14.

 

Jack se mit au travail, éclairé par une poignée de tubes de lumières chimiques. Nous enlevâmes nos combinaisons de protection pour travailler plus facilement et j'attendis patiemment les instructions de Jack. Il ouvrit le grand sac que j'avais apporté dans la forteresse de Gary et en sortit deux paquets enveloppés de feuilles en aluminium et couverts d'étiquettes d'avertissement imprimées en petits caractères. J'examinai le paquet moi-même et je n'eus aucune idée de ce que je regardais. À part les cylindres métalliques de gaz, il y avait des piles soigneusement rangées de composants électroniques et de briques de quelque chose à l'aspect mou et de couleur blanc cassé. Je remarquai qu'il n'y avait pas d'armes. Pas une seule arme à feu. Pas de pistolets, pas de fusils d'assaut, pas de fusils à pompe. Pas de lance-grenades ni de fusils de précision ni de mitraillettes. 

Pas de poignards de combat, non plus. Celui qui était attaché par une sangle à la jambe de ma combinaison était la seule arme que je pouvais trouver. J'ouvris le sac de Jack, en pensant qu'il avait porté tout l'armement parce qu'il redoutait que je me tire par mégarde une balle dans le pied (une crainte assez fondée, si c'était effectivement ce qu'il avait pensé. Il n'en était rien). Il tendit le bras et arrêta ma main.

— Je vais le faire, dit-il. 

— Vous voulez bien me dire ce que nous faisons ? demandai-je prudemment. 

— Non, répondit-il. 

Du Jack tout craché. Juste non, négatif, hon, hon. Il sortit le téléphone cellulaire Iridium de mon sac et le posa sur le sol après avoir vérifié, probablement pour la troisième fois, qu'il était réglé sur vibreur et non sur sonnerie. Il y avait peu de chance que le téléphone puisse capter un signal à travers tous ces murs de pierre, mais Jack ne voulait prendre aucun risque.

— Une seule à la fois, et très lentement, commencez à me tendre ces briques, dit-il en montrant mon sac. 

J'en sortis une. Elle semblait légèrement friable, comme une barre de savon qui s'effrite, et était enveloppée dans une fine feuille de plastique qui ressemblait à du film transparent pour la conservation des aliments. Je sentis un creux dans la brique là où je la tenais avec mon pouce, mais cela ne sembla pas préoccuper Jack. Il défit le plastique puis il prit l'un des cylindres de gaz comprimé et appliqua la substance semblable à du mastic autour du cylindre, la lissant très précautionneusement. Durant cette opération la substance perdit sa consistance friable et devint caoutchouteuse et malléable.

J'en avais déjà vu. Elle était très répandue et relativement bon marché pour figurer régulièrement dans les arsenaux de la plupart des pays en voie de développement. Sans parler des camps d'entraînement des terroristes.

— C'est du semtex, exact ? 

Jack me jeta un regard furieux.

Stupide de ma part. Je me dis qu'il était en colère parce que j'avais employé le terme européen.

— Désolé. Du C-4. Explosif plastique. Vous voulez faire sauter Gary. 

— Quelque chose de ce genre. 

Il retourna à son travail et façonna une charge autour de l'extrémité d'un second cylindre.

Il fallait que je sache. J'en pris un. Il comportait un autocollant décoloré près du bec qui présentait deux symboles. L'un était un triangle contenant une éprouvette brisée. Des vapeurs de bande dessinée s'élevaient du point de fracture. L'autre symbole était une tête de mort croisée de deux tibias.

Les paquets enveloppés d'une feuille métallique contenaient deux auto-injecteurs d'atropine. Les premiers soins après une contamination d'armes chimiques.

— Qu'y a-t-il dans ces cylindres, du sarin ? demandai-je, très, très calmement. 

— Du VX. (Il renifla, comme si j'avais blessé son amour-propre professionnel.) Il contient une DM-50 de dix milligrammes, soit inhalé soit par voie cutanée. 

Une dose mortelle d'un trente millième d'once. Une petite gouttelette suffisait. J'en savais infiniment plus sur les DM-50 et les taux d'exposition cutanée ou oculaire que je l'aurais souhaité. Cette substance avait été mon pire cauchemar quand j'étais inspecteur aux armements. Elle aurait été le pire cauchemar de n'importe qui, si quelqu'un avait été assez cinglé pour l'utiliser. Même Saddam Hussein, quand il avait voulu exterminer les Kurdes, avait utilisé des agents innervant moins dangereux que le VX. Les Britanniques l'avaient inventé. Ils l'avaient fourgué aux États-Unis en échange des plans de la bombe atomique. C'était mortel à ce point.

— Les militaires ont tout tenté quand l'Épidémie a éclaté, me dit Jack. Une rumeur a couru selon laquelle ils allaient lâcher une bombe atomique sur Manhattan, mais je suppose qu'ils n'ont pas eu le temps de le faire. Ils ont essayé de gazer Spanish Harlem. C'est tout ce qui restait à leur disposition pour mener à bien ce projet. 

— Ils ont utilisé des gaz innervant contre les morts– vivants ? m'exclamai-je, incrédule. 

Je suppose que si je m'étais trouvé dans la même situation, je me serais probablement raccroché à n'importe quoi, moi aussi, mais à l'évidence il s'agissait là d'extermination.

— Est-ce que… est-ce que cela a marché ? 

— Cela aurait dû. Un type mort est juste un système nerveux qui se balade, et le VX est un agent innervant. Il court-circuite le cycle de l'acétylcholine. Cela aurait dû marcher. 

Manifestement cela n'avait pas marché. A tout le moins, les militaires avaient probablement réussi à exterminer uniquement les survivants qui se terraient dans le quartier, mais en laissant les morts-vivants indemnes. Les choses que nous faisons dans les meilleures intentions… Je secouai la tête.

— Alors vous n'êtes pas du tout ici pour tuer Gary. 

Jack glissa la main dans son sac et en sortit une arme de poing, un Glock 9 mm. Il ne le pointa pas sur moi, il ne me menaçait pas du tout. Très précautionneusement, le canon dirigé vers le mur, il le posa sur le sol.

— Je vous ai déjà parlé de mon plan de rechange. Comment j'avais songé à les tuer dans leur sommeil. 

Il continua à placer les charges autour des cylindres. Je ne faisais rien. Je me rappelais parfaitement ce qu'il avait dit. Cela m'avait terrifié sur le moment et cela me terrifiait encore plus à présent, parce que je savais désormais que c'était réellement son intention. Il poursuivit.

— Il n'y a aucun espoir de sauvetage, Dekalb. C'est impossible, tout simplement. J'ai repassé un million de scénarios dans ma tête et il n'y a aucun moyen pour que tous les deux nous nous en sortions vivants. 

— Vous n'en savez rien, contrai-je. 

Il battit des paupières et détourna les yeux.

— Dekalb, dit-il, combien de personnes un hélicoptère Chinook dont les sièges ont été retirés peut-il transporter ? 

J'ouvris la bouche et la refermai spasmodiquement.

— Vous ne… 

Au contraire. Il connaissait la réponse. Tout comme moi. Peut-être une centaine si on n'allait pas très loin. Nous ne pouvions sauver que la moitié des survivants, même si nous réussissions à les délivrer.

À l'évidence, Jack n'avait pas envie de choisir lesquels il abandonnerait ici.

— Nous n'avons rien à gagner en mourant de cette façon. Toutefois, nous pouvons faire quelque chose pour les survivants. Nous pouvons leur éviter d'être le repas de Gary. Ou plutôt, moi je le peux. 

Il me lança l'un des étuis d'injecteur d'atropine. Si j'étais exposé à des gaz innervant, la seule chose qui pouvait me sauver – la seule – c'était de me planter la seringue hypodermique dans la fesse ou la cuisse. Si je n'avais pas été exposé à des gaz innervant, mais me faisais une injection quand même, l'atropine me tuerait.

— Vous pouvez partir. Retournez par où nous sommes venus. Rejoignez Kreutzer et dites-lui de vous emmener aux Nations unies. Allez chercher les filles sur ce toit. Vous pouvez encore accomplir votre mission. Mais laissez-moi mener à bien la mienne. 

Ce qui signifiait condamner à une mort certaine deux cents hommes, femmes et enfants.

— Dekalb… j'avais besoin que vous veniez jusqu'ici uniquement parce que je ne pouvais pas porter seul tout ce matériel. Maintenant faites-moi une fleur. Tournez les talons et partez. 

Je ne savais pas quoi dire. Je ne savais absolument pas quoi faire. Une chose était sûre, je n'imaginais pas quelle allait être ma réaction. Si j'avais pu sortir de mon corps et me parler à moi-même, je l'aurais probablement déconseillée.

Ce fut un genre d'impulsion du moment.

Le téléphone cellulaire Iridium bourdonna, un petit son discret. Il vibra sur les dalles, oscilla et dansa. Il glissa de quelques centimètres sur le sol et cessa de bourdonner. Avant de recommencer une seconde plus tard. C'était le signal d'Ayaan pour nous, le message comme quoi elle avait attiré l'armée des morts-vivants de Gary vers sa position. Loin de nous. Jack et moi regardâmes fixement le téléphone.

Nous levâmes les yeux au même moment. Je tenais mon poignard de combat dans ma main, pointé sur son estomac. Lui tenait le Glock dans sa main, pointé sur mon cœur.

Je me jetai sur lui.

Il tira.

Tome 1 - Zombie island
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