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Quand il devait être présent au Louvre le matin, le maréchal passait la nuit dans un petit hôtel sur la rive de la Seine, près des murailles de l'enclos du château. Il accordait alors toujours une première visite à la reine mère, afin de lui rendre ses hommages.
Le dimanche 23, contrairement à son habitude, Concini vint plus tôt que prévu au Louvre. À ce moment-là, Louis XIII était à la messe. Si l'affaire échouait, il n'aurait donc pas le temps de fuir dans le carrosse qui l'attendait au bout de la galerie du Louvre ; aussi l'arrestation fut-elle repoussée au lendemain.
Le lundi, le roi fut prêt de bonne heure et resta dans sa chambre. Le temps était gris. Vitry avait placé ses hommes dans la cour du palais. Vers dix heures, vêtu de velours gris et avec des galoches aux pieds – il avait plu toute la nuit –, le maréchal d'Ancre sortit de son hôtel entouré de cinquante gentilshommes et longea les murailles du petit jeu de paume. En se dirigeant vers le pont dormant, il lisait une lettre.
Vitry, dans la cour du Louvre, vit le groupe arriver mais n'aperçut pas Concini. Inquiet, il demanda à ses amis :
— Où est monsieur le maréchal ?
— Le voilà qui lit une lettre ! répliqua l'un d'eux, dressé sur une borne.
Au moment où le maréchal d'Ancre passait la grande porte du pont dormant, un signal fut donné et la porte refermée derrière lui. Vitry s'avança alors avec ses archers et quelques gardes, dissimulant des pistolets sous leurs manteaux.
Rejoignant Concini entre le pont-levis et le pont dormant, il écarta les fidèles de l'Italien et lui énonça, en présentant son bâton de commandement :
— Monsieur, le roi m'a commandé de me saisir de vous.
Stupéfait, le maréchal s'arrêta sur place.
— A me ? dit-il en Italien.
En même temps, il porta la main sur son épée, peut-être pour la rendre, plus certainement pour la tirer.
— Oui, à vous.
Aussitôt, trois hommes de la garde vidèrent leurs pistolets sur l'Italien. Une balle atteignit Concini au cœur, l'autre à la tête et la dernière dans le bas-ventre. L'homme le plus puissant de France tomba sur le parapet du pont. Un autre archer lui porta alors un coup de hallebarde dans le côté et les suivants, extrayant leurs épées, le percèrent à l'envi. Lorsque le cadavre s'effondra sur le sol, Vitry lui envoya un coup de pied en criant :
— C'est par ordre du roi !
Ces simples mots firent tomber les armes des mains de ceux qui accompagnaient le favori, tous se dispersant rapidement, comprenant qu'ils avaient intérêt à disparaître. Aucun gentilhomme de Concini ne se mit même en devoir de le venger, à l'exception de M. de Saint-Georges qui fit mine de sortir son épée. Mais voyant les autres abandonner, il suivit leur exemple.
Le corps du maréchal fut alors dépouillé par les meurtriers. L'un s'empara de son épée, un autre du diamant de grand prix qu'il avait au doigt, un dernier de son manteau brodé. Après quoi on traîna le corps dans le petit jeu de paume du Louvre où il demeura jusqu'au soir, avec comme seule oraison funèbre un écriteau sur sa poitrine : Traître au roi.
*
Le bruit des coups de pistolet avait répandu l'alarme dans le Louvre dont les portes furent fermées. Le roi, qui attendait dans son cabinet, tressaillit en entendant les détonations, puis les cris qui suivirent sans distinguer ce qui se disait. Il n'osait s'approcher des fenêtres. Heureusement, très vite, le colonel des Corses, M. d'Ornano, fils du maréchal du même nom, vint l'avertir.
— Sire, dit-il, à cette heure vous êtes roi ! Le maréchal d'Ancre est mort !
— Ça, mon épée ! Ma carabine ! s'écria Louis.
Il courut à une fenêtre pour voir. Ornano le prit alors à bras-le-corps et le souleva pour le montrer aux gentilshommes et aux gardes se trouvant dans la cour. L'apparition provoqua un tonnerre de vivats et d'applaudissements.
— Merci ! Merci à vous ! leur cria Louis avant de répéter les paroles d'Ornano : À cette heure, je suis roi !
À son tour, Vitry entra dans la chambre et expliqua n'avoir pu arrêter vif le maréchal d'Ancre, donc s'être vu obligé de le tuer. Le roi l'embrassa et lui répondit avec empressement :
— Donnez ordre que le mal ne soit tombé que sur lui.
Ce qui signifiait qu'il ne voulait ni vengeance ni massacre sur les proches de Concini.
Louis XIII commanda ensuite qu'on allât au Parlement et par la ville annoncer ce qui était arrivé et qu'on fît revenir les anciens serviteurs du roi son père, les ministres Villeroy, Jeannin, l'ancien garde des Sceaux M. du Vair et le chancelier de Sillery. Il ne prévint cependant pas Sully, que Luynes n'aimait guère, à moins qu'il ne voulût oublier avoir fait tuer quelqu'un sans jugement après une dénonciation de celui-ci.
*
Quand le tumulte du palais parvint jusqu'à l'appartement de Marie de Médicis, la reine envoya une de ses femmes s'informer de ces fracas. Celle-ci apprit de Vitry qu'il avait tué le maréchal sur ordre du roi et retourna, éperdue, auprès de sa maîtresse.
— Oh ! Madame, dit-elle, monsieur le maréchal a été tué ! Sa Majesté l'a ainsi voulu !
Marie de Médicis, éberluée, demanda immédiatement un entretien avec son fils. Mais celui-ci refusa de la recevoir. Elle découvrit alors qu'on venait de remplacer sa propre garde par celle du roi et que des ordres refusaient qu'elle puisse sortir de ses appartements.
— Poveretta di me ! s'écria-t-elle. J'ai régné sept ans, maintenant je n'aurai plus que les croix et les couronnes du ciel !
C'est alors qu'une de ses dames de compagnie lui demanda s'il ne fallait pas annoncer la funeste nouvelle à son amie la maréchale.
— J'ai bien autre chose à faire ! rétorqua-t-elle. Si on ne peut dire à la maréchale que son mari est tué, il faut le lui chanter aux oreilles ! Qu'on ne me parle plus de ces gens-là ! Je les avais prévenus qu'ils feraient bien de s'en retourner en Italie !
*
Léonora se trouvait dans son appartement du Louvre. Quand on lui annonça la mort de son mari, elle comprit qu'on allait s'en prendre à elle, peut-être la tuer. Demandant asile à la reine mère, elle essuya un refus et sombra dans une crise d'hystérie comme elle en connaissait durant ses moments d'émotion. Elle se mit à hurler, gagnée de convulsions, de hoquets et de sanglots. Lorsqu'elle s'en releva, elle s'enferma, rassembla ce qu'elle avait de plus précieux, son or, ses bijoux, ses pierreries, et même les bagues de la Couronne qu'elle avait sur elle, puis porta le tout sous son matelas et se coucha sur son trésor.
Peu après, des archers envoyés par le baron de Vitry pour l'arrêter brisèrent la porte de l'appartement et la trouvèrent feignant l'agonie. Ils la levèrent de force et découvrirent l'argent et les bijoux dont ils s'emparèrent. Pendant cette fouille, elle se cramponna aux bois du lit en hurlant des injures ; il fallut plusieurs personnes pour la maîtriser.
Sous bonne garde, on l'enferma dans une chambre haute du Louvre tandis que ses appartements étaient mis au pillage. Dans le même temps, son frère, Sébastien Galigaï, qu'elle avait fait nommer abbé de Marmoutier, se sauvait par la porte de derrière du collège de la même ville et partait chercher asile dans un monastère.
*
Ce même lundi 24 avril, Petit-Jacques et Mondreville, dans la salle des Trois-Pigeons, débattaient pour savoir s'ils restaient à Paris. Depuis la remise de leur lettre, il ne s'était rien passé. Le pli avait-il seulement été donné à Louis XIII ?
Soudain éclata un grand tumulte et un flot de gens se précipita dans la salle de l'auberge en criant :
— Aux armes ! On se bat dans le Louvre !
— Le roi est blessé ! Il faut le secourir !
Aussitôt les clients et les domestiques de l'hôtellerie se précipitèrent dehors, qui avec un bâton, qui avec un couteau, qui avec une hache.
Petit-Jacques et Mondreville, ébahis, sortirent à leur tour. Vers la porte Saint-Honoré, ce n'était qu'agitation et fracas. Ils s'approchèrent et découvrirent que les gens ne luttaient pas mais riaient, s'embrassaient et se félicitaient. Les mêmes, qui paraissaient effrayés et désespérés un peu plus tôt à l'auberge, laissaient éclater leur joie. D'autres vociféraient à pleins poumons : Vive le roi !
— Qu'est-il arrivé ? demanda Mondreville à un officier à la porte.
— Le Conchine est mort ! cracha le soldat. Le roi l'a fait tuer, il y a moins d'une heure.
— Il est mort ! Exécuté ! Enfin ! Vive notre roi ! se réjouissait-on alentour.
Résolu d'en savoir plus, le duo se pressa vers le Louvre par la rue Saint-Nicaise, envahie de toute une populace bavarde éructant de joie.
— Concini est mort ! lançait l'un.
— Le roi a fait égorger l'Italien ! criait l'autre.
— Venez, on va piller ses maisons ! proposa un dernier.
La troupe suivit la vieille muraille de Charles VI puis longea la Grande Galerie jusqu'à la porte de la rue Fromenteau. Ici aussi, ce n'était que joie et vivats.
Devant le pont-levis, un régiment de gardes avait pris position. Personne ne pouvait passer mais les officiers, bons enfants, expliquèrent que le roi, lassé des insolences du maréchal d'Ancre et connaissant les pillages de l'État auquel il s'était livré, avait décidé son arrestation. Celle-ci avait été faite par M. de Vitry, son capitaine des gardes, mais Concini ne se laissant pas prendre, avait été tué. Chacun vantait le coup de maître de Louis XIII, comme si le jeune monarque avait réalisé la plus belle action du monde. On lui donnait déjà le surnom de Louis leJuste.
Petit-Jacques et Mondreville en savaient assez. Leur stratagème avait réussi au-delà de toute espérance ! Mais que devaient-ils faire maintenant ?
— Le peuple va piller les maisons du maréchal et de ses suppôts, crois-tu qu'on sache que celle du chevalier du Valois lui appartient ? demanda Petit-Jacques, qui tutoyait désormais Mondreville.
— Je l'ignore, le mieux est d'y aller.
Les compères revinrent à l'auberge, prirent leurs chevaux et empruntèrent la rue Saint-Honoré, noire de monde. Il y avait déjà des pillages partout. Dans les maisons désignées comme appartenant à des amis de Concini, la foule brisait les portes et jetait les meubles par les fenêtres. Ils virent des gens battus, piétinés et quelques-uns pendus.
Ils prirent par la rue des Poulies et débouchèrent sur le pont Neuf. Comme toute la ville retentissait d'acclamations, une délégation du Parlement arrivait en procession par la rue de Saint-Germain-l'Auxerrois. Plus loin, suivait le corps municipal. Chacun allait féliciter le roi.
Au même moment, des corps meurtris et battus étaient traînés par la foule en ivresse et jetés en Seine. Nombreux étaient ceux pris à partie. Les gibets que Concini avait dressés pour effrayer les mécontents se couvraient des corps des propres serviteurs du maréchal.
*
Au Louvre, certains ministres furent arrêtés et conduits au For-l'Évêque ou à la Bastille. D'autres s'enfuirent. Le seul faisant preuve de courage fut l'évêque de Luçon1, qui, protégé par la reine mère, était entré au Conseil l'année précédente. Quand Armand du Plessis apprit la mort de Concini, il s'efforça de résister à l'orage et se présenta au Louvre.
Louis XIII n'avait pas encore pris la mesure de son succès. Le danger qu'il s'imaginait avoir couru était encore dans son esprit, quand il aperçut Richelieu. Après un premier mouvement d'humeur où il lui déclara être enfin délivré de sa tyrannie, Louis XIII lui dit plus aimablement qu'il le savait étranger aux mauvais desseins du maréchal d'Ancre. Luynes appuya cette mansuétude et Richelieu crut un moment qu'il resterait ministre. Mais il n'en fut rien et le prélat comprit qu'il n'avait plus sa place au Louvre.
1 Rappelons qu'il s'agit d'Armand du Plessis de Richelieu, le futur cardinal.