13.

 

Les corps se voûtaient et soulevaient, des dos se cambraient, des têtes étaient repoussées vers le bas par des pieds qui cherchaient des appuis. Un millier de cadavres animés se tendaient avec leurs bras et leurs jambes, se poussaient entre eux vers le haut, les membres de ceux en dessous se brisant comme des bâtons secs. Celui tout en haut, une jeune Asiatique vêtue d'une salopette Sanryo rose tachée de sang tendit une main et toucha le rebord du toit du planétarium. Une Somalienne avec une baïonnette fixée au bout de son fusil s'élança et transperça la tête de la morte comme un ananas. Quand elle dégagea la baïonnette, la jeune Asiatique roula au bas de la pyramide humaine des morts-vivants et heurta l'asphalte de Central Park Ouest. Un homme en costume Armani avec une jambe qui pendait en lambeaux se hissa lourdement pour la remplacer. L'une des Somaliennes ouvrit le feu avec une mitrailleuse calibre.40 montée sur un trépied et son corps éclata en de gros morceaux de chair putréfiée qui arrosèrent les corps en dessous telle une pluie immonde. 

La pyramide non humaine ne réussirait pas. Aussi Gary revint-il à son plan initial et regarda avec les yeux d'un mort qui se trouvait à l'intérieur des ruines du Muséum d'histoire naturelle. Une petite équipe qui nécessitait une attention constante avait trouvé un passage à travers les décombres, passant maladroitement par-dessus des statues renversées et se faufilant à travers des brèches dans des monceaux de briques fracassées. Maculés de poussière rouge, leurs yeux se desséchant dans leurs orbites, trois d'entre eux avaient escaladé une rampe d'éclairage tordue et brisée jusqu'au troisième étage. Gary les avait laissés se débrouiller tout seuls pendant une minute ou deux seulement tandis qu'il essayait d'assembler la pyramide, mais entre-temps deux de ses éclaireurs morts avaient réussi à basculer d'un balcon et à retomber sur le sol en contrebas. L'un d'eux avait les jambes brisées et était inutilisable. Gary éteignit sa vie par principe. L'autre ne nécessitait pas son attention. Elle avait empalé sa propre tête sur une poutrelle métallique à nu. Le troisième cadavre qui fonctionnait toujours s'était arrêté brusquement, incapable de continuer. Il se tenait parfaitement immobile, les bras le long du corps, sa tête bougeant d'avant en arrière. Il essayait d'analyser ce qui se trouvait devant lui, une forme se dressant depuis la froide obscurité du muséum : un crâne assez grand pour qu'il puisse grimper à l'intérieur, avec des dents comme des poignards de combat et des orbites plus grosses que sa tête. 

C'était un crâne de Tyrannosaurus rex. Le mort essayait de déterminer si c'était de la nourriture ou un ennemi ou les deux. Ce n'était ni l'un ni l'autre, bien sûr, car il n'y avait même pas de moelle à sucer dans les os, le crâne étant une simple reproduction en résine de polymère. Gary poussa un grognement et prit le contrôle direct des bras et des jambes de la goule. Ses soldats avaient toujours été stupides, bien sûr, mais ils n'avaient pas été nourris depuis le jour où Mael avait pris leur contrôle. En conséquence, ils étaient incapables de lutter contre les formes les plus insidieuses de la pourriture du corps. Leurs yeux étaient blancs de décomposition, leurs doigts noueux et déformés. En obligeant le mort à avancer d'un pas alerte, Gary endommageait irrémédiablement ses tissus vitaux. Dans quelques heures, cet objet-là, sur lequel il fixait son attention, tomberait complètement en morceaux. Aucune importance, se dit-il. Il avait besoin de lui seulement pour quelques minutes supplémentaires. D'après le plan du muséum, la salle des dinosaures saurischiens était adossée au niveau supérieur du planétarium. S'il y avait un moyen d'accéder au toit, ce devait être tout près. 

La pénombre régnait dans la salle des dinosaures, mais l'obscurité n'était pas totale. Gary s'efforça de reposer les yeux défaillants du cadavre et perçut d'où venait la lumière. Après plusieurs tentatives, il parvint finalement à guider le mort dans la bonne direction, vers une brèche notable dans le mur, un endroit où des briques étaient tombées et où le plâtre s'était détaché à tel point que la lumière du soleil pouvait, en même temps qu'un courant d'air frais. Gary fit s'approcher le mort du trou et le poussa. La chair du mort se prit dans des conduites brisées et des madriers – se prit et se déchira – mais il avança, centimètre par centimètre, et se rapprocha de l'extérieur. Finalement, son visage émergea vers la lumière, et durant un moment Gary ne vit que du blanc tandis que les pupilles dégradées de son avatar essayaient éperdument de se contracter. Quand sa vue finit par s'éclaircir, il regarda en bas et vit exactement ce qu'il voulait voir : le toit du planétarium, à moins d'un mètre en contrebas, du papier goudronné, des ventilateurs d'aération, et des enfants soldats somaliens. Il avait trouvé un passage ! Gary transféra immédiatement son attention pour appeler des centaines de ses troupes – non, des milliers – et les dirigea vers le muséum. Il avait l'intention d'exploiter à fond cette faille. 

Puis il réintégra le cerveau endommagé de son éclaireur, juste pour examiner la situation, et s'aperçut qu'il regardait le visage d'une adolescente qui souriait. Elle tenait dans une main une petite grenade sphérique verte. Gary essaya d'amener le mort à lui happer les doigts avec les dents mais il ne put empêcher la fille de pousser sa grenade dans la bouche du mort. Il en sentit la rondeur, le poids inconfortable dans sa bouche. Il perçut le goût du métal.

Il n'avait guère besoin de s'attarder sur ce qui allait se produire ensuite. Ainsi, la brèche dans le mur était inutilisable. Les filles en seraient informées et pourraient facilement repousser les troupes qu'il enverrait par là.

— Bordel de merde ! cria-t-il, et il se détourna des remparts du broch. 

Regagnant son propre corps pour la première fois depuis que le siège avait commencé, il descendit l'escalier à pas bruyants, suivi de près par les momies. Il laissa Sans Nez au niveau supérieur pour observer la bataille en cours. Sans grand enthousiasme, il continua à porter son attention sur les combats à l'ouest où ses soldats étaient fauchés les uns après les autres, mais il ne s'intéressa pas tout de suite aux détails. Ayaan n'arrivait à rien, et lui non plus. Il avait juste besoin d'un peu de temps pour se ressaisir, pour réfléchir.

Il atteignit le niveau principal de la tour et se glissa avec gratitude dans son bain de formol. Cela devenait plus difficile de se déplacer lui-même dernièrement, et peut-être passait-il tant de temps dans l'eididh que ses muscles s'atrophiaient. Il devrait s'en préoccuper quand il en aurait l'occasion. Quand tout ceci serait terminé et qu'il pourrait… 

« PHWHAM. »« PHHHWHAMP. »« PHHWHAM. »

De la poussière de brique tomba des galeries au-dessus et saupoudra son bain comme du paprika. Gary se redressa dans un grand clapotis et chercha des informations. Le côté ouest du broch était recouvert d'une fumée qui restait en suspension dans l'air en de grands panaches. Sans Nez était tombé vers les madriers de la galerie supérieure, renversé par les impacts. Gary le força à se relever et à regarder. 

L'une des filles avait un lance-grenades propulsé par une fusée, la même arme que Dekalb avait utilisée sur les flics antiémeute morts. Elle tirait directement sur le broch, et les grenades se rapprochaient du champ de vision de Gary, semblables à des ballons de football qui tournoyaient dans l'air et laissaient derrière elles des traînées de vapeur blanche parfaitement droites. 

« PHHHHHHHHHHHHWHAMP. »

Gary écumait de rage tandis qu'il appelait davantage de ses soldats – qu'elles aillent se faire foutre, toutes ! – et les lançait vers le muséum. Il allait mettre un terme à tout ça, par tous les moyens dont il disposait. S'il devait abattre tout le planétarium avec la seule force brutale d'un million de morts, il le ferait. S'il était obligé de détruire l'endroit lui-même, il le ferait ! Il chargea son géant de s'avancer à grandes enjambées à travers la marée des morts-vivants, propulsant ses longues jambes à un rythme plus rapide que celui des autres. Il chargea Sans Visage d'être ses yeux, car elle avait mangé récemment et sa vue n'était pas voilée par la putréfaction. Cela n'allait pas durer, putain de merde !

L'armée des morts entourait le planétarium, leurs rangs se comptaient par centaines. Les épaules voûtées pour pousser sur la carcasse du bâtiment jusqu'à ce qu'ils se piétinent entre eux, quand Gary entendit le coup de feu. De ses propres oreilles. Son attention se reporta immédiatement sur ses propres sens.

Le bruit était venu de l'intérieur du broch. 

Tome 1 - Zombie island
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