17.
Le liquide inflammable prit feu immédiatement dans un grand « FFFHWOOMP ! », cependant que tout l'air dans la pièce était aspiré vers l'embrasement. Une boule de feu d'une lueur et d'une chaleur incroyables jaillit à travers le plafond à ciel ouvert, tandis que tout ce qui se trouvait dans la pièce essayait de prendre feu en même temps. Je levai les bras pour protéger mon visage des flammes qui grondaient vers moi au moment même où j'essayais de retenir ma respiration. Mes pieds furent soulevés du sol et tout se renversa sur moi, je sentis les poils sur mes avant-bras se ratatiner et grésiller. Je baissai les bras et m'aperçus que j'étais étendu sur le dos.
Je me redressai péniblement jusqu'à être en mesure de voir Gary de nouveau. Il était devenu une colonne de flammes en fusion. Son énorme corps boursouflé était secoué de soubresauts, la graisse enflammée suintait de sa peau éclatée et dégouttait le long de ses membres comme de la cire de bougie.
Tandis que je regardais – et croyez-moi, je regardais, l'horreur devant moi avait une qualité hypnotique et brutale qui retenait mon attention –, il se démenait pour se ressaisir, pour reprendre le contrôle de son corps. La douleur… je suis incapable de décrire la douleur qu'il éprouvait. Personne ne le pourrait, personne de vivant.
Les êtres humains ne connaissent pas le fait d'être brûlé vit, pas comme cela se passait pour Gary. Même quand quelqu'un est brûlé sur un bûcher, le pire lui est épargné. Il inhale un peu de fumée et meurt par asphyxie.
Les morts ne respirent pas. Ils ne perdent pas connaissance, non plus. Gary mourait de la façon la plus atroce qui soit, mais la miséricorde de l'évanouissement lui était refusée. Je le voyais essayer de reprendre le contrôle de son corps rebelle, lutter malgré la douleur. Ses mains se fléchirent, ses bras se baissèrent. Il essayait d'agripper quelque chose. N'importe quoi. Moi.
Je m'écartai en roulant sur moi-même juste au moment où un bras massif heurtait violemment les dalles près de moi. Je sentis le vent chaud qui venait de Gary. Je sentis l'air surchauffé déplacé par son coup. Mes pieds poussèrent durement pour se mettre sous moi ; mes bras fléchirent pour me relever du sol. Si je ne me mettais pas debout dans une seconde, j'étais fichu.
Gary pivota, ses bras tendus comme des massues. La lumière qu'ils émettaient m'éblouit comme je me glissais sous sa prise et me redressais, le dos contre le mur. Il ramena un bras en arrière et essaya de me frapper avec un énorme poing embrasé, mais je parvins à l'éviter. Son poing heurta le mur et brisa des briques.
Je disposais d'un moment de répit. Gary était aveugle, le feu avait changé les globes de ses yeux en des âtés en gelée cuits. Il abattait son poing d'un côté et de l'autre, essayait de me trouver dans sa propre obscurité. Je décidai de ne pas lui laisser cette occasion.
Je tournai les talons, glissai et courus vers un couloir qui partait de la pièce de la baignoire pour me retrouver en face d'un mort vêtu d'une salopette en jean roussie. J’avais complètement oublié la garde personnelle de Gary.
Celui-ci ne semblait pas content du tout de ce que j'avais fait à son maître. Ses mains brisées agrippèrent ma chemise, sa bouche s'ouvrit et ses dents s'avancèrent en oblique vers mon épaule. Je me rejetai en arrière et essayai de me dégager de sa prise mais en vain, son index s'était pris dans l'un des passants de ma ceinture. La meilleure stratégie qui me vint à l'esprit consistait à le faire tomber dans la baignoire de Gary, en espérant qu'il prendrait feu. Mais si j'avais essayé de faire cela, il m'aurait entraîné à sa suite.
Les mâchoires du mort s'ouvraient largement, se préparant à me mordre, quand quelque chose de tout à fait surprenant se produisit. Quelle que soit l'étincelle qui l'animait, quelle que soit la force de vie que je trouvais dans les yeux de Salopette (et il n'y en avait pas beaucoup), cela le quittait. Ses yeux se révulsèrent dans ses orbites et ses genoux fléchirent. Sans vie, mort deux fois, il s'affaissa près de moi et faillit me faire tomber.
Une morte avec des dreadlocks surgit pour le remplacer, mais elle s'écroula, morte, avant même de pouvoir me toucher. Une bonne chose. J'étais toujours occupé à essayer de dégager le doigt de Salopette du passant de ma ceinture.
J'y parvins enfin et je courus aussi vite que je le pouvais, sans aucune idée de l'endroit où j'allais. J'arrivai au bas d un escalier et essayai de me rappeler si les morts m'avaient traîné vers le bas ou vers le haut quand ils m'avaient sorti de la station de pompage. J'étais toujours là, indécis, désirant éperdument m'échapper de la sombre forteresse, quand j'entendis des bruits de pas qui venaient dans ma direction. Deux séries de pas. L'une lente, mesurer, rythmée, l'autre confuse et chaotique comme si quelqu'un sans aucune coordination s'efforçait de suivre, j'avais déjà entendu des pas de ce genre, à l'hôpital dans le secteur des abattoirs. Cela ne s'était pas très bien terminé.
Il n'y avait aucun endroit où se cacher et je n'avais pas d'armes. Je serais mort à coup sûr, si les créatures descendaient l'escalier et voulaient me tuer. Heureusement pour moi, ce n'était pas le cas.
Une momie avec un pendentif en céramique bleue suspendu à son cou surgit de l'obscurité. Elle – je distinguais des formes anguleuses grossières comme des seins et des hanches sous ses bandelettes de lin emmêlées – précédait l'un des morts, un homme sans nez. Juste un trou rouge béant au milieu de son visage.
Trois marches au-dessus de moi, ils s'arrêtèrent à l'unisson, d'une façon qui suggérait qu'ils étaient en étroite communication. Elle posa ses mains sur les côtés de la tête de l'homme tandis qu'elle approchait son front du sien. Le mort produisit un bruit de succion étrange, desséché, rauque et pénible à entendre, ce devait être lui qui respirait par sa plaie. Quand il parla, il fut évident pour moi d'une manière ou d'une autre que ce n'était pas sa voix que j'entendais, mais celle de quelqu'un d'autre, qui parlait par son intermédiaire.
— Il n'est plus dans son état normal, notre Gary. Il ne supporte pas sa fin, si vous voyez ce que je veux dire. Cet endroit va grouiller de morts dans un instant. Je suppose que vous ne tenez pas à être là à ce moment.
J'humectai mes lèvres.
— Ma foi, non, répondis-je.
— Alors suivez-moi, mon garçon. Nous avons du travail, dit-il.
La momie passa près de moi en traînant son mort familier derrière elle. Quand il fut incapable de la suivre, elle le prit dans ses bras et le porta, ses membres morts ballants, sa bouche édentée flasque et ouverte. Elle se déplaçait rapidement, bien plus vite que tous les morts que j'avais vus jusque-là, et c'était difficile de la suivre dans certains des couloirs plus étroits où nous devions nous faufiler. J'avais certainement couru dans la mauvaise direction quand je m'étais enfui de la pièce baignoire de Gary. Sans mon guide égyptien, je n'aurais jamais trouvé la sortie.
Nous atteignîmes finalement la lumière vive du jour et l'air frais. Ce fut seulement quand de l'air pur entra dans mes poumons que je me rendis compte de la quantité de suie que j'avais inhalée. La forteresse de Gary brûlait et le panache de fumée qui montait du sommet de sa tour était strié de flammèches. Cela ne me préoccupait pas outre mesure. Retourner à l'intérieur était inutile.
Je me souciais beaucoup plus du fait que la momie m'avait conduit au-dehors vers un parterre de plantes rachitiques entouré de maisons de brique d'aspect suranné. Le parc à bestiaux de Gary, où vivaient les prisonniers. Je criai le nom de Marisol jusqu'à ce que je me mette à tousser, mon œsophage irrité protestant vigoureusement contre des paroles supplémentaires.
Des portes et des fenêtres s'ouvrirent dans les maisons, et des visages terrifiés me regardèrent. Alors que je restais là, me demandant quoi dire à ces gens, Marisol accourut vers moi avec une tasse à thé ébréchée. Elle était remplie d'eau que je bus avec gratitude.
Marisol décocha à la momie un regard rapide et se remit de la surprise qu'elle avait probablement ressentie en apercevant la femme égyptienne. Je suppose qu'elle avait dû voir beaucoup de morts durant sa captivité.
— Où est Jack ? demanda Marisol.
Jack. Bien sûr. Jack, lequel, autant que je le savais, était en ce moment suspendu par un pied la tête en bas dans la pièce baignoire de Gary. Mort. Affamé. Incapable de descendre.
— Il ne s'en est pas sorti, lui dis-je.
Inutile de rentrer dans les détails.
Elle me gifla violemment.
— D'accord.
Je m'assis lourdement sur l'herbe rachitique.
— Ça, c'est pour l'avoir fait tuer. Bon. Que se passe–t-il, bon sang ? Est-ce que Gary est mort ? Je vous en prie, dites-moi que Gary est mort.
Je hochai la tête. À quoi bon lui dire que je n'en étais pas sûr. Enfin, je n'avais pas envie qu'elle me gifle de nouveau.
— Ouais, il a brûlé vif.
— Parfait. Quel est le plan ?
Je réfléchis un moment avant de répondre. Il y avait eu un plan, puis le plan s'était écroulé. Si ce n'est que, maintenant, cela pouvait encore marcher.
— Nous avons un hélicoptère qui va arriver. Ce feu devrait être un signal largement suffisant pour notre pilote. Il sera là dans une dizaine de minutes. Ensuite, nous vous ferons partir d'ici. Mais il y a un problème.
— Un problème ? Il n'y a qu'un seul problème ? demanda Marisol. Génial !
— Calmez-vous, d'accord ? (Je me levai et lui rendis la tasse, j'avais recouvré mon souffle.) Il n'y a pas assez de place dans l'hélicoptère pour que nous puissions tous monter à bord en une seule fois. Mais regardez, nous sommes protégés par ce mur.
Je montrai le mur de brique haut de quatre mètres qui faisait tout le tour du parc à bestiaux. Il était adossé au côté de la forteresse et avait été conçu manifestement pour les protéger d'une attaque des morts-vivants.
— Nous prendrons d'abord les femmes et les enfants, puis nous reviendrons et ferons un second voyage pour les hommes.
Marisol se mordit la lèvre si fort que sa lèvre saigna. Je voyais le sang. Puis elle hocha la tête et m'attrapa par une oreille. Elle tira durement et je fus seulement en mesure de la suivre, en protestant désespérément.
Elle m'entraîna au-delà de l'une des maisons avant de me lâcher. Je la regardai, j'étais furieux, j'avais pris tous les risques pour la sauver de Gary, après tout. Puis je levai les yeux et vis ce qu'elle essayait de me faire comprendre.
Il y avait une brèche de quatre mètres cinquante de large dans le mur, un endroit où la construction n'avait pas été entièrement terminée. Il y avait des piles de briques soigneusement placées à proximité, prêtes à être posées, mais aucune équipe de travail pour finir cette tâche.
Pendant ce temps, de l'autre côté du mur, il y avait peut-être un million de morts. Un million de morts qui n'avaient pas mangé depuis des jours.