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De Rouen à Paris, on redoutait Petit-Jacques pour son audace et sa cruauté. Avec ses lieutenants Gueule-Noire et Fouille-Poche, il s'attaquait aussi bien aux transports de numéraire des receveurs qu'à ceux de marchandises circulant sur la Seine. Sur une petite gribane1 ou toute autre barque d'un faible tirant d'eau gréée de voile à livarde, lui et ses hommes s'approchaient des gabarres halées, des foncets, des besognes ou des vrengues chargés de marchandises. Les abordant par surprise en surgissant d'un faux bras du fleuve, ils assassinaient les bateliers à l'arbalète pour éviter qu'on ne les entende, volaient les marchandises et disparaissaient comme une meute de loups. S'il y avait des haleurs, ceux-ci étaient tués par des complices sur le chemin de hallage. Les prises se voyaient ensuite revendues dans des tavernes louches ou à des commerçants véreux.
Par son audace infernale, Petit-Jacques aurait pu devenir l'un des lieutenants de Carfour2, le roi d'Argot, mais il avait préféré rester à son compte. Le fleuve était son domaine. Même quand il s'attaquait à un transport terrestre, il n'avait qu'à gagner la Seine pour s'évanouir dans un des méandres où il possédait une cachette, ou simplement en traversant la rivière avec une barque dissimulée dans un bois. Les archers de la prévôté devenaient impuissants contre lui.
Né à Paris, dans un bouge de la cour des Miracles d'un père inconnu et d'une mère qui l'avait abandonné, Petit-Jacques avait été très tôt attiré par la rivière. Enfant, il avait découvert que les rives et les ports offraient des occasions de rapinage inespérées. À quinze ans, il s'était rendu à Rouen dans une barque volée et avait appris à manœuvrer les voiles à livarde et les focs des cotres et des heus3 dans l'estuaire.
Devenu remarquable marin, il avait fait de la partie du fleuve entre Rouen et Paris son terrain de chasse. Personne ne connaissait mieux que lui les endroits navigables, les faux bras, les pieux de pêcheries, les myriades d'îlots et les bancs de sable qui changeaient continuellement, au gré des pluies, des saisons et du débit d'eau.
Après des vols et des crimes d'une hardiesse incroyable et d'une férocité épouvantable, sa tête avait été mise à prix. Depuis, Petit-Jacques vivait dans une défiance maladive qui le faisait craindre même de ses compagnons les plus proches. De fait, il s'était débarrassé de ses premiers complices et, désormais, aucun des hommes de sa bande ne connaissait son visage ni le lieu de sa demeure. Il les réunissait à la Carpe d'Argent où, à la faveur des ténèbres, généralement masqué de cuir, il préparait les expéditions sanglantes du lendemain, assignant à chacun son rôle. C'est là aussi qu'il réglait le sort des traîtres. Ceux qu'il suspectait d'infidélité, il ne les tuait pas d'un simple coup de poignard avant de les jeter à la rivière, non, il prenait plaisir à les démembrer et à les écorcher devant ses complices afin de les terroriser.
*
Le dimanche 9 avril, quelques jours après sa première visite, Mondreville retourna à la Carpe d'Argent, toujours accompagné de Nardi et de Gramucci. Cette fois les deux Italiens entrèrent dans le cabaret. Prévenu quelques jours plus tôt par un billet, Petit-Jacques les reçut en présence de ses deux lieutenants. Comme la fois précédente, il arborait le masque de cuir couvrant son front, son nez et une partie de ses joues.
Les présentations furent brèves. Chacun savait que, dans ce genre d'affaire, mieux valait en dire le moins possible. Mondreville montra Petit-Jacques et celui-ci désigna ses complices. Nardi et Gramucci dévoilèrent seulement leur nom.
Le soir de la première venue de Mondreville à la Carpe d'Argent, Petit-Jacques l'avait fait suivre par un de ses hommes. Son visiteur était accompagné de deux bravi, certainement pas des serviteurs comme il l'avait affirmé. Ils s'étaient séparés à Vernon où son espion avait suivi seulement Mondreville jusqu'à la maison à pans de bois où il logeait, près de Notre-Dame.
Nardi et Gramucci étaient certainement les deux bravi, jugea Petit-Jacques en les examinant. En somme, les Italiens étaient les instigateurs du vol et non de vulgaires truands. En pourpoint noir comme en portaient les hommes de loi, mais avec une lourde rapière à leur baudrier, ils ne pouvaient être que de ces aventuriers transalpins prétendus aussi nombreux à la cour de France que les puces dans un lit. Sans doute des proches du maréchal d'Ancre, ce qui expliquait qu'ils soient si bien informés.
Balthazar Nardi prit la parole afin d'expliquer que le transport de la recette du receveur général venait de partir de Rouen : deux cents sacs de pièces d'or placés dans vingt caisses de bois.
— La gabarre halée sera ce soir au péage des Andelys et demain à Vernon où les caisses seront mises à l'abri pour la nuit dans le château des Tourelles. De là, le transport repartira avant le lever du jour vers Mantes. Ce sera une étape de dix lieues qui prendra une longue journée.
— Montez dans ma barque ! ordonna à brûle-pourpoint Petit-Jacques en désignant une nacelle à clin amarrée devant le cabinet où ils s'étaient réunis. Je vais vous conduire à l'endroit où j'ai prévu de saisir le chargement.
Ils s'exécutèrent, bien que Mondreville ne fût pas rassuré. Les deux compagnons de Petit-Jacques ramèrent jusqu'à un faux bras de la Seine, entre le château de la Roche-Guyon et le hameau de Moisson, bien après le péage de la Roche-Guyon.
— Dans le sens du courant et avec le vent dans le dos, ma barque fondra en un éclair sur celle du receveur, assura Petit-Jacques. Nous nous en emparerons, puis nous prendrons l'autre extrémité du bras mort pour aborder près de cet herbage.
Il désigna l'endroit et les deux rameurs y conduisirent la nacelle en passant adroitement entre les bancs de sable.
— Des chariots devront attendre là, déclara le voleur en montrant le point d'accostage.
Nardi assura qu'il s'en occuperait.
— Nous n'aurons pas beaucoup de temps pour sortir les caisses. Ensuite, moi et mes compagnons rebrousserons chemin de manière à ce que les gens d'armes de l'escorte, sur l'autre rive, soient persuadés que nous fuyons avec le butin.
Ne s'attendant pas à cette proposition, Gramucci fronça imperceptiblement les sourcils.
— À moins qu'il ne change de direction, vous aurez le vent de travers, objecta alors Nardi. Ce ne sera pas facile de sortir du chenal.
— Soyez sans souci, j'y parviendrai. C'est un service que je vous rends. Un service gratuit : si les officiers qui commandent le convoi voient ma barque repasser, ils ne feront pas de recherches sur la rive droite et vous aurez le temps de disparaître. De mon côté, j'accosterai deux lieues plus bas où des chevaux nous attendront. Nous abandonnerons la barque, mais comme nous ne nous reverrons pas, je veux mes cinq mille pistoles à l'instant où je vous quitterai.
Ainsi, nous devrons te laisser partir ! songea Gramucci.
— La part fera un poids considérable, remarqua Nardi.
— Je me débrouillerai avec Gueule-Noire et Fouille-Poche.
— Comme vous voulez, décida finalement Gramucci d'une voix égale. Les vingt caisses du chargement représentent un million de livres, vous n'aurez qu'à en garder une. Elles pèseront toutes le même poids.
— Je la choisirai, décida Petit-Jacques, décidément méfiant.
*
Descendus à terre, Nardi et Gramucci explorèrent un moment la rive. Assurément, l'endroit était bien choisi puisque sans habitation à proximité, sinon le château de la Roche-Guyon, assez loin, et la maison du passeur, un peu plus bas sur l'autre rive. On apercevait son bac sur la rivière.
Les alentours se composant de prairies et bois habités par les lapins, il serait facile d'y dissimuler les chariots. Enfin, un chemin plus haut permettrait de gagner Meulan, puis Paris en deux ou trois jours.
Restait le problème Petit-Jacques. Les Italiens avaient prévu de s'en débarrasser, mais en proposant d'attirer les gens de l'escorte sur sa piste, le bandit se rendait indispensable. Ce truand se montrait encore plus adroit qu'ils ne l'avaient pensé, jugèrent-ils.
*
Le lendemain, Mondreville se rendit à l'abreuvoir de Moisson. Gramucci et Nardi le rejoignirent peu après, venant par le chemin de halage. Petit-Jacques leur avait dit qu'il apparaîtrait vers midi. Ce serait suffisant, car le convoi n'arriverait pas dans cette boucle de la Seine avant trois heures.
Les deux Italiens expliquèrent avoir assisté au rassemblement des mousquetaires de l'escorte, bien avant l'aurore, puis qu'ils avaient conduit deux chariots à l'endroit où la barque accosterait. Cela leur avait pris quatre heures. Ensuite, avec leurs chevaux, ils avaient traversé la Seine dans le bac de la Roche-Guyon. Arrivés sur l'autre rive, ils avaient garrotté le passeur et percé sa barque à l'aide d'une hache. Ils lui avaient cependant laissé le prix du péage : trois deniers chacun et six pour les chevaux. L'homme se souviendrait sûrement d'eux, mais comme ils portaient des sayons de marinier et avaient rasé leur élégante barbe en pointe, ils ne seraient en rien identifiables. Quant à leurs montures, de pauvres rossinantes procurées à Rouen, elles seraient laissées sur place ainsi que le cheval de Mondreville, acheté aussi pour l'occasion. Des bêtes abandonnées qui feraient le bonheur d'un laboureur.
Ils détachèrent les sacoches des selles dans lesquelles ils avaient mis pistolets à rouet, dagues et un peu de nourriture. En attendant Petit-Jacques, ils mangèrent et vidèrent leur gourde en silence. Mondreville, lui, mourait d'inquiétude.
Vers une heure, venant de Mantes, le trio aperçut une gribane gréée d'une voile rouge à la vergue manœuvrée par un rocambeau coulissant le long du mât. À sa proue, un foc haubané sur un bout-dehors facilitait les manœuvres et augmentait la vitesse. Une nacelle, encordée, suivait. Barrée par Petit-Jacques, la barque se glissa avec grâce dans un bras mort de la rivière, sur l'autre rive, et accosta le long d'un grand banc de sable couvert d'aulnes et de saules blancs.
Gueule-Noire sauta dans la nacelle, la détacha et traversa le fleuve à la rame pour venir les chercher.
Quand ils atteignirent la gribane, ils découvrirent Petit-Jacques sans masque. Mondreville fut surpris et déçu. Le visage du brigand se révélait quelconque, sinon un nez trop busqué. Il se serait attendu à une figure autrement inquiétante, compte tenu de sa réputation de cruauté.
— Vous nous faites donc confiance pour ne plus porter votre loup de cuir ? ironisa Nardi.
— Ne soyez pas stupide ! Si je restais masqué en m'approchant de la gabarre, l'alerte serait immédiatement donnée. Or, après le vol, nous ne nous reverrons plus. Quant à Gueule-Noire, Fouille-Poche et Mondreville, ils savent ce qui leur en coûterait s'ils envisageaient de me dénoncer.
Les deux Italiens échangèrent un sourire de connivence, tandis que Mondreville se demandait s'il devait être honoré ou terrorisé de la confiance du détrousseur.
Tous n'avaient plus qu'à patienter. Cachée par le banc de sable, la barquette était invisible de l'aval du fleuve, tandis qu'ils bénéficiaient d'une vue de la rivière jusqu'au château de la Roche-Guyon. Durant l'attente, les gens de Concini conversèrent dans leur langue. Gueule-Noire taillait, lui, inlassablement un morceau de bois, tandis que son compagnon sommeillait. Petit-Jacques demeura donc avec Mondreville. Le voleur avait apporté plusieurs arbalètes et expliqua au commis des tailles, un sourire pervers aux lèvres, à quoi elles allaient servir.
Voile dressée, quelques foncets4 descendaient le fleuve mais aucune barque halée ne le remontait. Afin d'éviter de mauvaises surprises, le prévôt des maréchaux et le vicomte de l'Eau avaient interdit les passages sur le chemin de halage depuis le péage de Vernon jusqu'à Mantes, leur avait appris Nardi.
Trois heures s'étaient écoulées quand ils aperçurent les premiers soldats, puis la troupe entière, et enfin les mulets qui tiraient une petite gabarre à fond plat en forme de navette. Gueule-Noire et Fouille-Poche hissèrent alors la voile, tandis que Petit-Jacques prenait la barre. Chacun savait désormais ce qu'il avait à faire.
Ayant abandonné la nacelle, la gribane reprit avec élégance le cours du fleuve et passa tout près des premiers soldats que Gramucci salua de grands signes amicaux. L'embarcation se précipitant à toute vitesse vers la barque de transport de la recette, à quelques toises, Gueule-Noire, Fouille-Poche et les deux Italiens levèrent les arbalètes, jusque-là dissimulées, et tirèrent sur les mariniers et les gardes. Arrivant droit sur eux, ils ne pouvaient les manquer. Presque au même instant, les deux barques furent bord à bord et les corsaires d'eau douce sautèrent dans la gabarre. Un homme avait échappé aux tirs d'arbalète mais, avant qu'il n'ait pu réagir, Gueule-Noire le frappait avec sa hache, tandis que Fouille-Poche tranchait les câbles de halage. En même temps, Nardi attachait une corde dont l'autre bout était déjà noué à la gribane.
L'amarrage étant fait, Petit-Jacques donna un brusque coup de gouvernail. La gribane reprit le vent, dérapa un moment à cause de sa nouvelle charge et de la faiblesse de sa quille, mais entraîna quand même la barque capturée vers le chenal du petit bras de la Seine, en aval de l'îlot sableux où elle s'était dissimulée.
L'assaut n'avait pas duré une minute.
Les premiers coups de pistolets éclatèrent tandis que les flibustiers jetaient à l'eau les cadavres des bateliers et des gardes. Quelques sergents de l'escorte venaient de comprendre qu'ils avaient eu affaire à d'audacieux voleurs, mais leurs armes se révélaient trop imprécises à cette distance. Le temps qu'ils installent les mousquets sur les fourquines, les barques avaient déjà atteint le bras mort de la rivière et étaient devenues invisibles.
À nouveau, Petit-Jacques manœuvra avec une habileté diabolique. Il connaissait chaque banc de sable et savait jusqu'où la barque pouvait le porter avec le vent de travers. Affolant canards et cygnes qui nageaient paresseusement entre les feuilles de nénuphars et les roseaux, il parvint à faire virer la gribane exactement à l'endroit où les deux chariots attendaient, près d'un talus caillouteux, dissimulés par un épais taillis.
Aussitôt, Petit-Jacques affala la voile. Gueule-Noire et Fouille-Poche sautèrent dans l'eau pour amarrer l'embarcation à un saule, tandis que Mondreville et Petit-Jacques montaient dans la gabarre. Immédiatement, ils commencèrent à faire passer les lourdes caisses aux deux Italiens déjà sur la rive.
Le déchargement fut rapide. Il ne restait plus que trois transferts quand Gramucci bouscula Gueule-Noire. Déséquilibré par la caisse qu'il portait, celui-ci trébucha. Aussitôt l'Italien le poignarda de sa dague. Le voyant faire, Fouille-Poche comprit qu'on allait aussi l'occire. Il se précipita vers Petit-Jacques pour qu'ils s'entraident, mais Mondreville lui fit un croche-pied et le voleur tomba. Voyant que Mondreville hésitait à jouer du couteau, Petit-Jacques réagit, se jeta sur son complice et enfonça son poignard dans sa nuque, murmurant seulement :
— Désolé, compaing !
Immédiatement, le brigand courut à la gribane où il se saisit d'un pistolet à rouet caché sous un banc. Nardi, aux voitures, n'eut pas le temps de l'en empêcher et écarta seulement les mains en signe de d'impuissance.
— Vous ne risquez rien avec nous, Petit-Jacques, nous n'avons qu'une parole ! fit-il, inquiet que l'autre ne tire.
— Bien sûr ! Et l'exécution de Gueule-Noire serait une erreur ? Je vous laisse terminer sans moi, ironisa le voleur. Portez-moi une caisse comme convenu et coupez l'amarre. Je vous conseille de couler la gabarre avec quelques coups de hache et des pierres au fond.
Ayant obtenu un accord muet de Nardi, Mondreville et Gramucci obtempérèrent, puis coupèrent l'attache. Déjà, Petit-Jacques avait levé la voile et repris le courant. Il disparut vers la Seine en quelques minutes.
Les Italiens, peu émus de ce revers et du plan prévu raté, chargèrent les deux dernières caisses, puis brisèrent le fond de la gabarre qui, chargée de rochers, coula rapidement. Ils dissimulèrent aussi les deux corps dans un fourré. Agissant dans un brouillard de terreur, le commis de la taille, persuadé que les deux Italiens allaient se débarrasser de lui à tout instant, ne disait mot. Pourtant, ils n'en firent rien. Sans doute avaient-ils encore besoin de son aide.
Nardi lui fit signe de monter à son côté et les chariots s'ébranlèrent.
Au début, Mondreville n'ouvrit pas la bouche, persuadé que le fait de rester silencieux n'attirerait pas l'attention. Par moments il regardait l'Italien qui tenait les rênes, mais le visage de l'homme de Concini restait impénétrable.
Au bout d'une heure Nardi lui demanda d'un ton inquiet :
— Tu penses qu'on sera à Vertheuil dans une heure ?
— Certainement, monsieur. Je connais cette route.
— Maintenant, ils ont dû retrouver la barque de Petit-Jacques vide. Si des mousquetaires de l'escorte ont traversé la Seine pour chercher la gabarre, ils ont dû repérer nos traces. Nous pourrions les avoir à nos trousses sous peu.
— Je suis plus optimiste que vous, monsieur Nardi. Je sais comment fonctionne la voiture des deniers. L'officier qui commandait l'escorte, ou le receveur qui l'accompagne, a dû prévenir en premier lieu le vicomte de Vernon et le lieutenant du vicomte de l'Eau qui a en charge les délits commis sur la rivière. Cela prendra plusieurs heures avant que les recherches ne commencent.
*
Effectivement, à Vertheuil, tout était calme, ce qui les rassura. Ils prirent donc la route de Mantes où ils arrivèrent à la nuit. Là, ils cachèrent les chariots dans un bois, tandis que Mondreville allait à pied se renseigner.
À la première auberge, il but un pot de vin et écouta les conversations. On ne parlait que du vol !
Inventant qu'il se rendait à Vertheuil, il posa des questions comme l'aurait fait n'importe quel curieux. On lui raconta la rapine et on lui dit que les brigands avaient transporté la recette des tailles dans une autre barque retrouvée échouée plus bas. Il y avait des traces de chevaux et toute la maréchaussée les recherchait sur la rive gauche.
Rassuré, il revint aux chariots. Il avait l'occasion de s'enfuir mais il commençait à faire confiance aux deux Italiens, et surtout voulait sa part. Le trio repartit aux premières lueurs du jour pour Meulan qu'il atteignit alors que la pluie commençait à tomber. Une fois franchi le vieux pont, Nardi assura à Mondreville qu'ils ne risquaient désormais plus rien tant les charrettes et les chariots se montraient nombreux à partir de là.
L'Italien semblait maintenant bien connaître la route. Ils passèrent une nouvelle nuit dans un bois, puis franchirent la Seine une seconde fois où ils payèrent un péage élevé. Comme on voulait fouiller les chariots, Nardi présenta un passeport signé de la reine et on n'insista point.
Le troisième jour, les murailles de Philippe Auguste en vue, ils se dirigèrent vers l'abbaye fortifiée de Saint-Germain-des-Prés. À cette occasion, Nardi confia à Mondreville qu'il était archiprêtre de la cathédrale de Paris, ce qui laissa pantois le commis de la taille. En même temps, cette confession le rassura : les Italiens semblaient avoir décidé de le garder avec eux. Après tout, peut-être que la promesse du maréchal d'Ancre n'était pas vaine. Les paroles de Concini résonnaient encore dans sa tête : Aimez-moi, monsieur, et je vous ferai favour.
De l'abbaye fortifiée, ils empruntèrent un chemin creusé d'ornières, bordé de vieilles maisons à pans de bois et de nouveaux hôtels en construction. C'était la ruelle du Champ-de-la-Foire, nommée ainsi à cause de la foire Saint-Germain. Depuis quelque temps, on l'appelait aussi la rue de Tournon, du nom de l'abbé de Saint-Germain-des-Prés, expliqua Nardi. Mais où le conduisaient-ils ainsi ?