23
Le carrosse s'arrêta devant la tour située au milieu du pont. La barrière était mise pour la nuit, mais Pierre Langlois se montrant, le véhicule put poursuivre jusqu'à la troisième tour de fortification.
Celle-ci franchie, la voiture tourna à gauche sur la terrasse bastionnée qui protégeait le château des inondations. Il y avait là quelques canons dirigés vers le fleuve. Passant sa tête à la portière, le prévôt ordonna aux mousquetaires de faction qu'on les laisse poursuivre. Le carrosse franchit le pont-levis qui surmontait les douves inondées et s'arrêta devant une estacade1 en bois.
Le château était constitué de quatre tours rondes, sans aucune porte au niveau du sol. Seul l'escalier de bois de cette estacade permettait d'atteindre l'entrée située au premier étage, un passage ogival fermé d'une porte bardée de plaques de fer tenues par de gros clous carrés.
En descendant de voiture, le prévôt expliqua à Louis :
— Le bas des tours est très humide et souvent inondé. Aussi les salles basses sont-elles louées comme cachots pour des seigneurs hauts justiciers.
Il désigna celle de gauche :
— C'est dans celle-ci que Mondreville loue le sien à la vicomté.
Le cœur battant en songeant que Gaston se trouvait derrière le mur, Louis s'avança. La seule ouverture était une longue meurtrière obstruée par une pièce de bois. Il cria :
— Gaston ! C'est Louis ! Je viens te sortir d'ici !
Dans un long grincement, la porte de l'étage s'ouvrit, découvrant un individu en habit sombre accompagné d'un mousquetaire en casaque.
— Monsieur le prévôt ! Quelle surprise ! fit l'homme en habit, descendant les marches avec précaution.
De petite taille, avec un visage fripé et une chevelure clairsemée, il considéra un instant Fronsac, le regard interrogatif, puis haussa un sourcil inquiet en découvrant Bauer descendant de son cheval monstrueux dans un bringuebalement de ferraille.
— Monsieur Moussel, monsieur le vicomte m'envoie : voici un ordre de libération d'un prisonnier, fit le prévôt.
— Je n'ai aucun prisonnier de monsieur le vicomte ! s'étonna le concierge.
— Qui parle du vicomte ? Je viens chercher le prisonnier de monsieur Mondreville.
— Ah !
Le visage du concierge se rembrunit. Il prit la lettre, l'ouvrit, sortit des bésicles d'une de ses poches et la lut.
— C'est très inhabituel, fit-il, embarrassé. Monsieur Mondreville le sait-il ?
— Peu importe. Conduisez-nous !
— Bien… Si ce sont les ordres de monsieur le vicomte… Venez avec moi, proposa le concierge, après une ultime hésitation.
Ils montèrent les marches de bois et franchirent le passage à la porte de fer. Derrière se déroulait un escalier en colimaçon pris dans la muraille, sombre et très étroit avec de hautes marches. Fronsac dut baisser la tête pour ne pas se cogner. Bauer devait se douter qu'il aurait du mal à passer, car il resta dehors.
Ils débouchèrent dans une vaste salle d'armes, voûtée par une croisée d'ogives. La pièce était à peine éclairée d'archères, son sol se résumait à un plancher, mais il y avait une belle cheminée.
Dans cette pièce, simplement meublée de coffres, d'une table et d'un dressoir, se trouvaient trois portes communiquant avec les tours, la quatrième n'étant qu'un escalier conduisant à la plate-forme supérieure. Le concierge se dirigea vers l'une d'elles, fermée d'un énorme verrou avec cadenas.
— C'est le cachot loué par monsieur Mondreville, expliqua le prévôt à Louis.
Le concierge sortit une clef et fit tourner le mécanisme du verrou qu'il ôta. À peine la porte était-elle ouverte que Louis s'engouffra dans l'escalier. Une faible luminosité provenant d'une archère permettait à peine d'y voir.
— Gaston ! cria-t-il le cœur battant.
— Louis ? répondit une voix assourdie.
Gaston se trouvait bien là. Louis le découvrit sur la paille souillée d'un minuscule cachot. Malgré sa barbe rousse pleine de poux, il se jeta dans les bras de son ami qu'il serra un long moment, tant il était ému et soulagé.
— Seigneur ! balbutia-t-il.
— Sortons d'ici ! dit enfin Louis.
Mais il n'avait pas vu que Gaston était enchaîné. Un anneau à la cheville lui laissait à peine la possibilité de faire quelques pas pour se soulager dans un pot.
— Laissez-moi ôter les fers, grommela le concierge, entré à son tour.
S'accroupissant, il ouvrit le cadenas qui fermait l'anneau.
Gaston le repoussa avec brusquerie et s'engouffra dans l'escalier, Louis derrière lui, prêt à l'aider, car il avait vu son ami chanceler.
Ils débouchèrent dans la salle des gardes.
— Voilà monsieur de Tilly, procureur à la prévôté de l'Hôtel du roi, fit Louis en désignant son ami au prévôt et à son fils.
— Langlois, prévôt de Vernon ! se présenta chaleureusement le prévôt en tendant une main franche au prisonnier. Voici mon fils. J'ai connu votre père, monsieur de Tilly. Un homme selon mon cœur.
— Mon père ? Nous allons en reparler, si vous voulez, mais j'ai surtout hâte de quitter ces lieux. Où se trouve ce fourbe de Mondreville ?
— Il n'est pas avec nous, répondit Langlois.
— Allons chez lui que je lui passe mon épée au travers du corps, gronda Gaston.
Le concierge, resté dans l'escalier, s'était fait discret.
— Partons, voulez-vous ? proposa le prévôt.
Ils firent le chemin en sens inverse. Arrivé à l'échelle extérieure, Gaston gonfla longuement ses poumons, humant l'air de la liberté.
— Monsieur de Tilly ! cria Bauer en le voyant.
— Friedrich ! se réjouit-il, descendant les marches à vive allure.
Les deux hommes s'accolèrent avec une immense joie. Puis Gaston serra aussi Nicolas en une belle brassée.
— J'ai faim ! clama l'ancien détenu, mais avant, filons chez Mondreville ! J'ai seulement besoin de le tuer !
— Ce n'est pas une bonne idée, monsieur de Tilly, chuinta le prévôt. Il est tard. Nous y serions à la nuit noire et que ferions-nous ? Je me propose de vous conduire à l'auberge du Grand-Cerf. Soupez et reposez-vous. Je vous ferai porter du linge et viendrai demain à l'aurore avec mes archers et mon fils. Nous irons ensemble demander des explications à Mondreville, bien que la seigneurie soit dans la vicomté de Mantes et non dans celle de Vernon. C'est un homme puissant, vous le savez. Tout à l'heure, je ferai un compte rendu au vicomte. J'obtiendrai à coup sûr son soutien, puisque Mondreville vient de le mettre dans une situation fort déplaisante.
Gaston grimaça en marquant une hésitation.
— J'aurais voulu régler ce soir mes affaires avec ce scélérat.
— Monsieur Langlois est la sagesse même, confirma Fronsac. Et nous avons à parler, nous aussi.
*
Gaston inclina la tête en signe d'adhésion et ils montèrent dans la voiture. Le fils de Langlois s'installa sur le siège du cocher pour guider Nicolas jusqu'à l'auberge du Grand-Cerf, dans la rue Grande2.
— Comment m'as-tu retrouvé, Louis ? s'enquit Tilly.
— Armande est venue me prévenir. La suite, je te la raconterai tout à l'heure.
— Comment va-t-elle ?
— Elle était très inquiète, mais nous allons la rassurer bien vite.
— Pouvez-vous me dire pourquoi Mondreville vous a enfermé aux Tourelles, monsieur le procureur ? s'étonna le prévôt, assis en face d'eux.
— Je l'ignore, monsieur le prévôt ! Fin juillet, j'ai appris que le frère de mon père venait de décéder. Il m'avait laissé une lettre dans laquelle il me confiait que mes parents n'étaient peut-être pas morts dans un accident. Qu'un braconnier avait vu deux cavaliers devant leur coche renversé. Je suis aussitôt venu à Tilly. J'ai fouillé la maison et retrouvé un mémoire écrit par mon père, la veille de sa mort. Il y accusait un Mondreville d'avoir commis un vol…
— Le vol de la recette des tailles de Normandie, laissa tomber Louis, négligemment.
Gaston resta interloqué.
— Comment le sais-tu ?
— Je n'ai aucun mérite, c'est monsieur Langlois qui me l'a appris, fit-il en se retenant de sourire.
Il allait ajouter, plus sérieusement : « C'est pour l'empêcher de poursuivre son enquête qu'on a tué ton père… et ta mère », quand il surprit l'expression contrariée du prévôt de Vernon.
Gaston, qui n'avait rien remarqué, poursuivit :
— J'ai immédiatement pensé que la mort de mes parents était liée à ce vol. Seulement beaucoup de familles s'appellent Mondreville par ici. Je n'aurais eu aucun moyen de trouver celui cité si mon oncle n'avait écrit dans sa lettre que le prévôt Mondreville ne l'avait pas écouté quand il lui avait parlé des cavaliers aperçus près de la voiture retournée. C'était mon seul indice, aussi suis-je allé le voir pour l'interroger.
— Seul ? demanda le prévôt. Sans témoin ?
— Seul ! répliqua Gaston avec brusquerie.
Il ajouta, plus conciliant, comme pour se justifier :
— Je ne pouvais attendre…
Ses yeux s'embuèrent quand, brusquement, il éclata :
— Mon père était prévôt des maréchaux, monsieur Langlois. Chaque jour, il risquait sa vie, et le savait. C'était son métier et son honneur. Mais ma mère ? Je l'ai si peu connue ! J'avais besoin de savoir si Mondreville était son assassin !
Il se retint d'avouer : cela fait vingt ans que j'essaie en vain de me souvenir de son visage.
— Nous allons le découvrir, Gaston, promit Fronsac. Que s'est-il passé ensuite ?
— J'ai dû bousculer deux ou trois domestiques pour approcher Mondreville. Et quand je l'ai vu, il m'a tout de suite déplu. Je lui ai expliqué qui j'étais et demandé s'il se souvenait du vol des tailles de Normandie. Malgré sa barbe, je l'ai vu changer de couleur. Son visage s'est affaissé et j'ai compris qu'il s'agissait bien de l'homme évoqué dans le mémoire de mon père. Il a bredouillé des menaces, mais je me suis jeté sur lui, l'ai attrapé par le col, souffleté. Je ne me retenais plus, je l'avoue. Il a crié, des archers et des valets sont venus. L'un d'eux m'a lâchement assommé avec une chaise.
» Quand j'ai repris conscience, j'étais attaché et bâillonné dans une voiture. Mondreville se trouvait avec moi, un pistolet à la main. Il n'a pas prononcé un mot. On est entré dans Vernon par la porte de Gamilly. J'étais persuadé qu'on allait au château, qu'il voulait me mettre en accusation devant le vicomte et ne m'inquiétais pas, puisque je disposais du moyen de le confondre dans la mesure où il ne m'avait pas fouillé !
» Mais on a passé le pont, puis la voiture a tourné au château des Tourelles. Là, il est descendu et a parlé un moment avec l'homme qui était avec vous.
— Le concierge, fit sobrement le prévôt.
— Le cocher de la voiture était avec un archer. Ils m'ont fait descendre et m'ont menacé de m'assommer si je ne me laissais pas faire. J'ai obéi. On m'a conduit dans le cachot où vous m'avez trouvé. On me portait un pain, un cruchon et on vidait mon seau deux fois par semaine.
— Personne n'est venu vous interroger ? demanda le prévôt, incrédule.
— Personne ! Vous pensez bien que je me serais expliqué et qu'on m'aurait libéré ! Dès demain, je partirai pour Compiègne et je verrai monsieur Séguier qui parlera à Son Éminence. L'affaire ne va pas en rester là !
— À part l'emprisonnement, que Mondreville pourrait justifier par ton agression chez lui, tu n'as guère de preuves.
— Mon père a peut-être laissé d'autres papiers sur le vol de la recette des tailles. Je vais fouiller chez moi maintenant que je sais ce que je dois chercher.
— Ta maison a brûlé, il y a une semaine, Gaston. Le feu a pris dans une grange et, si la pluie ne s'était mise à tomber, il n'en resterait rien. Les chambres de l'étage sont en ruines. Je doute que tu retrouves quelque chose.
Tilly blêmit, accusant le coup. Un dernier lien avec ses parents disparaissait.
— Mes serviteurs ?
— Ils sont saufs. Nous nous sommes installés avec eux.
— À coup sûr Mondreville a mis le feu ! commenta-t-il en serrant les poings.
— Il n'aurait pu te garder emprisonné aux Tourelles longtemps, remarqua Louis après un instant de réflexion.
— Voici deux jours, quand le concierge me porta un pain, je lui ai répété qui j'étais. Je l'ai menacé, puis lui ai promis une récompense s'il me laissait partir. Jusque-là, il répondait que le vicomte et Mondreville le feraient pendre s'il se laissait corrompre, mais cette fois il m'a confié que, dimanche, une barque viendrait me chercher.
— Une barque ? répéta Louis, intrigué.
— Oui, j'ai posé des questions, mais il ne savait rien d'autre, sinon que Mondreville le lui avait dit. Il s'excusait sans cesse, me jurant qu'il se contentait d'exécuter des ordres.
— Croyez-vous que le vicomte puisse être complice de Mondreville ? demanda Louis au prévôt.
— Non, il n'oserait. Mais il a pu apprendre quelque chose et fermer les yeux. Le concierge des Tourelles a dû agir de même. Mondreville est un homme puissant et riche. Il a prêté de l'argent au duc de Longueville et levé pour lui une centaine d'hommes durant la fronderie. Certes, Longueville n'a finalement pas envoyé d'armée soutenir les parlementaires parisiens, mais avec les confiscations qu'il pratiquait sur les taxes, les droits sur les forêts et la gabelle, il avait réuni près de trois mille fantassins et quinze cents cavaliers. Cette armée est toujours sous son commandement, et maintenant qu'il a retrouvé les faveurs de la Cour, qu'il va peut-être devenir gouverneur de Pont-de-l'Arche, personne n'osera s'opposer à son affidé.
Le carrosse s'arrêta devant le Grand-Cerf, une belle auberge aux bois de colombage couleur lie-de-vin.
— Vous semblez pourtant ne pas le craindre, monsieur Langlois, remarqua Fronsac.
— Je suis prévôt du roi, monsieur, répondit le vieil homme. J'ai prêté serment. (Il eut un petit rire grinçant.) Je sais bien qu'à notre époque cela paraît un peu désuet, mais quand les Langlois ont donné leur foi, ils ne varient point. Notre devise n'est-elle pas Gloria et Fortitudo ? La reine sait que si Vernon est resté fidèle, c'est aussi par ma fermeté et celle de mon fils.
— Je m'en souviendrai, fit gravement Tilly en lui tendant une main, avant de descendre.
*
La rue Grande était bordée d'auberges et d'échoppes de commerçants et d'artisans, closes à cette heure. Louis demanda à Nicolas de raccompagner le prévôt et son fils au château, puis ils entrèrent au Grand-Cerf, tandis que Bauer conduisait sa jument à l'écurie.
C'est dans leur chambre que Gaston sortit le mémoire d'une de ses chausses. Il le tendit à Fronsac.
— Mondreville a juste vérifié que je n'avais pas d'arme et a pris cent écus dans ma bourse. Cent écus qui appartenaient à mon père ! Il n'a même pas songé que j'avais sur moi ces quelques pages.
Louis lut le document et leva les yeux vers Gaston quand il en arriva au million de livres en or.
— Langlois ne m'a jamais parlé d'une telle somme !
— Un million, Louis ! Tu comprends pourquoi on a tué mon père ? Continue ta lecture, tu verras que d'après le duc de Sully, que mon père avait rencontré, Concini aurait préparé le coup.
Louis se replongea dans les feuillets jusqu'à ce qu'il découvre les noms lâchés par le voleur découvert par le défunt père de Gaston.
— Petit-Jacques… Mondreville… Balthazar Nardi, fit-il à voix haute.
Il leva les yeux vers son ami :
— Jamais tu n'aurais dû aller voir Mondreville seul ! N'as-tu pas pensé que tu aurais pu tomber sur ces gens-là : Petit-Jacques et Nardi ?
— Je sais ! fit Gaston d'un ton irrité, mais je te l'ai dit, je ne pouvais attendre. Et puis, je n'imaginais pas qu'on oserait user de violence contre un procureur de la prévôté de l'Hôtel ! Mais poursuis…
Louis se replongea dans le mémoire qu'il dévora jusqu'à la fin.
— Ton père a été tué parce qu'il allait prévenir le roi, résuma-t-il quand il eut terminé. D'une façon ou d'une autre, ces gens-là : Petit-Jacques, Mondreville et Balthazar Nardi, peut-être d'autres encore, ont dû apprendre qu'il partait à Paris.
— Oui. Ils ont rattrapé mes parents, les ont tués avec leurs serviteurs et ont fait croire à un accident. Voilà pourquoi un braconnier a vu deux hommes près de leur carrosse.
— Si je me souviens bien, Concini est mort le 24 avril. Et ton père a été tué le 15.
— Quel rapport ?
— Ton père n'a pu rencontrer le roi. Or, Louis XIII a fait arrêter et tuer Concini peu de temps après le vol… Et si un autre l'avait averti de la vérité ? Qui sait ce que Concini voulait entreprendre avec ce million… Peut-être a-t-on raconté au roi qu'il allait rassembler des troupes mercenaires, occuper le Louvre et se débarrasser de lui.
— Pures supputations… Qui l'aurait prévenu, puisque seul mon père savait ?
— Peut-être simplement Sully… De retour à Paris, il faudra tenter d'en savoir plus à ce sujet. Mais parlons plutôt de ce Petit-Jacques et de Balthazar Nardi. As-tu entendu parler d'eux ?
— Jamais pour Nardi, répondit Gaston, mais bien des brigands se sont appelés Petit-Jacques.
— Quoi qu'il en soit, la façon dont Mondreville t'a traité prouve qu'il est bien celui cité dans le mémoire.
— Je n'ai aucun doute !
— Langlois m'est apparu embarrassé en apprenant que tu savais pour le vol des tailles et que tu pensais ton père tué à cause de ce forfait, ajouta Louis d'un ton égal.
Gaston considéra son ami sans comprendre le message, puis secoua négativement la tête.
— Je ne peux croire une seconde qu'il soit complice. Tu l'as entendu, je suis persuadé que c'est un homme d'honneur ! Sans lui, je serais toujours dans mon cachot.
Louis resta impénétrable.
— Nous l'interrogerons demain, dit-il enfin. Mais tu te doutes que ce mémoire sera insuffisant pour mettre en accusation Mondreville. Nous aurons besoin de faire des recherches sur ce Balthazar Nardi.
— Il y a la justice royale, Louis, et la mémoire de mes parents. Je ne lancerai aucune procédure qui se terminerait par un acquittement de Mondreville, répliqua sombrement Gaston. Sois assuré qu'à compter de ce jour, je consacrerai mon temps et mes moyens à châtier les assassins de mes parents.
— Il se trouve un autre fait troublant que tu dois connaître, bien qu'il paraisse sans rapport avec la mort des tiens. Quand je suis arrivé à Tilly, tes serviteurs m'ont dit que tu avais disparu. Pour commencer mon enquête, j'ai interrogé le curé et il m'a rapporté que tu lui avais posé des questions sur le prévôt Mondreville. Un peu plus tard, il a évoqué une autre disparition : celle d'un jeune homme nommé Thibault de Richebourg. Le curé de Longnes l'avait prévenu.
— Je n'ai jamais entendu parler de ce Richebourg… mais peut-être pourrais-tu me raconter la suite à table. J'ai faim et je voudrais faire venir un barbier pour me couper cette barbe et ôter ces poux !
— Laisse-moi encore un instant, la suite va t'intéresser. Deux disparitions en même temps avaient de quoi surprendre, mais quand le curé m'a dit que ce jeune gentilhomme était le rival du fils de Mondreville, qu'ils courtisaient tous deux la même jeune fille, j'ai décidé d'aller chez Richebourg. C'était hier. Là-bas, dans un vieux donjon, j'ai trouvé le cadavre d'un vieillard, du sang et l'épée de Richebourg, que j'ai gardée.
— As-tu prévenu le prévôt de Houdan ?
— Oui. Ensuite, Nicolas m'a conduit à Longnes. C'est une jeune fille de ce village, Anaïs Moulin Lecomte, qui avait demandé l'aide du curé. Elle vit chez son parrain, un nommé Bréval. Au Saut du Coq, je me suis donc enquis de ce Bréval. Or, il était attablé avec des traîne-rapière, dont un blessé. Je lui ai expliqué poliment que je souhaitais rencontrer Anaïs Moulin Lecomte afin de l'entretenir au sujet de Richebourg, que j'étais allé chez ce gentilhomme et y avais découvert un vieil homme assassiné. Alors, l'un des attablés s'en est pris à nous, nous trouvant trop curieux. C'était le fils Mondreville.
Maintenant, Tilly était tout ouïe.
— Ce jeune Mondreville a eu le tort de s'en prendre à Bauer qui l'a souffleté. Humilié, le garçon est devenu fou de rage. Il a crié être le fils du prévôt et nous a menacés du cachot. Comme je me moquais de ses bravades, il s'est encore plus emporté et m'a jeté à la face la toute-puissance de son père, seigneur de haute justice. Il avait même arrêté un procureur qui l'avait menacé, lâcha-t-il ! J'ai deviné que c'était toi et Bauer l'a fait parler après quelques gifles !
— C'est ainsi que tu as su où j'étais ?
— Oui, sourit Fronsac. Comme tu le vois, la disparition de Richebourg n'est en rien étrangère à ton affaire.
— Mondreville a certainement d'autres crimes à son actif, résuma Gaston pensivement. Nous ne sommes pas au bout de nos découvertes.