13
Rue du Pas-de-la-Mule, la boutique de Ganducci était plus souvent tenue par un commis que par le gantier parfumeur. Ceux qui cherchaient Alberto Fenicci (nom sous lequel on le connaissait dans le quartier) le trouvaient surtout là où il pouvait laisser traîner ses oreilles et surprendre des indiscrétions transmises ensuite à Ondedei et Mazarin.
Le 1er août, après avoir écouté, sur la place Royale, une intéressante conversation entre l'épouse d'un traitant et la maîtresse d'un échevin, Ganducci se rendit à la Fosse aux Lyons pour se désaltérer d'un clairet de Montmartre bien frais, tant la chaleur se révélait insupportable.
Le cabaret était surtout fréquenté par des gens de plume et des pamphlétaires. L'endroit avait longtemps abrité la Confrérie des bouteilles, association d'écrivains libres-penseurs dont Vincent Voiture constituait l'un des membres les plus éminents. Du vivant de Voiture, on n'y voyait pas Ganducci, car le poète connaissait ses activités douteuses auprès du cardinal. Désormais, le poète étant mort l'année précédente, les seuls qui auraient pu le démasquer étaient l'abbé Ménage1 et le baron de Blot. Mais avec les troubles de la fronderie, le secrétaire du coadjuteur Paul de Gondi n'avait plus le temps d'aller au cabaret et Blot, auteur des plus violentes mazarinades, ne prenait pas le risque de s'y montrer.
Obscure, la salle était enfumée à la fois par la cheminée, dans laquelle un feu brûlait quelle que soit la saison, et par la fumée des pipes des clients. La Coiffier, maîtresse des lieux, imposait le souper à prix fixe avec un repas à six pistoles. Malgré ce tarif élevé, le cabaret ne désemplissait pas au moment du souper.
*
Pour l'instant – il était encore tôt –, il n'y avait que quelques buveurs faisant un vacarme infernal, chantant et s'interpellant à qui mieux mieux.
Ses yeux accoutumés à l'obscurité, Ganducci balaya la salle du regard et retint un sourire satisfait en découvrant Canto, Pichon et Sociendo attablés dans un coin. Depuis trois jours, il les cherchait.
Canto, seigneur de La Cornette, n'avait pas le teint sombre et le corps trapu qu'ont souvent les montagnards béarnais. Bien au contraire, s'il possédait la musculature puissante des Gascons, il était d'une belle taille. Son visage aux plis marqués, au nez mince, à la moustache et à la barbe piquées de gris, n'aurait pas attiré l'attention s'il n'avait eu le regard sinistre qu'affichent ceux qui prennent plaisir à faire le mal. Vêtu d'un grossier habit de drap lie-de-vin avec un baudrier de buffle élimé soutenant une lourde rapière à poignée de cuivre, il était coiffé d'un vieux feutre à plumes de coq et chaussé de bottes à revers, souillées et décousues.
Son voisin et ami, Pichon, seigneur de La Charbonnière, était aussi grand que lui avec un visage long et osseux surmonté d'une tignasse paille mal frisée. Ses joues fardées, sa moustache relevée au fer, ses lèvres passées au rouge, lui donnaient une vague allure bienveillante, renforcée par un sourire inspirant confiance. Comme Canto, il portait une brette sur un pourpoint de taffetas vert reprisé à plusieurs places.
Quant à Sociendo, avec son poil noir, son corps replet, sa crinière frisée en couronne sur son crâne chauve et son nez camus, il donnait l'impression d'une imitation ratée du coadjuteur Paul de Gondi. Attifé d'un simple habit de drap noir avec petit bonnet, il aurait pu passer pour un avocat ou un procureur s'il n'avait eu les doigts vulgairement couverts de bagues dorées aux pierres multicolores.
Piétinant la paille couvrant le sol, contournant les chiens qui sommeillaient et évitant de heurter de la tête les lièvres pendus aux poutres, Ganducci se dirigea lentement vers eux, l'oreille aux aguets sur ce qui se disait autour des tables. Comme toujours, les conversations les plus animées portaient sur les impôts iniques et les méfaits du Sicilien.
— Monsieur Fenicci ! l'interpella Canto quand il l'aperçut. Nous parlions justement de vous !
— De moi ? répliqua Ganducci, simulant la surprise.
Il s'approcha, tout souriant.
— Vous vous souvenez nous avoir parlé de ces gens qui avaient volé les recettes d'un trésorier, en Picardie ? Vous ne nous avez pas dit ce qu'ils sont devenus…
— À dire vrai, je n'en sais rien ! répondit Ganducci en s'asseyant avec eux. (Ils n'étaient que trois à leur table.) Comme je vous l'ai raconté, c'est un ami à moi qui m'a narré cette histoire, lors d'un souper. Il est commis aux Aides et il connaît d'incroyables affaires de larronnage dont on ne parle jamais. Mais comme les voleurs n'ont pas été pris, je suppose qu'ils ont tout dépensé en garces et en vin !
» Heureux hommes ! ajouta-t-il après un bref silence.
Puis, élevant la voix pour surmonter le tumulte qui régnait, il héla La Coiffier2 et réclama du vin bien frais.
— Savez-vous que j'ai appris une histoire bien plus extravagante ! chuchota-t-il ensuite, le sourire aux lèvres, se penchant vers ses compagnons pour que leurs voisins ne l'entendent pas.
— De voleurs ? s'enquit Sociendo, avec le même ton de conspirateur.
— Oui. Cela s'est passé il y a trente ans.
— Une vieille histoire ! laissa tomber Pichon, marquant son désintérêt.
— On peut le dire ! C'est Luynes qui a étouffé l'affaire. C'est pour cela que personne n'en a rien su, sauf le président de la Cour des aides.
— Luynes ? Le grand fauconnier ?
— Oui.
— Ça remontre à loin ! ricana Pichon. Pourquoi pas Henri IV ?
Sociendo parut aussi se désintéresser de ce que disait Ganducci et lorgna vers deux garces aux tétins laiteux qui venaient d'entrer au bras d'un gentilhomme.
— Savez-vous combien on a volé ? demanda le gantier.
Sans attendre de réponse, il poursuivit :
— Un million de livres, compères !
— Un… balbutia Pichon, éberlué.
— C'était la recette générale des tailles de Normandie, expliqua Ganducci.
Canto, qui se disait seigneur de La Cornette, mais qui n'avait été qu'estafier chez le traitant La Rallière, intervint en haussant les épaules.
— On ne transporte jamais une pareille somme ! Je le sais ! fit-il. Je connais bien les transports de recette.
— Savez-vous qui était le voleur ? demanda narquoisement Ganducci.
Devant les regards négatifs, il articula lentement :
— Con-ci-no-Con-ci-ni.
— Pas possible ! s'exclama Pichon.
— Le maréchal d'Ancre était alors gouverneur de Normandie. Il avait besoin de un million, soit pour fuir, soit pour lever une armée contre le roi, peu importe. Il a donc décidé de faire transporter la totalité des tailles sur une barque et uniquement en or. Puis de les voler.
— Sur la Seine ? s'enquit Sociendo, brusquement intrigué.
Son changement d'attitude n'échappa pas à Ganducci.
— Oui, en gabarre. En même temps, il s'assurait de la complicité d'un nommé Petit-Jacques, un bandit qui volait les transports de marchandises sur la Seine. Dans un méandre, entre le château de la Roche-Guyon et Moisson, au moment où les haleurs et la troupe d'escorte étaient le plus fatigués, Petit-Jacques a fondu sur la gabarre avec une barque à voile. Ses complices ont tué les bateliers et arrimé la gabarre à leur barque. Ensuite, poussés par le vent et le courant, ils ont abordé l'autre rive où les attendaient des chevaux.
En racontant l'affaire, Ganducci la mimait avec les mains, comme tout Italien qui se respecte.
— Splendide ! s'exclama Sociendo.
— Mais Concini est mort, objecta Pichon. Qu'est devenu l'or ?
— Cela s'est passé une semaine avant qu'il ne soit tué sur le pont du Louvre. Probablement, Luynes a trouvé l'or rapiné et l'a gardé. Voilà pourquoi rien n'a filtré ! conclut Ganducci en vidant sa chopine de vin d'un air satisfait.
— Comment votre ami a-t-il su tout ça ? s'enquit Canto avec une ombre de méfiance.
— Il a trouvé un mémoire sur ce vol des tailles en rangeant de vieux dossiers.
Le silence s'installa entre eux. Le cruchon de vin passa de main en main et chacun remplit son pot.
Au bout d'un moment, Ganducci ajouta, après avoir claqué la langue afin d'afficher sa satisfaction :
— J'ai plus, compères…
— Quoi donc ? demanda Sociendo.
— Avec la guerre civile, il n'y a pas eu de transport des recettes de la taille depuis neuf mois en Normandie. Aussi le Sicilien a-t-il ordonné à Mgr de Longueville d'en préparer un rapidement. Et comme ce sera une importante somme, le convoi se fera par la Seine.
Une nouvelle fois, le silence se fit, tandis que les brouhahas et les chants d'ivrognes s'affichaient de plus en plus bruyants dans la salle.
— Il y aurait combien ? s'enquit enfin Pichon.
— Je ne sais trop, mais mon ami m'a parlé de… deux millions…
À cette somme, chacun comprit qu'ils étaient sur le point de se lier par un pacte tacite. Un pacte de voleurs.
Ce fut Pichon qui formalisa l'accord.
— Que proposez-vous ? demanda-t-il à voix basse.
— Mon ami peut savoir le jour du départ du convoi, depuis Rouen. Ce sera en septembre ou en octobre. Il aura aussi d'autres détails, comme l'effectif de l'escorte. Si vous en êtes, nous partagerons en cinq.
— Quelle sera votre partie ? demanda agressivement Canto.
— J'amène l'affaire ! répliqua Ganducci d'un ton d'évidence.
— C'est tout ?
— C'est tout, c'est-à-dire que c'est la totalité ! Mais vous-mêmes, seriez-vous vous capables de faire ce qu'a réussi ce Petit-Jacques ?
— Peut-être, répondit Sociendo. Il faudrait que nous allions là-bas. Que nous étudiions la rivière. Je n'ai jamais navigué sur la Seine.
— Qu'est devenu ce Petit-Jacques ? demanda Canto.
— Disparu ! En revanche, il avait un complice, un nommé Mondreville. Je n'en sais pas plus, mais il existe un village de Mondreville…
— Je connais ! le coupa Pichon.
— Le seigneur de Mondreville s'appelle Jacques Mondreville. Il est aussi lieutenant du prévôt des maréchaux de Rouen.
— Ce serait lui le complice de Petit-Jacques, un prévôt ? interrogea Canto, surpris.
— Je l'ignore, mais pourquoi pas ? Il semble riche. À vous de le découvrir.
— Quel intérêt ? s'enquit Pichon.
— Je ne sais pas grand-chose sur la façon dont le vol s'est passé. Retrouver un de ceux qui y ont participé serait commode pour la suite.
— Sans doute, reconnut Sociendo, songeur. Cela m'aiderait. Comment voyez-vous les choses ?
— Vous préparez tout, éventuellement vous mettez Mondreville dans le coup, si c'est lui le complice de Petit-Jacques. Quand je saurai les dates de départ du convoi, je vous les donnerai. Moi et mon ami participerons à l'entreprise. Le partage aura lieu immédiatement après.
— Mais si ce Mondreville est avec nous, cela fera six parts, remarqua Pichon.
— On verra ! sourit Ganducci.
Il se leva.
— Quand vous serez prêts, portez un mot à ma boutique…
*
Après son départ, les trois restèrent silencieux un moment.
— Quatre cent mille livres ! dit finalement Pichon. Voilà qui arrangera bien mes affaires.
— Les miennes aussi, grimaça Canto. Je n'aurai bientôt plus de quoi payer mon loyer.
— Il faudra trouver une barque à voile assez grosse et bien manœuvrable, remarqua Sociendo, l'air soucieux.
— Où ?
— Je ne vois qu'à Rouen pour avoir suffisamment de choix, mais ce sera cher.
— Combien ?
— Faire fabriquer une nacelle à clin d'une bonne taille coûtera au moins cent livres et prendra trois semaines.
Il réfléchit un instant avant d'ajouter.
— On peut en trouver une d'occasion entre trente et cinquante livres tournois.
— On ne les a pas.
— Peut-être Fenicci pourra-t-il nous prêter l'argent ?
— Je lui en parlerai, promit Pichon. Dans l'immédiat, il faut aller là-bas, repérer les lieux et interroger les gens pour savoir si quelqu'un se souvient de ce vol.
— On nous remarquera si nous restons longtemps dans une auberge.
— Ces auberges sont pleines de faux sauniers3 ! Personne ne demande rien à personne. Je me ferai passer pour un marchand de Bordeaux qui attend un convoi de marchandises, suggéra Sociendo. Vous serez des gentilshommes de mes amis qui m'accompagnent.
— Ça devrait être suffisant, reconnut Pichon. Nous irons donc là-bas comme des gentilshommes, d'ailleurs personne ne nous y connaît.
— Reste le partage… laissa tomber Canto.
— Nous en reparlerons, compère, car il serait injuste que Fenicci et son ami aient la même part que nous qui ferons tout le travail. Nous réglerons ça à la fin.
Sociendo hocha la tête en souriant.
*
À Tilly, Gaston retrouva la maison de son enfance quasiment déserte. Depuis qu'il était parti pour le collège de Clermont, il n'y était que rarement retourné. Peut-être quatre fois en vingt-cinq ans. Il n'avait que de très vagues souvenirs de ses parents, n'arrivant plus depuis longtemps à retrouver le visage de sa mère dont il n'avait aucun portrait. Celui de son père était un peu plus précis, peut-être parce qu'il lui ressemblait.
Seuls une cuisinière âgée et son cousin, presque aussi vieux qu'elle, qui s'occupait des jardins, habitaient la bâtisse sale, sinistre, morte. Comme son passé. L'endroit avait été la maison du bonheur, mais désormais elle devenait celle des épreuves. Avec la mort de son oncle, son enfance avait disparu.
Il erra longuement de pièce en pièce, d'un étage à l'autre. Le cabinet sans fenêtre qui lui servait de chambre était resté le même. Il aperçut un livre sur le lit de bois aux rideaux poussiéreux ; l'abécédaire avec lequel il avait appris à lire. Il ouvrit le vieux coffre où il mettait ses vêtements. Celui-ci était vide, sauf une épée de bois fabriquée par son oncle. Les yeux dans le vague, il se revit, courant dans la cour avec la miséricorde en main, menaçant pour rire le palefrenier qui ne voulait pas le laisser monter à cheval.
La maison appartenait aux Tilly depuis toujours. Perpétuellement sombre avec ses épaisses grilles aux minuscules ouvertures du premier étage et ses volets clos au second, elle était peu plaisante à habiter. De plus, le toit était percé en plusieurs endroits. Seulement, c'était désormais sa maison. Il devrait la remettre en état, la rendre habitable pour Armande. Où trouverait-il l'argent ? Il songea à en parler au notaire, quand il irait le voir.
Il se rendit à l'église et lui qui ne priait jamais s'agenouilla sur la dalle qui recouvrait ses parents. Son oncle et son frère n'étaient pas très loin, ainsi que ses autres ancêtres. Tout près du chœur, il restait de la place pour lui, lui dit le curé en un sourire qui se voulait chaleureux.
Quand Gaston revint dans la grande maison, son énergie était réapparue. Il avait interrogé la cuisinière présente le jour de la mort de ses parents. Elle lui avait raconté ce dont elle se souvenait, mais son témoignage ne lui apportait rien. Le vieux sergent, que son oncle citait dans sa lettre, était mort l'année précédente. Quant à son fils, qui avait été au service de Mondreville, il avait quitté le pays. Il ne serait pas facile de retrouver des témoins de ce qui était arrivé trente-deux ans plus tôt.
Gaston décida de commencer par trier les courriers et les papiers de famille, mais il n'y avait pas grand-chose d'intéressant. Il s'en doutait. Pour aller plus loin, il fallait qu'il fasse ce qu'il s'était toujours refusé à faire : entrer dans la chambre de ses parents.
Après leur mort, sans savoir pourquoi, il n'y était jamais revenu. Son oncle y dormait, mais chaque fois qu'il l'avait appelé, Gaston avait refusé d'y pénétrer, même quand Hercule l'avait menacé du fouet. Car cette chambre l'effrayait. Jusqu'à présent, il s'était même dit qu'il ne voulait pas revoir l'endroit où sa mère l'avait mis au monde. Mais maintenant qu'il devait braver ses interdits, il comprenait que ce n'était pas la vraie raison. C'est là que, pour la dernière fois, il avait longuement parlé à son père.
Inspirant un grand coup, comme s'il partait à la bataille, il ouvrit la porte de l'escalier dans la tourelle et le grimpa.
*
Tout était encore comme dans ses souvenirs. Le lit à custode, l'armoire, la table de travail de son père sur laquelle reposaient deux encriers et de vieilles plumes d'oie. Un grand coffre de bois.
La tête lui tourna un instant. Il revit son père, soucieux, écrivant un mémoire. Assis sur le lit, en regardant le vieux miroir au tain constellé de craquelures, il vit un enfant parler. Les larmes lui vinrent aux yeux.
— Maman vous attend, monsieur mon père.
— J'arrive. Je range ce document et je viens.
— Quand je serai grand, j'écrirai comme vous, monsieur mon père, et moi aussi je chasserai les brigands.
— Sûrement, mon fils.
— Allez-vous ouvrir votre coffre secret, monsieur mon père ?
— Oui, je vais ranger ce mémoire.
Son regard s'égara vers l'armoire. Le coffre secret aux armes des Tilly ! Comment avait-il pu l'oublier ? Il se leva et ouvrit le meuble. Il contenait du pauvre linge. Il tira l'un des tiroirs. La clef était toujours là ; son cœur se mit à battre un peu plus fort.
Il s'arc-bouta contre l'armoire. D'abord, elle ne bougea pas, coincée par la poussière et les ans. Finalement il parvint à la faire glisser et vit le coffre dans le mur, couvert d'épaisses couches de toiles d'araignée. Il passa la main devant, chassant la poussière et révélant la devise : Nostro sanguine tinctum. Il mit la clef dans la serrure et la fit tourner difficilement. Puis il tira la porte de fer.
Tout était là. Les lettres attachées par un cordon, la centaine d'écus d'or, et le mémoire jauni. Son oncle n'avait jamais trouvé la cachette.
Il prit le document presque en tremblant et retourna s'asseoir sur le lit.
C'était une enquête de son père sur un vol des tailles royales. D'après les dates relatant les recherches, le vol avait eu lieu quelques jours avant sa mort. La somme détournée représentait un million de livres en or !
En lisant cela, Gaston eut un instant le vertige, puis il comprit qu'il venait de découvrir la raison pour laquelle on avait assassiné ses parents. Un million en or ! Bien des voleurs tueraient un prévôt pour beaucoup moins.
Il poursuivit sa lecture. Le mémoire relatait ce qu'avait fait son père les deux jours suivant le vol ainsi que l'interrogatoire d'un des voleurs, découvert mourant, tué par ses complices.
Sur un feuillet séparé, son père avait aussi écrit avoir rencontré le duc de Sully qui lui avait demandé d'aller raconter sa découverte au jeune roi. Selon lui, le vol aurait été préparé par Concini.
Concini ! Le maréchal d'Ancre, mort quelques jours après son père !
Tout était-il lié ?
Gaston conduisait des enquêtes de police depuis vingt ans. Sans avoir le talent de déduction de son ami Louis Fronsac, il savait raisonner.
Ce Balthazar Nardi, nommé par l'un des brigands, avait volé la recette des tailles pour Concini. Son père allait dénoncer l'instigateur du vol au roi. D'une façon ou d'une autre Concini l'avait appris… et l'avait fait assassiner. Puis Concini avait été tué et l'affaire était tombée dans l'oubli.
Qui aurait-il pu interroger ? Louis XIII et Sully étaient morts.
Gaston se sentait coupable. S'il avait été proche de son oncle, il aurait peut-être appris plus tôt qu'on avait tué ses parents. Et surtout, le nom du criminel !
Lorsqu'il entrait en chasse d'un scélérat, tel le sanglier auquel il ressemblait, Gaston préférait foncer, tête baissée devant les difficultés plutôt que de tenter de les contourner comme Fronsac.
Il y avait un autre nom dans le mémoire. Se pouvait-il que ce soit la même personne que celle nommée par son oncle ? Il décida de se renseigner auprès du curé. Les prêtres savaient beaucoup de choses, même en dehors de la confession. Ensuite, si nécessaire, il irait interroger ce personnage. Après tout, n'était-il pas procureur à la prévôté de l'Hôtel du roi ?
1 Secrétaire du coadjuteur Paul de Gondi.
2 Voiture était un admirateur de la tenancière, La Coiffier. Quelques années plus tôt, il avait écrit sur la Fosse aux Lyons : « Nous y chanterons jusqu'à y perdre haleine Nous y dirons mille bons mots sans peine, Car là Phébus est en son élément Et si nos vers ne coulent pas doucement, Nous en ferons d'un meilleur verre, Chez La Coiffier. »
3 Contrebandiers du sel, revendant du sel sans taxe.