donc arrivé sans méfiance. Il est allé saluer la reine, puis s'est rendu avec son frère et son beau-frère dans la salle du conseil à la demande de Sa Majesté. Tandis qu'ils attendaient, monsieur Guitaut3 s'est approché d'eux et les a arrêtés.
— Quoi !
— Oui, arrêtés. L'arrogance du Prince ne connaissait plus de borne. Ils ont été conduits au château de Vincennes par monsieur de Miossans, lieutenant des gendarmes du roi.
— Comment a réagi Son Altesse ? demanda Louis, abasourdi.
— Il était aussi surpris que vous, monsieur, plaisanta Molé. Il a seulement déclaré : « Je crois avoir toujours bien servi la reine et j'ai cru monsieur le cardinal mon ami. »
— Son Éminence a pris un bien grand risque, remarqua Fronsac.
— Non, car cette arrestation s'est faite avec l'approbation du duc d'Orléans et le soutien du coadjuteur et de ses amis. Les alliances ont changé, mon cher. Mgr de Gondi s'est engagé à être désormais un fidèle sujet de Sa Majesté.
Grande Barbe eut un sourire équivoque avant d'ajouter :
— Je crois que vous êtes en partie la cause de sa conversion, mais comme vous êtes aussi un fidèle du Prince, Mgr Mazarin a voulu vous marquer sa considération en m'envoyant.
— Je ne crois pas avoir des capacités telles que je puisse convaincre un homme comme Paul de Gondi, dit Louis après un moment de silence. Pas plus que je n'ai pu convaincre le cardinal ou Monsieur le Prince qu'ils faisaient fausse route. Un brigand et trois larrons ont croisé notre chemin, j'ai seulement tenté d'éviter qu'ils ne causent trop de malheurs. Puisse la paix revenir maintenant que Son Éminence est devenue le maître du jeu4.