2.
Une lumière fragmentée et des ombres pâles tournoyaient devant les yeux de Gary. Il ne se rappelait pas les avoir ouverts, il parvenait à peine à se souvenir de les avoir fermés à un moment. Lentement, il fut à même de comprendre l'image. Il vit qu'il regardait un amoncellement fondu de cubes de glace au-dessus de lui. Quelque chose de dur et d'insistant insufflait de l'air dans ses poumons en un pompage cadencé qui n'était pas trop douloureux. Non, son corps était à moitié gelé et il ne ressentait aucune douleur. Mais c'était extrêmement inconfortable.
Il leva les mains si rapidement que des taches dansèrent devant ses yeux et avec des doigts engourdis par le froid, il saisit le masque collé sur son visage, l'arracha puis tira, tira sur un tube d'une longueur incroyable sortant de sa poitrine, de quelque part de très profond, avec une sensation de traction puis de déchirement, mais il n'y avait toujours aucune douleur.
Il parcourut du regard les carreaux de la salle de bains, la baignoire remplie de glace et d'une eau jaunâtre. Les tubes fixés sur son bras gauche. Il les arracha également, laissant une profonde rainure dans son bras là où le shunt déchirait sa peau caoutchouteuse mouillée. Pas une seule goutte de sang ne suinta de la blessure.
Non. Non, bien sûr que non.
Gary entreprit un examen minutieux de ses facultés. Les taches qui dansaient devant ses yeux au rythme du tintement ne partaient pas. Il y avait un bourdonnement à l'arrière de sa tête. Cela lui donna envie de tendre la main vers le téléphone. Cette impulsion n'était pas un signe de dommage cérébral, juste un réflexe pavlovien, bien sûr. On entend une sonnerie dans cette fréquence particulière, et on se précipite pour répondre, comme on la fait toute sa vie. Il n'y avait plus de téléphones, bien sûr. Il n'entendrait plus jamais un téléphone sonner. Il devrait désapprendre ce comportement.
Ses jambes semblaient un peu faibles. Pas de quoi paniquer. Son cerveau… avait survécu, s'en était sorti quasi indemne. Cela avait marché ! Cependant, avant qu'il puisse fêter cela, il devait apaiser son amour-propre. Il s'approcha du lavabo d'un pas traînant, s'appuya sur la porcelaine des deux mains. Leva les yeux et se regarda dans le miroir.
Un brin cyanosé, peut-être. Une coloration bleue sur sa mâchoire, sur ses tempes. Très pâle. Ses yeux étaient injectés de sang, là où des capillaires avaient éclaté… cela cicatriserait peut-être, avec le temps. S'il pouvait encore cicatriser. Une veine sous sa joue gauche était morte et gonflée, si bleue qu'elle était presque noire. Il scruta, tata, tira sur la peau de son visage avec ses doigts, et trouva d'autres caillots et des occlusions, un réseau de veines mortes semblable à une toile. Comme des veines dans un bloc de marbre, pensa-t-il, ou dans un beau morceau de Stilton. Sans les veines, un bloc de marbre est juste du granit. Sans les veines bleues, un morceau de Stilton est juste un fromage ordinaire. Les veines mortes donnaient à son visage un certain caractère, peut-être une certaine gravité.
C'était mieux que ce qu'il avait espéré.
Il pressa son poignet avec deux doigts, ne trouva pas de pouls. Il ferma les yeux, écouta, et se rendit compte pour la première fois qu'il ne respirait pas. Des besoins primordiaux submergèrent son cortex reptilien, des terreurs innées de noyade et de suffocation, et sa poitrine fut prise de spasmes, se fléchit, essaya d'aspirer de l'air, mais en vain.
Saisi de panique – il savait que c'était de la panique, il était incapable de se maîtriser – , il renversa l'appareil de dialyse volé et l'entendit se briser sur le carrelage tandis qu'il sortait éperdument de la salle de bains confinée, cherchant désespérément à atteindre la lumière et l'air. Ses jambes se tordirent sous lui, menaçant de le faire tomber d'un instant à l'autre, ses bras se tendaient, les muscles se raidissaient, aussi durs que des câbles d'acier, sous sa peau froide.
Il avança en titubant jusqu'à ce que ses jambes cèdent, jusqu'à ce qu'il tombe violemment sur la moquette épaisse. Son corps se soulevait, frissonnait, essayait de respirer, d'aspirer la moindre bouffée d'air. Juste l'instinct, criait-il dans son esprit, c'est juste un réflexe, et cela va s'arrêter, cela va s'arrêter bientôt. Sa joue frottait sur la moquette en un mouvement de va-et-vient et il sentait la chaleur de la friction tandis que son corps était parcouru de spasmes.
Finalement, son organisme se calma, son corps se soumit. Ses poumons cessèrent de bouger et il resta immobile, épuisé. Il était plus ou moins affamé. Il leva les yeux, regarda vers le ciel très bleu au-delà de la fenêtre. Les nuages blancs et cotonneux défilaient.
Tout allait bien se passer.