14.

 

Une balle ricocha sur la portière côté passager et la voiture oscilla sur ses pneus. Le pare-brise de la Volkswagen présentait une longue fissure argentée sur toute sa largeur, mais il n'était pas brisé. Gary se mit en position fœtale dans l'espace prévu pour les jambes du conducteur et essaya de ne pas faire de bruit. 

 Les scouts démentes– ou quoi qu'elles soient – l'avaient repéré et ouvert le feu avant qu'il puisse dire un mot. Il avait voulu s'enfuir mais il était coincé entre deux dangers : le bateau sur le fleuve avec son sniper prêt à tirer sur tout ce qui bougeait, et ces écolières puissamment armées qui avaient investi presque la moitié de West Village. Il serait repéré inévitablement. Il avait tout juste eu le temps de se planquer dans la voiture avant qu'elles commencent à arroser de plomb le secteur. Cependant, il avait la certitude qu'elles ne l'avaient pas pris pour cible, qu'elles se contentaient de tirer à l'aveugle, et qu'elles finiraient par s'en aller, s'il restait parfaitement immobile et ne trahissait pas sa présence. Ce qui, vu son état de santé actuel (de mort-vivant), semblait tout à fait faisable. S'il n'y avait pas eu cette satanée mouche.

Sa passagère d'infortune bourdonnait avec colère chaque fois que la voiture bougeait. Elle se déplaçait sur le tableau de bord pendant un moment puis s'envolait brusquement et faisait le tour de l'espace clos avant de se poser sur un appuie-tête. Gary était tout à fait désolé de l'impliquer dans le danger qu'il courait. A l'évidence, la mouche avait une excellente raison de se trouver ici. La banquette arrière de la voiture était remplie d'articles d'épicerie putréfiés. La plus grande partie de la nourriture s'était changée depuis longtemps en une moisissure floconneuse blanchâtre mais peut-être la mouche pouvait-elle également en manger. Quoi qu'il en soit, elle semblait dodue et satisfaite. Éclatante de vie : de la vraie vie, pas de ce genre superficiel qui animait Gary. Une sorte d'aura dorée chatoyait autour d'elle, à l'intérieur d'elle, comme si elle brillait d'une lumière du soleil capturée. C'était la première créature vivante (à part les filles armées de flingues) que Gary voyait depuis sa réanimation. Elle était belle, exquise. Inestimable par son immunité à la mort, par le fait de vivre en continuant à respirer.

Il y avait dans l'âme de Gary un besoin profondément ancré, urgent, et tout à fait insoutenable, d'attraper cette mouche, d'une façon ou d'une autre, et de la mettre dans sa bouche.

Une balle atteignit l'un des pneus de la VW et la voiture s'affaissa sur un côté en produisant un fort bruit d'éclatement qui résonna et se répercuta sur les façades de brique des maisons environnantes. Gary, dont la main s'avançait subrepticement vers la mouche, se recroquevilla en une boule encore plus compacte sur le plancher de la voiture et essaya de ne plus penser à quoi que ce soit. Cela ne marcha pas.

La mouche se posa sur le fermoir d'une ceinture de sécurité et déploya brièvement ses ailes prismatiques au soleil. Tout son corps semblait briller de la lumière de sa santé. Elle frotta ses pattes l'une contre l'autre, comme un personnage de dessin animé sur le point de s'asseoir devant un hamburger appétissant ; il ne lui manquait plus qu'un minuscule bavoir. Ne serait-ce pas délicieux ? Oh Seigneur, Gary avait tellement envie de manger la mouche. Sa mouche, avait-il décidé. C'était la sienne. 

La mouche s'envola de nouveau dans un grand battement d'ailes et la main de Gary se tendit brusquement vers elle. La mouche lui échappa et il leva les bras vers le haut, l'attrapa entre ses paumes mises en coupe. Un instant plus tard, il l'avait enfournée dans sa bouche et il sentit ses ailes s'agiter éperdument contre son palais. Il donna un coup de dent et sentit ses sucs se répandre sur le dessus de sa langue. Une énergie déferla en lui avant même qu'il ait avalé le morceau de choix, une décharge électrique de bien-être qui brûla en lui comme une flamme blanche qui le nourrissait au lieu de le consumer. Si la viande pour hamburger qu'il avait mangée auparavant avait calmé sa faim, la mouche, elle, le rassasiait complètement, l'emplissait d'une euphorie que le corps minuscule de l'insecte ne pouvait expliquer. Il se sentait bien, au chaud, comblé. Si bien.

Cette sensation avait à peine commencé à s'estomper quand il se rendit compte brusquement qu'il s'était redressé et était perché sur les sièges avant de la voiture, parfaitement visible à travers les vitres. Il entendit des détonations et comprit qu'on l'avait découvert. Éperdu, mais se sentant à présent en sécurité et puissant, Gary ouvrit d 'une poussée la portière côté conducteur et s'extirpa de la voiture. Il posa ses pieds sur l'asphalte et commença à s'éloigner de la Volkswagen à petits bonds, certain qu'il pourrait se mettre à l'abri s'il se dépêchait un peu, si ses jambes bougeaient un peu plus vite… 

La lame d'une baïonnette lui traversa le dos et s'enfonça dans son cœur.

Une bonne chose qu'il ne l'utilise pas.

Il voulut se retourner mais s'aperçut qu'il était pétrifié – littéralement – par la baïonnette. Il leva les mains en l'air, le signe universel de la reddition.

— Ne tirez pas, cria-t-il. Je ne suis pas l'un d'eux ! 

— Kumaad tahay ? 

L'une des filles surgit dans son champ de vision et leva son fusil. Elle haletait par suite de ses efforts, ou peut-être de peur, et son arme oscillait. Il voyait le O sombre de la gueule de l'arme dodeliner vers lui, l'intervalle entre une balle et son cerveau. Elle actionna un levier sur le côté de l'arme et recourba son index sur la détente.

— Je vous en prie ! cria Gary. Je vous en prie ! Je ne suis pas comme eux ! 

— Joojin !cria quelqu'un. 

Il entendit le bruit de pieds bottés qui survenaient derrière lui.

 Joojin ! 

Le fusil devant lui s'affermit dans les mains de la fille. Avait-elle reçu l'ordre de tirer ou de ne pas tirer ? Le front de Gary commença à devenir brûlant, dans l'attente de la balle.

Une autre fille surgit devant lui. Elle aboya des ordres aux autres et Gary sentit que la baïonnette était retirée de son corps d'une secousse. Les filles discutèrent entre elles – il entendait continuellement le mot « xaaraan » – mais, manifestement, leurs ordres étaient de se calmer. 

— Tu parles, dit la fille qui avait donné ces ordres. 

Elle scruta son visage, visiblement déconcertée par les veines mortes de ses joues.

— Je parle, confirma Gary. 

— Tu es fekar ? 

— je ne sais pas ce que cela signifie. 

Elle hocha la tête et fit un geste compliqué de la main à ses soldats. Gary devina en voyant les épaulettes dorées sur les épaules de sa veste bleu marine qu'elle devait être une sorte d'officier, même si cela n'avait aucun sens. Quelle armée au monde engageait des adolescentes ? Gary ne parvenait pas à se défaire de l'idée qu'il avait été capturé par des écolières au cours d une sortie qui avait horriblement mal tourné.

— Nous te tuons, si tu dis quelque chose d'anormal, annonça l'officier. (Elle agita son fusil vers lui.) Nous te tuons, si tu fais quelque chose d'anormal. Tu te comportes normalement, peut-être que nous te tuons de toute façon à cause de ton odeur. 

— C'est de bonne guerre, fit Gary en baissant lentement les mains. 

Tome 1 - Zombie island
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